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La littérature, quand tout le reste a raté !

Publié le 08 septembre 2012 par Perce-Neige

La littérature, quand tout le reste a raté !Bon, il exagère vraiment... C’est excessif au centuple comme le sont tant, et tant, de discours hérités, en ligne directe, de ces années de plume touchées par la grâce. Mais tout de même… Prenons-en de la graine, si je puis dire ! Ce que je lis, de Jean-François Duval, dans « Kérouac et la Beat Generation », aux PUF,  entre, cette fois, pleinement en résonance avec certaines conversations, prolongées, cet été, si tard, dans la somptuosité paisible de nuits étoilées. Car Ken Kesey semble, surtout, nous inviter à cultiver cette aspiration à vivre la plénitude des choses qui, définitivement, constitue, dit-il, le cœur de l’expérience humaine. Admettons que la littérature ne soit, pour beaucoup, qu’un pis aller, même si je prétends, pour ma part, qu’elle est, plus souvent encore, d’abord une jubilation… Mais aussi une clé... Une synergie... Un prodigieux carburant pour densifier le temps, lui donner une profondeur inouïe, parfois... Admettons… Car d’autres échos, insistants, savent aussi rire à la perfection de nos pitoyables chimères… 
Des oies sauvages passent dans le ciel en poussant des cris. Ken Kesey lève la tête, ouvre la bouche, relance très haut leur cri, imité à la perfection. Elles lui répondent une à une, en une succession d'échos. À deux pas, le hangar est un extraordinaire capharnaüm, une caverne d'Ali Baba, avec un faux squelette qui pend d'une poutre et un vrai perroquet vert qui s'envole aussitôt de son coin pour voleter jusque sur l'épaule de Ken Kesey. À l'intérieur, le bus. Minutieusement peint à l'acrylique par Ken Kesey lui-même, coloré, décoré de motifs entrelacés comme un temple hindou. Instrument d'une magie. Incarnation concrète du voyage intérieur. Mânes des sixties. Vaisseau fantôme lancé désormais à la poursuite de Merlin. Enchantement pour enchanteur. Ça n'est pourtant qu'un nouvel avatar du bus mythique, un reflet, une réplique. Puisque le vrai, l'authentique, rouille à deux cents mètres, invisible au milieu du bosquet, au bord de l'étang, couleurs évanouies, époque fanée, passée. Mais en est-on à un avatar près? Bourdonnement du moteur. Avec Ken Kesey au volant, le bus émerge lentement du hangar, où il était serti comme un joyau multicolore, une chatoyante et précieuse pierre philosophale. Maintenant, il rutile, jubile même, dirait-on, au soleil. On admire. « C'est ce que j'ai fait de mieux dans ma vie ! » crie Ken Kesey par­dessus le vacarme du moteur. « Ma plus belle réussite, c'est ça. My main achievement. » Jean-François Duval : « Quoi ? Le bus ? Vous voulez dire, mieux que vos livres, mieux que Vol au-dessus d'un nid de coucou ? Mieux que Sometimes a Great Notion et Sailors' Song, tous vos romans melvilliens ? Plus important que votre œuvre littéraire ? » Ken Kesey : « Ah oui ! Beaucoup plus ! Les romans sont de magnifiques et indispensables instruments pour appréhender le monde, pour en élargir notre compréhension. Si on les appelle novelsen anglais, c'est bien parce qu'ils sont censés amener de la nouveauté. Ils sont là pour combler un manque. On les écrit quand tout le reste a raté, quand notre rapport au réel a failli. Ils sont le fruit de l'échec, des produits d'après la chute. Mais à bord du bus, nous étions high, exactement sur la route, dans la plénitude des choses et au cœur de l'expérience humaine. Vous comprenez ? » (Me faisant signe de passer sur le côté droit de l'engin) « Venez, montez. La portière est grande ouverte. » Ken Kesey : « Yeah, peu de livres sont capables de modifier réellement notre vision du monde... Le bus l'a fait. » Un vrai véhicule. Me voilà assis aux côtés de Ken Kesey à bord de ce qu'Allen Ginsberg appelait la concrétisation matérielle des rêves les plus fous et les plus colorés. À croire que nous avons délivré de sa roche l'épée Excalibur, avec le Saint Graal désormais pour ligne d'horizon. Ken Kesey : « Vous saisissez ? » À deux pas, Babbs se recule, nous adresse un signe d'adieu. « Hey, guys, I’m going home. Good luck. » La ferme, son étoile, le signe du kangourou s'effacent derrière nous. Ken Kesey, seul maître à bord, devant le ruban de la route qui ne cesse de se dérober sous notre avancée, regarde droit devant. Ken Kesey : « La grâce… » me dit-il en roulant par les collines « ça ne s'achète pas, ça ne se trouve pas, ça ne se recherche pas. La grâce ça s'accueille. »

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