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Il n’est de richesses que d’hommes…

Publié le 20 septembre 2012 par Copeau @Contrepoints

La découverte de l’Amérique n’est pas seulement la découverte d’un nouveau continent. C’est aussi et surtout une expérience institutionnelle et politique nouvelle qui va donner sa chance à tous les entrepreneurs du monde entier.
Par Jean-Louis Caccomo.

Il n’est de richesses que d’hommes…
Lorsque j’ai écris mon ouvrage sur l’innovation, je suis parti d’une observation simple mais pourtant troublante et aux implications considérables : pourquoi, à partir de la seconde révolution industrielle jusqu’à la révolution numérique actuelle, les vagues technologiques sont-elles venues des États-Unis alors que c’est l’Europe qui avait la science ? [1]. Sans parler des Bill Gates, Steve Job ou autres Mark Zuckerberg qui ont marqué la révolution internet, Edison bouleverse le monde à la fin du XIX° siècle en déposant, entre autres, le brevet sur l’ampoule électrique et fonde la General Electric qui va devenir un empire mondial et faire de l’électricité la technologie générique de la seconde révolution industrielle.

À la même époque, les frères Lumières inventent le cinéma en France mais les entrepreneurs américains, d’origine italienne, créent l’industrie cinématographique à Hollywood. Alors que le cinéma en est à ses balbutiements, un certain Walt Disney a l’idée de photographier des dessins dans son atelier pour mettre au point le premier long-métrage en dessins animés. On sait depuis ce qu’est devenu l’empire Walt Disney.

De son côté, Rockefeller s’intéresse à un déchet fossile et rachète le premier puits de pétrole à Titusville en Pennsylvanie pour une bouchée de pain. Dans la foulée, il fonde la Standard Oil Company qui va devenir une firme mondiale, installant l’industrie pétrolière qui va porter, avec l’électricité, la seconde révolution industrielle. Enfin, Ford va appliquer les principes du taylorisme à la construction automobile, transformant un objet de luxe pour aristocrates fortunés en un bien de consommation de masse, inaugurant l’ère du fordisme.

Pourtant, l’Europe a hérité du savoir des penseurs et savants de l’antiquité grecque. Puis il y a eu la Renaissance qui nous a laissé des Leonard de Vinci, Pascal, Descartes, puis ensuite Newton ou Einstein et tant d’autres encore. Mais, à partir du XIX°, l’innovation technologique, qui a nourri la croissance économique, est venue pour l’essentiel d’outre-Atlantique.

On diabolise beaucoup « l’empire américain » en prenant le risque de s’enfermer dans une dénonciation stérile et aveugle mais on ne peut pas comprendre les sources de la puissance américaine sans prendre en compte son histoire si singulière.

Le 4 juillet 1776, la Déclaration d’indépendance des États-Unis est proclamée et les treize colonies britanniques se déclarent États souverains en se dotant de Constitutions écrites. La première république du monde moderne et née. La relation entre l’Europe et le nouveau monde est alors ambigüe et complexe. Évidemment, les Anglais, ridiculisés par la guerre d’indépendance, ne croyaient pas à l’expérience américaine. Peuplés d’anciens bagnards ou par la « populace » qui fuyaient l’Angleterre des privilèges, les Anglais considéraient que les États-Unis ne s’en sortiraient pas longtemps tout seuls.

Bien-sûr, les Français ont aidé les Américains à prendre leur indépendance, notamment avec le marquis de La Fayette, un aristocrate français d’orientation libérale, officier et homme politique, consacré comme un véritable héros de la guerre d’indépendance des États-Unis. Mais c’était surtout pour affaiblir notre ennemi ancestral, la « Perfide Albion ». Car la couronne française ne croyait pas non plus à l’Amérique. Et pour cause, qui peuplait le nouveau continent ? Certainement pas des nobles : jamais ils n’iraient s’installer dans une république où ils perdraient tous leurs privilèges.

