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Mobile Suit Gundam : Author’s Cut (5b)

Par Ledinobleu

Image tirée de l'artbook M.S. Era - Mobile Suit Gundam 0001-0080 - The Documentary Photographs Of the One-Year-WarSommaire :

1. Introduction
2. L’univers de Gundam
3. L’auteur
4. L’innovation
5. La colonisation de l’espace (le présent billet)
6. La métaphore (à venir)
7. Le newtype (à venir)
8. Conclusion et sources (à venir)

La colonisation de l’espace :

a. La vision scientiste
b. L’interprétation dans Gundam (le présent billet)

b. L’interprétation dans Gundam

Si pour Gerard K. O’Neill (1927-1992) la colonisation de l’espace devait ouvrir une nouvelle ère d’abondance en matières premières comme en énergie et ainsi signifier la fin de tous les conflits, puisque ceux-ci prennent le plus souvent racine dans les luttes pour l’obtention des ressources (1), l’avenir de Mobile Suit Gundam, de son coté, se montre bien moins clément pour la nature humaine ; en particulier, ce futur possible fustige une nouvelle forme de la lutte des classes qui trouve ses origines dans ce qu’on pourrait appeler une glorification de l’élite, ou plus simplement une cassure du lien pourtant fondamental entre les gouvernants et les gouvernés – ce qui ouvre en général la voie aux révolutions et à tout leur cortège de fureur et de sang… Dans Gundam, cette cassure se produit au moment de choisir quels citoyens vont aller habiter l’espace, et dans cet avenir comme dans le passé tel qu’on le connaît, on ne trouve pas que des pionniers ; on peut en effet rappeler que la colonisation des Amériques et de l’Australie ne se fit pas uniquement par des gens désireux de recommencer leur vie mais aussi par des brigands, des criminels, des fous, des persécutés religieux et des réprouvés de tous les acabits dont les grandes puissances de l’époque se débarrassaient purement et simplement en les envoyant à l’autre bout du monde afin de conforter la paix de leur royaume, c’est-à-dire leur pouvoir, en cachant en quelque sorte la poussière sous le tapis.

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Gundam nous présente un futur comparable dans le sens où les gens envoyés construire la nouvelle frontière ne se portèrent pas tous volontaires, et on comprend pourquoi vue l’ampleur titanesque de la tâche ; sur ce point, d’ailleurs, on ne peut s’empêcher d’apercevoir une influence possible – mais en aucun cas revendiquée par les créateurs de Gundam, en tous cas à ma connaissance – du roman Révolte sur la Lune (The Moon is a Harsh Mistress ; 1966) de l’écrivain Robert A. Heinlein (1907-1988), auteur déjà maintes fois évoqué dans ce dossier : cet ouvrage montre en effet un avenir comparable à celui de Gundam dans le sens où la colonisation de la Lune par les bagnards envoyés là pour extraire les ressources minérales a accouché d’un modèle de société inédit qui ne tarde pas à entrer en conflit avec celui de la classe dirigeante de ce futur fictif, restée confortablement sur Terre pendant que les condamnés aux travaux forcés puis leurs enfants se tuent à la tâche pendant des générations, jusqu’à ce qu’une guerre ouverte, une guerre d’indépendance finisse par éclater. Mérite aussi de se voir précisé que les technologies du tourisme spatial, au moins dans le roman de Gundam, jouèrent un rôle fondamental aux balbutiements de la colonisation ; or, celles-ci restaient l’apanage de société privées, c’est-à-dire des multinationales puisque seules de telles entités pouvaient faire face à la complexité et au coût qu’impliquent une telle entreprise (2) – et on sait bien de quelle manière ces entreprises-là traitent leurs employés : leurs techniques de management participèrent donc elles aussi à produire le ressentiment de ces premiers habitants de l’espace… Encore une fois, c’est donc bel et bien le réalisme qui caractérise Gundam, qu’il s’appuie sur les exemples du passé ou bien ceux du présent.

