Magazine Journal intime

Coup de vieux

Par Pierre-Léon Lalonde
Ça fait un bon bout de temps que Montréal me fait tourner en rond, que je l'ai dans la tête. Là pourtant, elle commence sérieusement à me rentrer dans le corps. Je viens de me taper une autre nuit à slalomer dans les rues démolies de la ville. J'ai le dos qui me crie vengeance et les épaules qui m'élancent. Des signes qui ne trompent pas. Je commence à me faire vieux.
L'autre soir, je roule dans le centre-ville quand mon téléphone sonne.
— Allo c'est Roxanne, comment ça va?
— Salut Roxanne ça va bien et toi?
— Ça va bien. Peux-tu venir me chercher?
Je fais semblant de rien et tente d'étirer la conversation. J'essaie de gagner du temps, car je n'ai pas la moindre idée avec qui je parle. Il m'arrive de temps à autre de laisser mes coordonnées à des clients. Je détermine assez rapidement qui est à l'appareil quand on m'appelle, mais là, j'ai beau travailler fort pour faire connecter les bons neurones, je n'arrive pas à déterminer qui c'est cette Roxanne. C'est encore plus flou lorsqu'elle me donne une adresse dans Parc-Extension. C'est un peu loin d'où je me trouve et ça m'embête un peu de traverser la ville pour aller jusque-là. Surtout pour quelqu'un que je n'ai pas l'impression de connaître. Je lui demande alors un peu mal à l'aise :
— Excuse-moi Roxanne, mais comment t'as eu mon numéro?
— Ben là! Tu me reconnais pas? Roxanne la fille d'Éric et Jolène!
— Ah Roxanne! Je te niaisais...
Pas pantoute. Je ne l'avais pas reconnue du tout. La fille de vieux amis à moi. Une enfant que j'ai vue aux couches, que j'ai vue grandir et devenir une belle jeune femme. Pourtant quelque part dans le fond de mon crâne, Roxanne c'est toujours la petite fille de mes amis. Pas cette jeune femme qui commence à sortir tard le soir ou du moins assez tard pour appeler des taxis de nuit. Ça m'a foutu un coup de vieux. Un autre. Ben oui c'est là que t'es rendu, mon Léon...
Qu'est-ce que je peux ajouter? Avant je m'éclatais à fond la caisse. Maintenant je m'éclate au fond d'une caisse. À bien y penser y'a pas grand-chose qui change. La roue continue de tourner. On vit, on vieillit, on prend ce qui passe, on en laisse aussi au passage. Échange de bons procédés?
Cette nuit, la route m'a filé un sale coup de blues. Assez pour que je parque le taxi. Assez pour réfléchir à mon avenir. Habituellement je roule pour m'étourdir, pour oublier le temps qui passe, le temps perdu. Cette nuit, j'écris. Des signes qui ne trompent pas...

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