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Quand un journaliste de marché et un économiste de marché vendent un bouquin dans la matinale de France Inter

Publié le 05 septembre 2012 par Vogelsong @Vogelsong

“Pour tromper le monde, ressemblez au monde” W. Shakespeare in Macbeth

 Lorsqu’un disciple de L. Walras dénonce la cupidité du monde et la mainmise de l’économie sur nos existences, il est bon de rester sur le qui-vive. D’autant plus quand on est un journaliste du service public. Le 4 septembre 2012, P. Cohen accueille chaleureusement D. Cohen pour l’aider à vendre son dernier ouvrage. C’est avec une certaine audace que l’animateur de la matinale a fait l’impasse sur les activités passées (et pas si lointaines) de son invité. Qui se lance dans un propos qui ne manque pas de piquant : benoitement refourguer le retour du politique face aux inepties du calcul froid des agents économiques. De ces calculs mêmes qui ont mené les sociétés humaines au bord du gouffre économique. Et dont D. Cohen, Walrassien et néo-classique, même s’il n’en est pas directement responsable en est tragiquement complice, au moins par son incompétence et son aveuglement.

Quand un journaliste de marché et un économiste de marché vendent un bouquin dans la matinale de France Inter

Christopher Dombres

En 2004, D. Cohen déclarait “A priori, je suis catalogué parmi les économistes dits néoclassiques, héritiers des théoriciens de l’équilibre général à la Walras. Je me définirais plutôt comme un économiste pragmatique”. Le journaliste de la chaine publique aurait pu recueillir cette information en quatre clics, histoire de savoir et de comprendre d’où vient et d’où parle son prestigieux invité. Et d’en faire profiter ses nombreux auditeurs assoiffés de sens. Gageons qu’il le savait mais qu’il a préféré passer ces éléments trop complexes sous silence.

Car D. Cohen est un personnage prestigieux dans le monde de l’astrologie économique. Conseiller de la Banque Lazard auprès de la Grèce et de son dirigeant G. Papandréou. Avec les résultats économiques et les conséquences humaines que l’on connaît. C’est un invité plutôt guilleret qui déverse son savoir pendant 40 minutes d’entretien cordial. Cordial et vertical. P. Cohen simulant l’inculture candide face à l’expert académique assénant sa “science”. Laissant penser que la “science” (économique) ne justifiait aucune objection idéologique de la part du journaliste. Puisque comme tout le monde le sait, l’économie n’est que la chronique objective du libéralisme.

Belle mise en abîme d’ailleurs puisque l’ouvrage achalandé dans la matinale traite de l’hyper puissance économique et son incapacité à se remettre en cause, avec en filigrane le retour du politique comme possible critique et solution. Mais en pratique, cela reste l’économiste qui fait son autocritique, dans une posture tellement plus confortable, avec un monsieur loyal mettant en scène cette pitoyable autoanalyse.

Outre sa Légion d’honneur, D. Cohen entre aujourd’hui dans les médias avec un certificat de bonne conduite à gauche, puisque conseiller du président de la République F. Hollande. Pour l’auditeur qui n’a pas la mise en perspective du passif pragmatique, néoclassique et Walrassien, tout semble donc sous contrôle. Pourtant, c’est bien la religion libérale des équilibres optimaux sur un marché qui sont à la source de la crise. Crise systémique dit-on. C’est précisément cette croyance d’économistes banquiers qui a irrigué toute la pensée économique d’avant le collapsus de 2008. Et ensuite, étrangement.

D. Cohen a le droit de changer d’avis face au réel. Il est aussi capital de savoir qui change d’avis et pourquoi. De garder en mémoire que ceux qui se trompent depuis 30 ans continuent d’apporter des solutions aux éléments qu’ils ont eux-mêmes eu l’incompétence de négliger. Des impérities qu’ils ont coproduites avec la presse, qui ne se borne qu’à commenter (sans critiquer) le système économique dominant. Des journalistes bien contrariés quand il fallut normalement se passer d’experts économiques incapables qu’ils favorisèrent eux-mêmes. Soulignant de fait une de leurs propres incompétences dans le choix des spécialistes. Au lieu de s’en séparer et d’en délivrer les auditeurs, ils optent pour une énième possibilité offerte au loser de se planter une fois supplémentaire. Et qui sait, de faire machine arrière pour opérer un retour à ses fondements neo classiques au gré de nouvelles circonstances.

En l’occurrence D. Cohen, banquier, a l’opportunité rare de faire commerce de ses retournements de vestes, de ses nouvelles dispositions morales face à l’argent roi. Après tout.

Il existe des économistes hétérodoxes (entendre non libéraux) n’ont pas voix au chapitre. Des économistes qui ne disposent pas d’une possibilité de se gourer (sans cesse). Parce qu’on ne sait jamais, ceux-là pourraient avoir raison du premier coup.

Vogelsong – 4 septembre 2012 – Paris


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