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Explorateurs de l’abîme de Enrique Vila-Matas (épisode 2)

Publié le 26 mars 2008 par Caroline

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Bon, je ne vais pas trahir la nouvelle “Parce qu’elle ne l’a pas demandé” et ne pas dire ici, pourquoi un autre rendez-vous avec Sophie Calle y est raconté.

    Extrait :

Je suis arrivé une demi-heure en avance dans le quartier de Saint-Germain où se trouve le Flore, un peu plus inquiet que je ne m’y attendais à la perspective de la rencontre. L’idéal aurait été d’abord d’aller boire deux whiskies au Bonaparte pour être tout à fait fidèle à l’histoire que j’avais écrite sur mon ordianteur et que je souhaitais reproduire. Mais, je savais parfaitement que c’était frôler le suicide car mes reins ne les accepteraient pas aisément.(….) J’ai fini par entrer au Bonaparte où j’ai commandé au comptoir une bouteille d’eau minérale plate. Je l’ai bue d’un trait et en ai commandé immédiatement une autre. Je l’ai, elle aussi, bue d’un trait. J’ai regardé autour de moi pour voir si mon anxiété avait retenu l’attention d’un client, mais j’ai vu, comme il était logique, que le monde était toujours pareil, il suivait son cours sans problème majeur et sans que personne se demande pourquoi je buvais ou arrêtais de boire des verres d’eau. (…) je suis sorti du Bonaparte en marchant très lentement et, comme il était midi moins vingt, je me suis arrêté devant la vitrine de la librairie La Hune, à dix mètres du Flore.(…)
J’ai posé mes yeux sur la vitrine de La Hune où plusieurs livres de l’écrivain que je détestais le plus au monde étaient exposés. Par chance, j’ai pu continuer à regarder la vitrine parce que ces livres partageaient l’espace avec une grande et magnifique reproduction de La Mariée mise à nu par ses célibataires, même…, l’énigmatique Grand Verre de Marcel Duchamp, peint à l’huile et divisé horizontalement en deux parties identiques par un fil à plomb. (…)
J’ai été un peu surpris quand quelqu’un s’est interposé entre la vitrine et moi et, dans un français à fort accent espagnole, m’a salué en me tendant la main et en me demandant très poliment ce que je faisais là.(…)
“Tu m’as suivi depuis le Bonaparte ?” lui ai-je demandé pour lui dire quelque chose parce qu’il restait paralysé devant moi tout en m’observant d’un air étonné (…). ” Tu ne te souviens donc pas de moi ? ” a-t-il répété. Je l’ai alors reconnu. Les lunettes noires m’avaient déconcerté. C’était un Espagnol qui, depuis des années - plus ou moins depuis que je fréquentais de nouveau ce quartier de Paris- évoluait dans les rues environnantes en saluant très poliment les gens qu’il rencontrait et en leur demandant s’ils se souvenaient de lui. Pour avoir la paix, il suffisait de lui dire que oui et il s’en allait. (…)
Je suis entré dans le Flore cinq minutes en avance, mais Sophie Calle était déjà là et elle était assise à une table bien placée. Je me suis approché en essayant de surmonter ma petite panique.
- C’est moi, ai-je dit avec une timidité presque irréelle.
Et, esquissant un geste respectueux, j’ai demandé l’autorisation de m’asseoir. Qu’elle m’a donné en souriant.

Dans ce récit, l’auteur manipule le lecteur. Cette manipulation me fait penser aux miroirs qui se reflètent les uns les autres, qui renvoient des images d’images et dont l’image d’origine, la réelle, est perdue dans ces reflets.


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