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Syrie : La France appelle le CNS à former un gouvernement provisoire...mais quid des fractures ethnico-religieuses

Par Theatrum Belli @TheatrumBelli

Les dernières défections et la nature même des confrontations sur le terrain renforcent l’aspect confessionnel du conflit syrien. La communauté internationale est-elle capable aujourd’hui d’agir d’une manière déterminante en Syrie à travers une action militaire ? Cela alors que tous les signes d’un conflit sectaire et confessionnel sont détectables dans une guerre que tout le monde s’accorde à qualifier de civile. Dans cette nouvelle configuration, le départ ou le maintien de Bachar el-Assad à la Présidence est-il toujours décisif ?

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(Photo : Rebelles syriens dans le quartier Saif al-Dawla, dans le centre d'Alep, le 22 août 2012)

 

L'impact des défections

Dans mes précédents articles sur la Syrie, j’ai été très réticent à qualifier le conflit de sectaire ou de confessionnel. Désormais ces deux aspects sont de plus en plus perceptibles, depuis la défection du Premier ministre nouvellement nommé Ryad Hijab. En trouvant refuge avec sa famille dans la Jordanie voisine, ce baasiste de carrière et de conviction devient le plus haut dignitaire du régime à quitter le navire depuis le début de la contestation (entre 15 et le 18 Mars 2011). Malgré plusieurs défections à différents échelons du pouvoir, aucune défection d’officiels alaouites, chrétiens ou druze n’a été signalée. (1) 

A l’inverse du cas libyen - où la chute de Mouamar Kadhafi et de son régime ont été sensiblement accélérés par les défections - on se retrouve dans une situation paradoxale où les défections ne provoquent pas une réaction en chaîne similaire. Mais bien au contraire ces défections marquent et accentuent la nature confessionnelle du conflit et renforcent la détermination des Alaouites à mener le combat, que ça soit par peur d’un avenir sous domination sunnite ou par conviction.

Avec l’assabiya confessionnelle primant sur les choix politiques d’un côté comme de l’autre, les responsables et officiels sunnites se retrouvent dans une situation où leur soutien au régime devient insoutenable.Même si d’autres défections de hauts responsables suivront celles de Manaf Tlass (Brigadier-Général, à la tête de la 105e brigade de la Garde Présidentielle) et de Ryad Hijab (Premier Ministre) et même si les rumeurs de défection de Farouk el-Charaa (Vice-président de la République) se confirment, toutes ces personnalités appartiennent à la majorité sunnite. Au stade actuel il est normal pour chacun d’eux, comme pour bien d’autres appartenant à cette majorité, de se séparer du régime. Comme il est normal pour ceux appartenant à la minorité alaouite de continuer le combat. D’un côté comme de l’autre, ces hommes dessinent et dévoilent les nouveaux clivages de la société syrienne.

On n’est plus dans la configuration d’un pouvoir qui réprime son peuple, mais plutôt dans une guerre civile qui est aussi une guerre de survie pour les uns comme pour les autres . Sans pour autant que ce développement n’occulte les mois de répressions sanglantes qui ont précédés et accompagnés la militarisation de la rébellion. Dans cette configuration façonnée par une violence à l’œuvre irréversible, la durée ou l’issue du conflit deviennent secondaire.

Avec une telle évolution, la présence d’Assad à la Présidence est aussi de moins en moins importante quand à la résolution du conflit ou même à son issue . Suivant la même logique, l’impact des défections sunnites est de moins en moins important.Sans oublier la maladresse inouïe du Président du Conseil National Syrien (CNS) Abdel-Baset Sieda annonçant en direct sur France24 que Tlass et Hijab "n’auront pas de rôle important à jouer" à cause de leurs défections tardives. Avec cette déclaration Sieda minimise lui-même l’impact des défections et dissuade ceux qui comptaient suivre ce chemin périlleux pour eux comme pour leurs proches. (2)


Le dilemme des Occidentaux

La radicalisation de la rébellion est une source d’inquiétude pour les pays occidentaux et à leur tête les États-Unis. Certains estiment qu’une aide plus consistante aux rebelles assurera à Washington une influence dans la Syrie de demain. Mais cette vision des choses est, du moins qu’on puisse dire, erronée. Quand on regarde les précédents exemples historiques on remarque qu’une telle aide n’a jamais été garante de la loyauté politique des bénéficiaires, les exemples afghan et irakien étant les plus pertinents.