Pour toutes ces raisons, on comprend assez vite que la colonisation de l’espace devait tôt ou tard aboutir à une impasse. Si le processus d’ensemble se voit expliqué à de nombreuses reprises dans le roman de Gundam, les versions animées se montrent hélas moins explicites, ce qui contribua à leur donner un aspect de simplicité qui joua d’abord en leur défaveur avant que la situation politico-sociale de cet univers en fin de compte assez complexe se voit mieux décrite, notamment à travers les produits dérivés tirés de la franchise. On trouve néanmoins une brève exposition des faits, certes très partisane, lors du discours de Gihren Zabi pendant les funérailles de son frère Garma où les raisons de la colère des habitants de l’espace envers les dirigeants de la Fédération sont brièvement présentées à travers l’exposition de son inhumanité, d’abord, puis du mépris de cette dernière envers les colons ainsi que de la montée progressive des tensions en raison des velléités d’autonomie de Zeon. Si on aurait apprécié une explication plus élaborée, il faut malgré tout tenir compte de plusieurs facteurs : d’abord, il s’agit d’un discours propagandiste chargé de ranimer l’esprit combatif de Zeon après plus de neuf mois de combat où les succès des débuts paraissent à présent assez lointains ; ensuite, le public auquel ce discours s’adresse connaît déjà la situation et les divers faits et événements dont elle découle, au moins dans les grandes lignes, et même si la propagande de la principauté de Zeon se charge de déformer l’Histoire récente avec grand soin depuis des décennies afin de mieux alimenter le ressentiment des colons envers la Fédération qui a jadis forcé leurs ancêtres à émigrer ; enfin, une exposition plus longue et détaillée dans ce qui était au départ un épisode isolé d’une vingtaine de minutes à peine dans un ensemble bien plus vaste aurait certainement vite perdu son audience – sur ce point, on peut rappeler que cette scène conclue le premier film de la version cinéma de Mobile Suit Gundam, celle-là même qui bénéficia du moins de modifications par rapport à la série TV de départ : cette séquence ne pouvait donc se voir vraiment améliorée.

Image tirée de l'artbook M.S. Era - Mobile Suit Gundam 0001-0080 - The Documentary Photographs Of the One-Year-War
Voilà comment la Guerre d’Un An met en évidence la pluralité ainsi que les antagonismes des intérêts dans l’univers de Gundam – on peut ici évoquer l’alignement ambigu de Side 6, qui se déclare neutre mais collabore en fait de façon officieuse avec le camp le plus en position de force selon les aléas du conflit – à travers une scène politique assez complexe qui met à mal l’image récurrente dans la science-fiction dite « populaire » d’une race humaine unie dans la conquête de l’espace, une représentation somme toute idyllique et plutôt naïve, d’ailleurs semblable sous bien des aspects à celle que décrivait le professeur O’Neill. À vrai dire, le futur de Gundam ne présente rien de scintillant, au contraire de ces productions d’une certaine science-fiction, souvent assez ancienne, qui ne montre que le versant positif du progrès technologique : ici, ce progrès technique, c’est-à-dire social, amène la guerre en déplaçant dans l’espace proche l’éternel problème de la gouvernance et celui sous-jacent de la liberté (3). Ainsi, sous ses dehors de production orientée action et grand spectacle, Gundam suscite avant tout une réflexion sur ce monde qui nous attend où la colonisation de l’espace proche sera devenue l’ultime parade à l’épuisement des ressources et de l’espace vital (4) : il s’agit bel et bien d’une attitude intellectuelle typique de la science-fiction qui fait donc de Gundam une véritable œuvre du genre, en tous cas dans son itération dite « sociale » que j’ai eu l’occasion de présenter dans le chapitre précédent, au contraire de l’écrasante majorité des autres productions du domaine mecha de l’époque.

De sorte que si Gundam utilisent des éléments narratifs issus de la tragédie classique, ceux-ci ne servent en fin de compte qu’à habiller un récit dont le fond semble anti-technophile, soit une démarche assez caractéristique du Tomino de l’époque – un élément de sa personnalité déjà évoqué dans la partie de ce dossier consacrée à sa biographie – qui s’oppose à celle du genre « super robot » et de son apologie sous-jacente des techno-sciences en général. On peut ici évoquer la séquence d’ouverture de chaque épisode qui décrit brièvement l’état des lieux du conflit au moment où débute le récit, notamment en montrant le bombardement de la Terre par Zeon qui y précipite une colonie cylindrique, un habitat complet de plusieurs kilomètres pesant des milliers de tonnes et dérouté de son orbite, à travers l’Opération British – cette tactique n’utilise qu’une seule colonie dans les versions animées où uniquement la ville de Sydney, en Australie, se trouve rayée de la carte, mais plusieurs dizaines dans le roman où les principales capitales de la planète sont anéanties. Ce prologue plante ainsi l’ambiance du récit dés le départ : ce futur n’est pas rose… Ainsi, cette stratégie du « colony drop » – d’ailleurs assez semblable à une manœuvre semblable des sélénites dans le roman Révolte sur la Lune évoqué plus haut – montre très bien comment la colonisation de l’espace s’est en quelque sorte retournée contre ses instigateurs, de quelle manière l’outil a fini par échapper à leur contrôle, combien la colonisation de l’espace comme ère d’abondance et de prospérité, c’est-à-dire de paix, s’avère en fait un échec ; au contraire d’autres productions hélas bien moins inspirées, l’Opération British ne sert pas que d’arme de destruction massive ou bien, encore plus affligeant, d’« arme suprême » de la dernière heure pour un méchant digne de serials qui veut entraîner le plus de victimes possibles dans sa chute quand ses plans de conquête tournent mal : en plaçant cet élément dès le début du récit, Gundam montre en fait combien les limites sont passées depuis longtemps et combien la Guerre-d’Un-An s’annonce bel et bien comme le plus épouvantable conflit de toute l’Histoire.

