Décryptage RELATIO, par Daniel RIOT
« Notre vrai ennemi héréditaire ce n’est pas l’Allemagne, c’est l’Angleterre », soupirait De Gaulle… en prédisant : « Les Anglais ? Ils ont essayé de torpiller le Marché Commun de l’extérieur. Ils tenteront de faire la même chose de l’intérieur »… Histoire ancienne ! D’un temps où le même général s’écriait : « l’Angleterre, je la veux toute nue ! ». Et où personne ne pouvait imaginer qu’un jour un Président de la république française effectuerait une visite d’Etat dans le Royaume de la Reine Victoria avec, à la Une des journaux populaires, la photo de la première Dame de France nue et vendue aux enchères chez Christie’s…
Mais pas de mauvais esprit. Carla a fait honneur à l’élégance française et, semblant très à l’aise dans cette ville de Londres qu’elle dit préférer à Paris, elle a selon les commentateurs (politiques ?) londoniens « donné une leçon de style »…
Sarkozy, lui, a déçu ceux qui attendaient une gaffe dès le premier soir. Le fraque, oui, les frasques, non. Juste une petite faute de goût : quel besoin a-t-il eu de vanter lui-même la qualité de son habit taillé pour la circonstance ? La « rupture » avec le style « bling bling » (qui passe mal dans les sondages) n’est pas facile. Mais encore un effort… Et tout ira mieux. « Suivre sa pente, mais en remontant », redirait Gide. En attendant, rien de mieux qu’une étiquette royale pour renouer avec des postures présidentielles…
Sarkozy a fait des efforts aussi pour ne pas (trop) tomber dans le piège de « l’entente cordiale » chantée sur tous les tons dans ce type de rencontres…en oubliant une chose que l’on connaît bien outre-Rhin :l’entente cordiale n’était pas une lune de miel fanco-anglaise, mais une entente anti-allemande. Entre des Français pris de peur par la montée en puissance de l'Allemagne impériale et des Anglais très heureux d’y voir une excellente occasion d’éloigner ce qu’ils ont toujours redouté :un continent uni…
De l’entente cordiale, il fut question. Sarkozy veut même une « amitié », une « fraternité » qui seraient mieux que « l’entente cordiale ». Mais il a pris soin de ne pas l’opposer la coopération franco-allemande. Il tente même, d’une façon visible, affirmée et un peu trop souligné de jouer les « traits d’union » entre Merkel et Brown. Comme si lui-même n’avait pas assez de problèmes à régler avec la première et pouvait être suffisamment persuasif pour faire sortir les Iles britanniques de leur euro-négativisme qui les fait bénéficier de tant d’exceptions et fait de Londres une capitale plus hostile à une Europe authentiquement politique que… Washington.
Enfin, dans ce type de cérémonies, on tartine ce qui rapproche. On ne se gratte pas les plaies. Et on trouve des mots qui mettent du baume au cœur.
Ecoutons Sarkozy :
"Au nom du peuple français, je suis venu proposer au peuple britannique qu'ensemble nous écrivions une nouvelle page de notre histoire commune, celle d'une nouvelle fraternité franco-britannique", a dit le président, martelant le message-clé de son voyage
"Ce que souhaite la France est simple : toujours plus d'entente, toujours plus de coopération, toujours plus de solidarité (...), tout le justifie : notre statut commun de membre permanent du Conseil de sécurité, nos responsabilités de puissance nucléaire, l'influence que nous exerçons chacun dans une partie du monde, notre appartenance commune à l'Union européenne, notre attachement viscéral à la démocratie et à la liberté", a-t-il ajouté sur le ton de la conviction qu’il sait si bien avoir. .
Au titre de la "nouvelle fraternité" franco-britannique, le président français a notamment cité "la nécessité de la réforme" du capitalisme financier, la lutte contre le réchauffement climatique, la promotion de l'énergie nucléaire et la réforme des institutions internationales. Sur ces questions là, les vues anglaises et françaises sont (presque) covergentes.
M. Sarkozy a également exhorté la Grande-Bretagne à prendre toute sa place dans la construction européenne, appelant à une alliance privilégiée entre les deux pays, en renfort de l'axe franco-allemand, "indispensable" mais "pas suffisant". "Ce que nous ferons ensemble n'aura tout son sens et toute son efficacité que si nous l'accomplissons d'abord au sein de l'Europe (...). Je suis venu vous dire, chers amis britanniques, que l'Europe a besoin du Royaume-Uni".
Sous-entendu d’un Royaume-Uni qui ne soit plus un frein de la construction européenne mais un accélérateur. Mais depuis que Heath a été tué par Magie Thatcher « l’idée européenne » n’a pas été ressuscitée outre-Manche par Tony Blair que Sarkozy verrait pourtant bien en « Monsieur Europe »… ce qui est plus que paradoxal. Mais ne déplait pas à Brown pour qui être un bon « européen », c’est donner la priorité à la diversité sur l’unité et écouter ce que l’on dit à Washington avant de penser par soi-même.
Mais Gordon Brown a liu aussi trouvé le ton de circonstance. Lui qui refuse une Europe consistante et puissance veut une europe…mondiale. Il l’ a dit dans un entretien acordé au Monde. Joli morceau de rhétorique. Extraits :
« Le président Sarkozy n'est pas seulement un bon ami depuis des années; nous avons travaillé ensemble lorsqu'il était ministre des finances et nous partageons la même vision du monde globalisé. France et Grande-Bretagne peuvent donc travailler main dans la main avec des intérêts communs et des valeurs partagées. C'est le cas, vous le verrez dans les prochaines semaines, des réformes des institutions internationales nées en 1945 : ONU, Banque mondiale, Fonds monétaire international. Ces organisations ne correspondent plus aux défis de 2008. Le président Sarkozy et moi avons les mêmes projets, et nous travaillons en tandem. (..) Depuis une décennie ou deux, à cause de son élargissement, qui est une grande réussite, car il apporte la paix et la prospérité aux pays de l'Est, l'Europe s'est concentrée sur elle-même et son organisation à vingt-sept. Le traité de Lisbonne décide de ce fonctionnement. Maintenant, dans l'économie mondialisée, elle doit se positionner vis-à-vis de l'extérieur.
L'Europe doit devenir un acteur global, elle doit construire une société capable d'affronter les changements climatiques, la lutte contre le terrorisme, les Etats voyous, la pauvreté et être en mesure de créer une coopération économique entre les pays riches et les pays pauvres.
Comme une entité, elle peut être leader sur l'environnement et changer la manière dont le monde voit le changement climatique. Elle peut mener la bataille contre le terrorisme et l'instabilité. Elle peut être à l'avant-garde de la création d'une société qui intègre, où toutes les populations peuvent bénéficier de la prospérité. Elle peut faire de grosses différences dans les relations entre riches et pauvres, elle est le plus gros donateur. L'Europe mondiale, l'Europe unie, travaillant ensemble pour des enjeux mondiaux dans la société mondiale est capable de changer fondamentalement les choses »
C’est beau, non ? Royal. De beaux discours, comme on peut dire de « beaux habits » dans de belles cérémonies… Mais ne sombrons pas dans un scepticisme teinté d’un humour pas assez britannique : les entretiens sérieux ne commencent qu’aujourd’hui.
Daniel RIOT