Depuis des siècles, les nobles en Europe ne payaient pas d’impôts et ne travaillaient pas. Pourtant, ils avaient un train de vie largement supérieur à la moyenne dans un contexte de croissance économique quasiment nulle. Alors cette charge retombait essentiellement sur la classe productive – les paysans ou tiers-état – qui n’avait aucune chance de s’enrichir. Il n’était d’ailleurs pas très bien vu de prendre le risque de réussir et de devenir plus riche qu’un noble ou que le roi. Même un seigneur devait veiller à ne pas dépasser le roi : aucune tête ne doit dépasser dans un pays où l’immobilité sociale était héréditaire…

Les nobles ont d’ailleurs toujours rejeté les « parvenus » dont la réussite sociale provenait du travail ou du commerce. Le travail, c’était la marque du peuple, des domestiques ou des esclaves. Ce sont donc des gens du peuple, ceux qui n’avaient rien à perdre, qui ont quitté la France et l’Europe pour tenter leur chance en Amérique. Certes, bien avant la découverte du nouveau monde, les plus entreprenants quittaient déjà les campagnes pour fonder les bourgs, qui étaient de véritables « zones franches » qui échappaient à l’impôt féodal. On les appelait les « bourgeois » et ont donné naissance aux grandes villes qui sont devenues les poumons économiques de l’Europe.

Ainsi, la découverte de l’Amérique, ce n’est pas seulement la découverte d’un nouveau continent et de nouvelles ressources naturelles. C’est aussi et surtout une expérience institutionnelle et politique nouvelle qui va donner sa chance à tous les entrepreneurs du monde entier. Thomas Jefferson lui-même, parce qu’il est aussi un inventeur prolifique, rédige en personne un article de la déclaration d’indépendance américaine consacrant la propriété intellectuelle, qui va grandement inspirer les révolutionnaires français. La constitution américaine proclame aussi l’abolition des privilèges et la séparation des pouvoirs. Un comble dans une Europe monarchique basée sur le pouvoir absolu du souverain. Pourtant, les premiers Américains sont des émigrés venus d’Europe et ils s’inspirent des idées en vogue dans le siècle des Lumières européens, notamment de Montesquieu qui, à travers l’Esprit des lois, a théorisé la séparation des pouvoirs. Ils vont donc mettre en application ces idées nouvelles. Dans le domaine politique comme dans le domaine de la science, pendant que les Européens théorisaient, les Américains mettaient en application…

Alors, en effet, les premiers émigrants qui peuplèrent l’Amérique n’étaient pas des nobles, mais des paysans, des anciens bagnards, des criminels en fuite, des déracinés mais aussi des aventuriers, des preneurs de risque. Ils n’étaient pas nobles et n’avaient donc pas leur culture et leur raffinement. Mais ils avaient un capital précieux : leur liberté et leur force de travail. Pour la première fois, les fruits de leur travail allaient leur appartenir dans un nouveau pays où la liberté individuelle et le droit de propriété étaient fermement défendus par la Constitution, et notamment par ses premiers amendements.

Il n’est de richesses que d’hommes…
L’histoire du Massachusetts est, à ce propos, éclairante. À l’époque où c’était encore une colonie britannique, les anglais y ont envoyé leurs forçats et autres exclus de la société pour travailler des terres insalubres infestées par la malaria. Avec l’indépendance, ces gens se retrouvent propriétaires de ces terrains qui, a priori, n’ont pas grande valeur. En quelques générations, ils vont en faire le grenier de l’Amérique [2]. Il n’est de richesses que d’hommes disait Jean Bodin (1529-1596). Encore faut-il se doter des institutions qui valorisent l’homme – et notamment ceux qui travaillent et innovent - et son capital humain.

On ne peut pas comprendre pourquoi les États-Unis sont devenus la première puissance économique du monde en un peu plus d’un siècle si on n’a pas en tête cette histoire qui a mis à jour un certain nombre d’enseignements précieux pour tous ceux qui sont soucieux de comprendre d’où viennent la richesse et la croissance économique.

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Sur le web.

Notes :

  1. Caccomo J.L., L'épopée de l’innovation. Innovation technologique et évolution économique, L’Harmattan, Paris 2005.
  2. Ces enseignements étaient déjà sous forme de fables, notamment pour ne pas froisser les élites du moment, chez Jean de la Fontaine, en particulier la très instructive fable du « Laboureur et ses enfants » qui donne déjà un éclairage sans appel sur les sources de la richesse.

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