En fait, et plutôt qu’anti-technophile, un terme assez réducteur, voire aux nets accents péjoratifs, Tomino présente surtout une vision somme toute lucide des relations entre l’Homme et ses inventions, relations qui ne dédouane pas le premier de cette responsabilité qui accompagne toutes les libertés et qui, notamment au Japon, se caractérise par une ambigüité pour le moins spécifique à l’archipel (5). Mérite néanmoins de se voir mentionné qu’un tel processus de pensée s’avère en fin de compte assez caractéristique des designers industriels dont la profession les rend très sensibles aux limites des technologies de fabrication en série en général, c’est-à-dire à la modernité prise dans son ensemble ainsi qu’aux illusions – faute d’un meilleur terme – qui l’accompagnent bien souvent.

Et voilà donc comment, aux réalismes techno-scientifique et humain déjà examinés dans la partie précédente de ce dossier, Gundam combine non seulement le réalisme social – en explorant une dérive possible d’un modèle de colonisation spatiale – mais aussi, plus inattendu celui-ci, le réalisme historique – en intégrant dans sa vision de l’avenir ces erreurs de l’Histoire dont on ne tire jamais aucune leçon. Ainsi peut-on voir nettement que cette production a priori réservée à une audience jeune s’affirme en réalité comme une œuvre bien à même de satisfaire un public beaucoup plus averti, et tant que celui-ci ne commet pas l’erreur somme toute bien pardonnable de se laisser berner par des apparences trompeuses.

Image tirée de l'artbook M.S. Era - Mobile Suit Gundam 0001-0080 - The Documentary Photographs Of the One-Year-War

(1) ni l’archéologie, ni la paléontologie n’ont permis de découvrir de traces de guerres avant l’invention de l’agriculture : celle-ci permettant de produire de grandes quantités de nourriture, elle ouvrit aussi la voie aux conflits armés pour se procurer ces ressources vitales par la force ; voir l’ouvrage du psychologue et comportementaliste Frans de Waal intitulé L’Âge de l’empathie – Leçons de la nature pour une société solidaire (Les Liens qui libèrent, 2010, ISBN : 2-918-59707-4).

(2) ce qui du reste correspond bien à l’actualité où seuls de grands groupes et des millionnaires peuvent se permettre ce genre d’excentricités : inutile de citer des exemples.

(3) l’actualité économique internationale de ces dernières années relève d’ailleurs d’une problématique comparable, en tous cas dans ses racines profondes : trop de liberté a en quelque sorte tué la liberté, pour simplifier à l’extrême.

(4) ce type de réflexion, qu’on peut bien sûr étendre à tous les secteurs de la recherche scientifique au lieu de le cantonner à celui de la conquête spatiale, se montre de plus en plus d’actualité dans certaines sphères scientifiques alors que les évolutions techniques impactent toujours plus la vie quotidienne de chacun ; voir l’entretien avec la professeur d’histoire et de philosophie des sciences Bernadette Bensaude-Vincent qui clôture son ouvrage Se libérer de la matière ? Fantasmes autour des nouvelles technologies (INRA Éditions, 2004, ISBN : 2-7380-1185-3).

(5) au contraire de ce que croient beaucoup de gens, et comme je l’ai déjà souligné dans un chapitre précédent de ce dossier, les japonais n’aiment pas la technique qu’ils ne développent que pour mieux tenter de la contrôler ; voir l’ouvrage majeur de Jacques Ellul intitulé Le Système technicien (Le Cherche Midi, collection Documents et Guides, mai 2004, ISBN : 2-749-10244-8).

Sommaire :

1. Introduction
2. L’univers de Gundam
3. L’auteur
4. L’innovation
5. La colonisation de l’espace (le présent billet)
6. La métaphore (à venir)
7. Le newtype (à venir)
8. Conclusion et sources (à venir)

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