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Entre le fort et le faible, l’acte authentique ruine et l’acte sous seing privé protège

Publié le 19 août 2012 par Copeau @Contrepoints

L’acte authentique coûte cher et peut, comme dans le cas de l’affaire Apollonia, se retourner contre vous. Est-il une nécessité ou un archaïsme ?
Par Vincent Le Coq (*)

Entre le fort et le faible, l’acte authentique ruine et l’acte sous seing privé protège
On connaît le slogan répété à l’envie dans chaque campagne de publicité organisée par la profession : « Le notaire rend mes projets plus sûrs ». Car la profession ne lésine pas sur les moyens et dépense à chaque campagne plusieurs millions d’euros. Un message aussi simple, sinon simpliste, serait-il si difficile à faire passer dans l’opinion ?

Plus étonnant, la chancellerie adopte, sans aucun esprit critique, la position étroitement corporative de la profession notariale. À Sophie Primas, députée (UMP), qui attirait l’attention du ministre de la Justice sur certaines insuffisances de l’acte authentique, le garde des Sceaux Michel Mercier répondit que la fonction du notaire « est de rédiger des actes authentiques dont la fiabilité permet d’assurer la sécurité des transactions juridiques » (Rép. Min. n° 99136, JOAN Q, 3 mai 2011, p. 4564).

Son prédécesseur, Michèle Alliot-Marie avait manifestement bien appris le catéchisme de la profession, lorsqu’elle déclarait lors de la séance d’ouverture du 106ème congrès des notaires : “Les notaires sont des professionnels de l’acte authentique. Ils le demeureront”.

Ainsi, prenant appui l’un sur l’autre pour mieux trouver l’équilibre, le notariat et la chancellerie soutiennent depuis des décennies, au risque de radoter, qu’un contrat authentique est plus difficile à remettre en cause qu’un contrat sous seing privé. Cette insistance est pourtant rigoureusement inutile puisque l’affirmation est parfaitement exacte.

Mais la véritable question est de savoir s’il s’agit d’une bonne chose et si notariat et chancellerie ne confondent pas la fin et le moyen. En effet, on n’achète pas une maison pour passer un contrat, mais on passe un contrat pour acheter sa maison, et l’intangibilité du contrat n’est nullement un objectif en soi. Le but du régime juridique des contrats doit être de favoriser le caractère équilibré et satisfaisant pour les deux parties. Si tel est le cas pour les deux cocontractants, aucun des deux ne souhaitera le remettre en cause, indifféremment de sa nature juridique (contrat authentique ou sous seing privé).

Examinons la pertinence du mantra de la « sécurité juridique » non pas offerte, mais vendue, et à prix d’or par les notaires (le revenu moyen des notaires s’établit à 20 000 euros par mois et le maintien de ce niveau de rémunération a conduit en 2008 /2009 au licenciement de 10 % du personnel des offices) à la lumière de l’actualité la plus récente, puisque la Cour de cassation vient le mois dernier de rendre cinq arrêts dans la saga Apollonia, vaste escroquerie qui a frappé 800 familles et porte sur un milliard d’Euros. On rappellera que les actes de prêts ayant été passés « par devant notaire », c’est-à-dire en la forme authentique, les banques ont pu opérer des saisies immobilières sans même obtenir au préalable une décision judiciaire. En effet, en droit, l’acte authentique a la valeur juridique d’un jugement définitif. Les emprunteurs n’ont dû leur salut qu’à une irrégularité affectant les actes de prêt qui les a privés du régime de l’authenticité. On voit que le régime de l’authenticité permettait donc aux banques de ruiner sans recours les nombreuses victimes de l’escroquerie Apollonia et celles-ci ne doivent la préservation de leur patrimoine qu’à l’application du régime de l’acte sous seing privé.

L’affaire Apollonia fournit ainsi une illustration convaincante des dangers inhérents à l’acte authentique. Mais cette affaire ne constitue nullement une exception, ainsi qu’en atteste la vie des affaires qui s’est détournée de l’acte notarié depuis près de deux siècles. En effet, le droit commun des contrats échappe à l’authenticité sans rien perdre en qualité, ainsi qu’en atteste tous les jours le droit des affaires.

