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Marion Laine, Un Coeur Simple (d'après le conte de Gustave Flaubert)

Par Topolivres
Ça commence par une robe rouge effrangée dont le bord vient chasser les feuilles mortes sur un sentier forestier. Ces premières images vertes et brunes - le fond de palette de Rubens - sont aspirées par un souffle rapide, à la limite de la survie. Il s'agit de la respiration affolée de Sandrine Bonnaire, Félicité dans le film.
La réalisatrice, Marion Laine, n'abandonnera pas, tout au long du film, ce lien intime qu'elle perçoit entre les formes du vivant. Humaines, animales ou végétales. Son cinéma est organique. L'eau y jaillit comme l'amour ; on ne la saisira point, même si les mains pleines de Félicité y croient un temps, avec son coeur simple et sa tête d'oiseau.
Marion Laine, Un coeur simple
Tout au long de sa réinvention d'Un coeur simple, ce conte de Flaubert qu'elle a traduit librement au cinéma, Marion Laine, jeune cinéaste déjà auteure de plusieurs courts métrages, flirte avec le conte matriciel de l'écrivain sans lui céder, avec une force vitale qui emporte la fascination et l'enjouement. Exemple : lorsque Flaubert écrit que Félicité disparaît dans l'ombre, Marion Laine écrit cinématographiquement une pénombre plus constante à l'aide de l'oblique d'un sourcil, le travers d'un châle, la texture revêche, finalement assouplie par l'effort, du drap d'un corset. Ainsi Félicité est-elle traversée par une ombre incessante, la sienne.
Marion Laine a déjà ses outils de cinéaste parfaitement plantés dans l'oeil, et sa réalisation des corps dans l'espace est un ravissement pour tous et plus encore pour les lecteurs épris de Flaubert. Ils y reconnaîtront la forme intime des phrases : le sens de l'ellipse, la sobriété et la scansion tendre et sèche avec laquelle il anime cette femme, Félicité, qu'il présente d'abord comme un mannequin de bois.
Sous la caméra de Marion Laine, les épisodes d'inerties légèrement instables et les grands mouvements imposants où les paysages affrontent violemment les corps alternent avec des tournoiements qui font vaciller les décors dans une folie touchée du doigt, tout en respectant l'envol d'un oiseau, puis frémissent au vu de l'orgasme d'une séquence encore plus charnelle, peau à peau.
La cinéaste a la passion des dos, des visages, des costumes échancrés, pas complètement apposés sur ses rôles. Ses personnages se dérobent donc volontiers à leurs nippes : c'est un vrai et constant plaisir de cinématographe. Le film se raconte peu, mais il marche en avant de lui-même, farouchement. Il abandonne sans peur ses modèles à eux-mêmes.
Tous vont se saisir et se dessaisir de l'histoire qui leur arrive avec la seule puissance de la jouissance du jeu. Marina Foïs, Pascal Elbé, Sandrine Bonnaire et tous les autres, tous les acteurs puisent dans ce film une réalité de jeu d'une densité et d'une beauté intense.
Si Marina Foïs laisse Marion Laine pénétrer chacune de ses expressions si singulières, Sandrine Bonnaire renaît sous sa prunelle de manière spectaculaire.
Elle fait le don de ce qu'elle est, au présent du film, comme elle le fit déjà avec Varda, Pialat, Sautet, elle-même avec sa soeur parmi leurs images mentales ou animées, au cinéma. Ce rôle-là est manifestement le sien, il est sa parfaite coïncidence : un coeur simple, en 2008, c'est bien elle. Marion Laine ne s'y est pas trompée.
Le personnage de Félicité, surtout depuis que l'on sait l'auteure et réalisatrice sous l'actrice, lui va mieux qu'un gant, c'est sa paume et sa joue, un écorché au vif de ce qu'elle peut et veut au cinéma.
Dans Un coeur simple, on détaille l'affranchissement total de ce qu'elle est, mais aussi de cette autre en elle dont son documentaire a approché au plus près les modes d'expression et de silence. Elle hurle, elle est sourde, elle se fait mal sans plus rien sentir à force de trop ressentir.
Sandrine Bonnaire, Marina Foïs jouent à être et c'est tuant, comme à chaque fois que le cinéma grave dans la compagnie translucide des acteurs sa profondeur assassine, toute retournée et trafiquée, toute remontée et palpée. Au final, enfilées dans un projecteur et offertes au spectateur sous la forme d'un spectacle inespéré, dans le noir fragile des salles, elles sont simplement vivantes.
Marion Laine a rédigé un texte très personnel, aussi saisissant d'intelligence et dénué d'esthétisme idéologisant que son film, dans l'édition toute récente d'Un coeur simple (Mille et une nuits, Fayard).
On y lira, par exemple, ceci : "Quand Flaubert dit 'l'air était mou', je devine une Félicité qui fait corps avec les éléments. Les jambes en coton, la tête qui fond, une mollesse que l'on retrouve aussi chez Madame Arnoux ou chez Emma (Bovary), à l'heure d'être séduites".
Ecouter l'entretien avec Marion Laine réalisé mardi 18 mars au
Lecteur Studio SNCF :
Isabelle Rabineau

  



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