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Mohamed Salah BEN AMOR commente un texte de Patricia LARANCO.

Par Ananda

 

Nous sommes habitués à l’ambiance lugubre et sinistre que dépeint l’auteure dans ce texte et qui marque de son sceau la plupart de ses écrits précédents   dans lesquels nous avions vu l’écho lointain, inconscient d’une descente douloureuse vers l’air ambiant à la suite d’une naissance difficile. En effet, Freud a montré que le bébé, à   sa sortie de la matrice de sa mère qu’il assimile à un paradis perdu , est vite choqué et terrorisé dès qu’il se trouve tout seul au milieu d’un monde excentrique . Que dirions-nous alors – et c’est le cas ici – lorsque l’expulsion vers ce monde est traumatisante   et dramatique ? Et la preuve du caractère ébranlant de cette sortie lointaine est que l’arbre qui est universellement un symbole positif , du fait qu’il est , de par sa constitution , l’image de la paix , de l’harmonie et de l’équilibre entre terre et ciel   , se trouve soudain transformé en une silhouette malingre évoquant la laideur , la douleur , l’horreur et même la mort . Voilà qui montre qu’il s’agit ici d’une projection d’un mental blessé et rongé par les phobies et les affects sur cette plante incarnant la vie dans toute sa splendeur et dont même sa nudité passagère pendant l’automne n’a jamais suscité autant d’émotions et de sensations négatives.

Bien entendu, nous ne faisons que tenter d’analyser ce texte et loin de nous l’idée de faire le procès de la personne de l’auteure qui est libre de doter , en tant que créatrice , sa locutrice ( le je féminin dans le texte ) de la psyché qu’elle veut. Et le plus important pour nous est l’expression esthétique des idées formulées dans le texte, qui se distingue par un haut degré de finesse surtout au niveau des images pour la plupart surprenantes telles que : les arbres hissent leurs branches trop pâles, d’une couleur éteinte, comme s’il s’agissait de bras qui se tendent, pour supplier, appeler au secours - cette gelée qui lèche la ville et les toits du vieux lycée - Arbres suppliciés, cotonneux - Bras tendus, bouquets de bouches de masques grecs - Même pour les corbeaux, il faut croire que les gouffres, les puits sont répulsifs .

Je ne saurais mettre fin à ce commentaire hâtif sans rappeler que, dans l’ensemble, les écrits de cette poétesse et nouvelliste témoignent d’ un univers à part et d’un style réellement singulier .

Mohamed Salah Ben Amor.

LES GOUFFRES.

par Patricia Laranco

Aube d’hiver.

Les arbres hissent leurs branches trop pâles, d’une couleur éteinte, comme s’il s’agissait de bras qui se tendent, pour supplier, appeler au secours.

*

Aube d’hiver.

Aux fenêtres, les lueurs carrées déclinent. Elles se fondent, petit à petit, dans la gelée grise, laiteuse, cette gelée qui lèche la ville et les toits du vieux lycée.

*

Bientôt, il neige.

Deux coloris : gris figé, tétanisé et noir de métal, noir pentu.

Univers qui se bute dans son refus soudain, abrupt, définitif d’enfanter d’autres gammes, d’autres jeux chromatiques.

*

Aube d’hiver.

Arbres suppliciés, cotonneux. Bras tendus, bouquets de bouches de masques grecs. Bouquets menaçants de cratères de tragédie.

Que crient-ils ? Quel cri figent-ils, qui les perfore ?

*

Ces arbres ont quelque chose de malsain, qui m’aspire. Leurs bras suppliants escortent la galerie, entrecoupés de leurs terribles yeux d’abîme, de leurs horribles yeux-cratères qui la guettent.

Mon ouïe m’indique de puissants croassements qui traversent l’air, mais aucun corbeau, à ma surprise, n’est visible.

Même pour les corbeaux, il faut croire que les gouffres, les puits sont répulsifs.

*

Ces arbres ont quelque chose de particulier. Je ne sais vraiment pas pourquoi, mais ils me font penser à des plantes carnivores : ils semblent s’ouvrir, tels des corolles tourmentées, de mystérieuses anémones de mer aux tons désolés de craie mariée à la cendre.

A leur sommet, ceinture de branches, autour d’un nid, d’un espace, d’un écartement bien dégagé, légèrement bosselé par des ébauches de bulbes, de protubérances de chair blême- ou peut-être bien plutôt, le terme serait plus juste- décolorée, ainsi que le sont les chairs mortes, les chairs de cadavres atrocement blanches que l’on entrepose à la morgue.

Et puis, au beau milieu du nid, du bombement de chair morte, le criblant, les gouffres que je viens de décrire, et dont la noirceur se met à pulser.

Mais pour réclamer quel tribut ?

2007.


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