Le droit des affaires au fil de l’histoire

Au mode de contrôle de la société civile par l’État correspond une importance corrélative de l’acte authentique, tandis que l’acte sous seing privé est le fait des sociétés auto-régulées. L’histoire de l’émancipation de l’individu et de la reconnaissance par l’État de la valeur de l’initiative privée se double d’un recul parallèle de l’obligation de recourir à l’acte authentique dans le commerce juridique. Le droit des sociétés en offre la meilleure illustration.

Le texte du code de commerce de 1807 rendait le recours au notaire obligatoire pour la constitution des sociétés. En 1966, la mission du notaire a été largement amputée par le législateur. L’évolution des rapports de l’État et de la société civile en France depuis le début du XIXème siècle s’est ainsi traduite par la rétractation progressive du champ de l’acte authentique et une extension corrélative de celui de l’acte sous seing privé. Dans cette perspective, la récente loi de modernisation des professions judiciaires ou juridiques du 28 mars 2011, ne fait que consacrer cette préférence des opérateurs économiques par la reconnaissance de l’acte sous seing privé.

L’évolution contemporaine du droit des sociétés vise à offrir à la vie des affaires toujours plus de souplesse, d’adaptabilité et de réactivité. Ainsi, le succès des SAS résulte directement de la liberté dont disposent leurs membres dans la détermination des règles de fonctionnement. La recherche d’efficacité a ainsi conduit ses dirigeants à simplifier la forme des assemblées qui peuvent avoir lieu par correspondance, par télécopie ou e-mail.

C’est donc à contre-courant de l’évolution générale des sociétés modernes que se plaçait en 2011 Benoit Renaud, à l’époque président du Conseil Supérieur du Notariat, lorsqu’il suggérait qu’« un président de conseil d’administration peut découvrir l’intérêt de voir le procès-verbal de son conseil d’administration dressé en la forme authentique ».

L’examen de la mise en œuvre effective de la responsabilité professionnelle des notaires révèle plus généralement la perversité du régime de l’acte authentique.

L’engagement de la responsabilité du professionnel du droit

Sur la période 2000-2005, uniquement en matière de responsabilité civile professionnelle, ont été enregistrées entre 4000 et 4500 sinistres par an (pour 4 534 offices notariaux), soit un sinistre par an et par office. L’indemnisation à la charge des compagnies d’assurances des notaires atteint un montant annuel compris entre 80 et plus de 100 millions d’euros. Afin qu’il n’y ait pas de confusion, il s’agit ici de responsabilité civile, non de fraude. Les notaires ont coutume de justifier ces chiffres par les difficultés inhérentes à un droit de plus en plus instable et de plus en plus sophistiqué. Pourtant, selon une étude de 2003 citée par Laurence de Charrette et Denis Boulard, un notaire est mis en cause une fois tous les deux ans, alors qu’un avocat ne sollicite son assurance qu’à deux reprises dans sa carrière, autrement dit tous les vingt ans. Le droit serait-il plus simple et plus stable lorsqu’il est mis en œuvre par un membre du barreau ?

Il apparaît donc que la « sécurité juridique » apportée par le recours au notaire ne découle donc nullement de la qualité intrinsèque de l’acte authentique mais seulement de l’existence d’un régime de responsabilité civile professionnelle qui a, jusqu’à aujourd’hui, été en mesure de couvrir les dommages causés par la profession.

Il est toutefois permis de s’inquiéter de la viabilité d’un système dans lequel un seul sinistre (Apollonia) peut atteindre l’équivalent de dix années de sinistres et nécessaire de s’interroger sur la possibilité même pour les assurances professionnelles des notaires de couvrir durablement des dommages dont le montant est équivalent à celui que peut causer une tempête exceptionnelle (Xynthia).

Il est aujourd’hui plus qu’urgent d’engager une véritable réflexion sur l’intérêt de maintenir dans notre ordonnancement juridique l’acte authentique, c’est-à-dire un régime juridique parfaitement obsolète mais surtout intrinsèquement pervers.

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Article publié initialement sur Ma Vie Mon Argent.

(*) Vincent Le Coq est maître de conférences, porte parole du collectif Non/taire et auteur du livre Manifeste contre les Notaires.


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