Une intervention directe renforcera l’effort militaire des rebelles, mais inévitablement aussi les branches les plus radicales d’une rébellion hétéroclite, sans pour autant mettre un terme au conflit. Cela à défaut de bénéficier au régime qui y verra une preuve du "complot occidental" décrié dès les premières heures de la contestation (3). Les décideurs occidentaux sont conscients de cette réalité qui compliquerait encore plus la donne syrienne et obligera la communauté internationale à endosser la responsabilité de tout dérapage sur le terrain.

Si l’aide nécessaire à la victoire de la rébellion est assurée, les puissances occidentales demeurent dans l’incapacité de garantir la sécurité des Alaouites et des autres minorités assimilées à tort ou à raison au régime. Avec une rébellion de plus en plus djihadiste, ces minorités risquent de payer le prix fort. Comme dans toute guerre civile et d’après plusieurs organismes internationaux - même si la violence de la machine de guerre baasiste demeure inégalée - les exactions sont désormais le fait des deux camps.

Dans son discours de la Conférence des Ambassadeurs, le président de la République François Hollande appelle le CNS à former un gouvernement provisoire, qui sera reconnu en tant que "représentant légitime du peuple syrien". Si la formation d’un tel gouvernement est une étape indispensable, sa formation demeure un défi considérable pour une opposition fragmentée malgré plusieurs tentatives d’union. Mais une fois ce gouvernement formé, aura-t-il la possibilité d’arrêter les combats, de contrôler le terrain ou du moins de donner des ordres aux factions armées ?

Beaucoup d’acteurs, de chercheurs et d’observateurs du conflit s’accordent sur la nécessité d’un changement politique en Syrie, mais beaucoup demeurent en désaccord sur la pertinence d’une aide militaire aux rebelles et sur la capacité de l’opposition à contrôler les agissements des rebelles. International Crisis Group (ICG) estime que le conflit étant désormais "fondé sur des considérations ethniques et religieuses, il se poursuivra avec ou sans Assad".

L’avenir de la Syrie dépend plus que jamais de l’évolution des combats. Pour le régime comme pour les rebelles, chaque quartier, chaque rue et chaque maison ont une valeur stratégique. Tant que l’armée syrienne contrôle Damas, le Président pourra conserver sa stature présidentielle, du moins aux yeux de ses soutiens nationaux et internationaux. D’un autre côté, tant que les rebelles sont dans la capacité de conduire des opérations dans la capitale, aussi sporadiques ou minimes soient-elles, ils menaceront cette stature. Le jour où Damas tombe entre les mains des rebelles, l’importance d’Assad devient dérisoire en comparaison avec celle de ses chefs militaires qui se battent sur le terrain. Après un tel retournement, il n’est pas étonnant de voir une lutte interne s’enclencher au sein du camp alaouite et le Président syrien serait très probablement évincé. En attendant, sa destitution ou même sa mort n’arrêteront certainement pas la guerre en cours…

Wassim NASR

NOTES : 

(1) Ces défections, qui marquent par leur nature un tournant du conflit syrien, ne touchent pas l’appareil sécuritaire toutes confessions confondues. La majorité des officiels sunnites à l’instar d’Ali Mamlouk, à la tête de l’appareil sécuritaire, sont toujours opérationnels.

(2) Il est à noter que les responsables appelés à faire défection et approchés par des pays comme le Qatar et l’Arabie Saoudite qui ont consacré des budgets aux défections, sont tous sunnites aucune tentative du genre n’a été signalée vis-à-vis de responsables chrétiens ou alaouites.

(3) La CIA et d’autres services occidentaux essayent tant bien que mal de filtrer l’aide militaire aux rebelles syriens à la frontière turque, en évitant que du matériel sensible ne tombe entre les mains des plus radicaux.


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