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"Le roman de Don Juan" d'Antonio Albanese

Publié le 23 septembre 2012 par Francisrichard @francisrichard

Le veine de Don Juan est décidément inépuisable. Pourquoi Antonio Albanese n'y aurait-t-il pas creusé à son tour quelques pépites sur un mode contemporain? Car, après tout, si le personnage n'apparaît nommément que tardivement, avec Tirso de Molina, il est vieux comme le monde historique connu.

Dans son premier roman, La chute de l'homme ici, paru il y a deux ans, il avait écrit un livre dans le livre et le dédoublement était général, semant la plus grande confusion chez le lecteur qui ne savait plus où il habitait.

Cette fois il s'agit de trois romans gigognes qui, comme les meubles éponymes, s'emboîtent les uns dans les autres. Ainsi s'explique la présence à la fin de ce roman de trois épilogues, qui peuvent intriguer celui qui feuillette le livre sans le lire.

Jean Velasco a écrit un roman qu'il a intitulé Le Roman de Don Juan. Son éditrice, Anne, l'a rencontré dix ans auparavant écrivant sur une table de café, dans la plus pure tradition mythique de l'écrivain, qui attire ainsi l'attention d'éventuelles admiratrices, et plus si affinités. Elle n'avait pas oublié la complicité immédiate qu'elle avait éprouvée avec cet inconnu, dont l'instabilité de revenus et dans les relations amoureuses l'avait tout de même fait fuir.

Dans sa vie personnelle apparemment tranquille, Anne n'est pas à l'aise. Elle se sent sombrer, de même que son couple avec Stéphane. Du coup elle s'investit trop personnellement dans le livre de Jean Velasco, dans lequel elle se retrouve et qu'elle doit défendre devant le comité de lecture des Editions du Défi. Au point d'en perdre son discernement habituel. Il faut dire qu'elle désapprouve intimement l'héroïne, Faustine, au prénom que ne renierait pas le marquis de Sade, et qu'elle plaint son compagnon Victor, comme Hugo, avec lequel son auteur a plus d'un point commun.

Victor Manara, comme Juan de Manara, écrit une thèse sur Le libertinage de moeurs et d'idées dans la littérature du dix-huitième siècle. Il a rencontré Faustine cinq ans auparavant et vit avec elle depuis deux ans. Tous deux ont un père universitaire. Ils forment le couple parfait, trop parfait, que leurs amis envient, jusqu'au jour où Faustine quitte Victor de manière inattendue, désarmant complètement ce dernier. Qui devient mauvais, dans tous les sens du terme, surtout quand il apprend qu'elle sort avec Mathias, auteur quadra dont elle se gaussait avec lui naguère.

Victor a beau connaître sur le bout des doigts la mécanique donjuanesque, il est bien en peine de l'utiliser à son profit dans son existence devenue bien solitaire après le départ de Faustine. Comme un bienfait n'est jamais perdu, Philippe Gandolfi, à qui il a sauvé la mise un jour où il était au fond du trou, lui explique sa méthode pratique de séduction. Il a écrit un roman, Le roman de Don Juan, qui lui sert d'appât pour séduire les femmes.

Anne pensait que ce roman n'existait pas, puisque Jean ne lui avait pas donné à lire. Jean la détrompe. Il existe bel et bien, à l'état d'ébauche, assortie de notes et commentaires. Il ne donne donc pas seulement son titre à l'ouvrage. Certes Philippe Gandolfi a écrit là, sous sa plume, un roman à l'eau de rose, mais, pour parvenir à ses fins, il a un art et une manière bien personnels de présenter cette idylle à faire pleurer aux femmes intriguées par son manège, quand il écrit quelques feuillets à la table d'un café.

Dans ce roman dans le roman, Léonore est une jeune femme de trente ans qui n'a pas longtemps à vivre et qui s'est retirée à la campagne pour ne plus faire de projets d'avenir. Mais Gaspard, une véritable gravure de mode, frappe un jour à son huis. Curieusement elle ne sait jamais lui dire non aux propositions de divertissements qu'il lui fait pour occuper le temps qui lui reste à vivre. Ainsi vivent-ils aujourd'hui intensément ensemble, ne se préoccupant plus d'hier et se refusant de penser à demain.

Avec habileté, dans une langue qui se garde de fioritures inutiles mais qui se met au service pédagogique d'interrogations éternelles, Antonio Albanese balade le lecteur entre romantisme et cynisme de la séduction, qui entrent souvent en lutte chez une même personne, et pas seulement masculine. C'est finalement pour mieux dépeindre avec réalisme des situations dans lesquelles des couples de notre époque, confrontés à l'usure, à l'infidélité et aux ruptures, peuvent se reconnaître.

Jean Velasco, à un moment donné, fait dire à son Don Juan, Philippe Gandolfi:

"Le couple ne pouvait fonctionner que lorsqu'il était légitimé par une croyance qui le dépassait."

N'est-ce pas un début d'explication de ces ruptures rapides, sur un mode contemporain?

Francis Richard

Le roman de Don Juan, Antonio Albanese, 308 pages, L'Age d'Homme ici


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