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Umar Timol : "L'homme qui voulait rire" (suite).

Par Ananda

 

13.

Je commence à perdre la tête. Ils sont partout. Je parle des objets. Ils me regardent, m’observent, ils veulent à tout prix déclencher une nouvelle crise de fou rire.

Le moindre objet. La moindre chose. Je pensais pouvoir guérir mais la maladie est en train d’empirer.

Ainsi ce mouchoir, qui était mon mouchoir préféré quand j’étais petit. Et je me suis souvenu des bêtises qu’on commettait à l’école primaire. Avec mes inséparables copains, Amal et Yusuf, on n’arrêtait pas de concocter de belles trouvailles, mettre de la colle sur la chaise du professeur, glisser un cancrelat entre les pages de Samia, la sempiternelle première de la classe ou encore dessiner une énorme main rouge ( dont la célébrité dans les écoles mauriciennes n’est plus à démontrer ) dans les toilettes.

Ou ce beau costume que je portais à tous les mariages. Des mariages qui toujours se ressemblaient, des hommes bien comme il faut, qui parlaient de rien et de rien en attendant de dévorer, à grandes goulées, des plats de briani, des tantes et des oncles qui ne cessaient de me pincer les joues en ânonnant la phrase classique, « mais regarde comme il a grandi » tandis que je jouais à couk cachiette avec les amis dans la grande cour en espérant tomber sur ma jolie cousine aux yeux bleus, qui évidemment, ne m’adressait jamais la parole.

Ou encore un livre qu’on m’avait offert, Iznogoud, et qui allait faire de moi un gros lecteur, les longues soirées à dévorer les aventures d’Iznogoud, qu’est-ce qu’il me faisait rire, avec ces stratagèmes à la con pour piquer la place du calife, qu’il était bête mais qu’il était comique et si réel maintenant que je fréquente des Iznogoud au quotidien.

Le rire, le grand rire, est partout, je ne vais pas y échapper.

Alors que je m’écroule de rire pour la énième fois, le téléphone se met à sonner. C’est ma copine/ fiancée.

Elle arrive.

Que va-t-il se passer ? Est-ce que je vais lui rire à la figure ? Est-ce qu’elle va enfin comprendre que je suis un monstre ? Ou est-ce qu’elle m’aimera envers et contre tout ?

Est-ce que c’est Sue Ellen qui a tué J.R ? Est-ce que Bobby est mort ou pas tout à fait mort parce qu’il renaîtra de ses cendres dans la prochaine saison ? Est-ce qu’on comprendra enfin que Potter Harry est un morveux ? Est-ce que Amar, Akbar et Anthony sont vraiment frères ?

Vous en saurez plus dans le prochain épisode.

-

La situation est palpitante mais ouvrons une nouvelle parenthèse. Il faut interroger une problématique, qui est d’une grande importance. Est-ce que je ris parce que je suis malade ou est-ce que mon rire est un réflexe normal quand on considère que mon pays est éminemment comique ? Difficile question. On peut taxer un individu d’être « anormal » tout simplement parce que son comportement ne correspond pas aux normes de l’époque. Mais est-ce à dire que ces normes sont justes ? Sont-elles légitimes ? Et puis pourquoi ne pas faire du rire ma nouvelle philosophie de vie. Notre pays est, après tout, grotesque, il n’y a pas lieu de débattre à ce propos. C’est l’évidence même. Il suffit de se rendre dans un hypermarché un vendredi soir pour comprendre ce grotesque, ainsi on découvre des gens par milliers qui se prosternent sur l’autel de la consommation à outrance. On peut, si on n’est pas tout à fait convaincus, observer pendant une demi seconde toutes ces personnes qui prétendent nous diriger. Tout ou presque prête à rire dans notre île paradis. A commencer pas moi-même. Il faut donc perpétuellement rigoler, c’est l’un des moyens de défier notre folie. En d’autres mots, j’ai tout à fait raison de rire. Je me dois de rire encore plus. Mais le problème est que mon rire est excessif et incontrôlable. Il doit être ironique et subtil et je dois avoir tout pouvoir sur lui.

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Je me suis réfugié dans la salle de bains. Je n’en sors plus. J’ai éteint la lumière. J’ai peur d’exploser une fois de plus. Je n’en peux plus. J’ai ri, sans aucune interruption pendant plus de deux heures. Je suis écœuré. Je suis malade. Et moi qui pensais guérir. Tout me donne envie de rire. L’objet le plus ridicule. Mais je ne dois plus y penser. Je dois faire le vide en moi. Je vais ainsi rester dans l’obscurité pendant encore quelques heures. Il faut positiver. Le rire s’en ira. Je dois aussi détruire les pensées parasitaires, elles sont nombreuses et elles peuvent à tout moment surgir. Il faut que je pense à des choses sérieuses. A du sang par exemple. A un fleuve de sang qui se déverse dans l’océan. Qui me fait penser tout à coup à un manga à la con, Nicky Laarson. Ou sinon à des cancrelats. Je les déteste. Ils sont dégueulasses. Je les vois. Ils arrivent. Ils vont me tomber dessus. Ils vont me dévorer. Mais pourquoi est-ce que le petit dernier ressemble à quelqu’un que je connais que trop bien. A mon oncle le mégalo. Penser alors à la fin du monde. A l’apocalypse. Il ne reste plus un seul survivant. C’est foutu. On voit des corps partout. Mais parmi eux je devine le ventre virevoltant de mon directeur. Je dois penser à une chose tout à fait affreuse. A ma copine/ fiancée qui me vénère. Pas ça. À un meurtre. Un génocide de cancrelats. Tout s’emmêle dans ma tête. Le rire m’attaque, m’agresse. Il s’immisce dans mes pensées. Je ne vais pas y échapper. Je le dois pourtant. Je dois dormir. C’est la seule échappatoire. Dormir, oublier le comique. Je le dois. Je le dois. Dormir, dormir….

Umar Timol

(à suivre)


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