Frontières
“Mais nous, à qui le monde est patrie, comme aux poissons la
mer…”
Dante Alighieri
Qui a promis la terre promise ?
Dieu avait plus d’un slogan dans son sac à prophéties, et plus d’un rêve de
sang en lieu de lait et de miel.
C’est une malédiction moderne qui a imposé des bornes et des barrières
aux horizons nomades,
aux horizons que les caravanes empruntaient à leur guise, à leur rythme, à
leurs risques et périls certes,
mais librement, librement
Les confins, les lisières avaient un goût de défi et d’appel,
un goût de mémoire inconnue.
On partait avec des cartes incertaines où tout était possible. Le désert et le
gîte. L’embuscade et la steppe. L’altitude et la soif. Le vertige et la plaine.
Zones sans gardes ni entraves, passages livrés aux pèlerins, aux voyageurs, aux
insoumis,
terrains si vagues qu’ils touchaient aux songes du ciel.
En marge se projetaient tous les élans du cœur.
Les frontières désormais tiennent le centre et les rives, s’inventent
des rendez-vous sur un surcroît de ruines,
sortent de partout comme des licols d’importation jusqu’à étrangler le moindre
désir d’espace,
le moindre sursaut de souffle
et toute vie intérieure.
La loi des états semble le contrecoup panique de la grand peur qui hante
les sédentaires.
Et les pays cadenassés pullulent. Et ils s’accrochent à leurs limites. Et ils
contrôlent. Et ils répriment. Et ils tuent.
La loi des états est la pire imposture.
Les pays oubliés crèvent dans une poussière d’exil, dans des bivouacs de
boue,
dans le non-lieu d’une vieille blessure.
Ils échangent remords pour vengeance, légende pour programme, servitude pour
servitude,
avec dans le sablier la même dose de poison que d’espoir.
Car les frontières existent au dehors, au dedans.
Les frontières existent comme rarement sur terre et dans les têtes.
Leur pouvoir d’étouffement n’a jamais été aussi nocif. Aussi aveugle. Aussi
sanglant.
Leur treillis n’a jamais été aussi serré. Aussi poisseux. Aussi dément.
Car les frontières existent et renaissent
à la solde des milices, des clergés et des clans.
Pour un mur abattu, combien de solitudes bardées de barbelés?
Combien de nations ressuscitées aux forceps et changées aussitôt en autant de
fosses communes?
C’est la nouvelle lutte finale.
Tous contre tous. Frère contre frère. Voisin contre voisin. Dieu contre Dieu.
Qui a promis la terre promise ?
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Le septième sommet – Poèmes pour Chantal Mauduit
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Toi, et ton cri de joie au téléphone avant même de parler
Toi, transfigurée à l’écoute d’un poème, essoufflée comme si tu venais de courir sur un tapis d’étoiles
Toi, répétant l’oracle “c’est beau ! c’est beau ! c’est beau !” avec cette voix d’enfance qui n’est pas une voix d’enfant
Toi, la tête souvent à la renverse
Toi, riant
Toi, riant par-dessus toute rumeur
Toi, riant d’un rire de source, d’un rire espiègle, d’un rire de bienheureuse espiègle, d’un rire de surprise et d’éveil
Toi, que j’embrasse pour la première rue de Sommerard, puis dans la cour du musée de Cluny
Toi, te conduisant très mal sur un banc du jardin du Luxembourg
Toi, seule spectatrice, immobile dans l’ombre du théâtre Molière pendant trois heures de répétition
Toi, lovée, le regard mauve
Toi, riant du chahut d’une horde d’Anglais dans la chambre d’à côté
Toi, riant de mes vanités d’homme trop occupé
Toi, riant en prenant l’ascenseur
Toi, te conduisant très mal sur la moleskine du Café Français
Toi, seule spectatrice, immobile dans l’ombre du théâtre du Rond-Point pendant trois heures de répétition
Toi, têtue, dents serrées, secouant tes cheveux
Toi, virevoltant, mimant une jonglerie avec les feuilles d’automne et le vent
Toi, dansant au bas des vignes de Montmartre, rue Saint-Vincent
Toi, te conduisant très mal à l’arrière du scooter et m’empêchant de conduire
Toi, bouche et ongles
Toi, paroles fauves
Toi, perdue dans la foule du théâtre des Cultures du Monde et t’enfuyant pour ne pas rompre la magie
Toi, avec la grâce d’une gravité très douce évoquant le danger
Toi, chuchotant le nom de tes amis morts
Toi, caressant le caillou bleu semé d’une poussière d’or que je viens de t’offrir
Toi, les yeux pleins de larmes à ton retour de Dharamsala
Toi, en équilibre sur la rambarde de fer me repérant de loin en bondissant
Toi, abandonnant tout et tous au milieu d’un repas quand j’appelle à l’improviste
Toi, l’émerveillée qui émerveille
Toi, l’impulsive à l’infinie tendresse
Toi, l’irradiante qui s’offre paumes ouvertes au soleil
Toi, t’étirant dix minutes au téléphone si je te réveille à midi
Toi, et ce qui n’appartient qu’à nous
Toi, riant à mon épaule
Toi, riant de trois nuits sans sommeil
Toi, riant dans un matin de pluie légère à Lisieux, et me disant : tu m’en fais voir du pays !
Toi, te conduisant très mal sur une banquette de train, à l’aller comme au retour
Toi, la plus pudique des impudiques, la plus conquérante des dépossédées
Toi, passionnément démunie et distribuant partout le trésor des songes
Toi, pleurant du fond de l’âme sur une épouvante qui me concerne seul
Toi, pas à pas avec moi dans cette géhenne intime
Toi, soignant les pires douleurs avec un peu d’azur récolté chez les dieux
Toi, glissant une rose sous ton blouson, contre ta peau
Toi, entrant à reculons sous le proche du faubourg Saint-Antoine en me jetant des brassées de baisers
Toi, et l’écho de ton rire sous la voûte
Toi, téléphonant des pentes du Dhaulagiri, la voix voilée par l’altitude
Toi, m’envoyant encore des lettres des quatre coins du monde huit jours après ta mort
Toi, léguant aux migrations de l’univers le chant de notre amour
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Zone d’embarquement
Il se peut que le Vieil Océan sonne creux désormais
et que le hasard n’ait rien aboli.
Ce qui chante dans nos mémoires
prend-il congé de nous
comme une fausse alerte
en zone d’embarquement ?
Dis, Pedro Calderón de la Barca,
où s’est envolé le voilier de nos rêves ?
Il est trop de poèmes réduits au petit feu
de bruits de glotte qui glosent,
même si la poésie de n’en va pas revenir sur ses pas,
même si je n’est pas un autre, parfois.
Le vagabond au cœur sauvage
rameute autant qu’il peut.
C’est à ruiner l’enclos du vent
que s’épuisent nos lèvres et nos dents.
Dis, Pedro Calderón de la Barca,
en quelle vie prolonges-tu notre songe ?
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Le site d’André Velter avec Bio, biblio etc