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TMLP – Ta mère la pute (Rochier)

Par Mo
TMLP - Ta mère la pute

Rochier © 6 Pieds sous terre – 2011

« On était une bande, égaré dans un quartier flambant neuf au début des années 70. Des terrains vagues, des bois, les routes pas encore finies d’être goudronnées. On faisait nos 400 coups. Il y avait les “plus grands” qui nous pourchassaient en mobylettes, pour nous en faire baver dans la forêt. On se chamaillait aussi avec les gamins des cités voisines. On se passait entre nous une compil K7 qu’on écoutait en boucle sur un gros poste. Il y avait des lieux qui avaient une aura de mystère, comme ce trou d’eau noire, dont on disait qu’il avait été formé par un avion venu se crasher. Il y avait aussi cet arrêt de bus qui nous terrifiait : la journée c’était notre point de départ vers le monde, vers Paris, mais le soir, surtout les derniers jours du mois, aucun d’entre nous n’y aurait jamais mis les pieds. La misère pousse à bien des extrémités et la rumeur voulait que pour boucler les fins de mois trop courtes, certaines femmes de la cité y passaient le soir… “Ta mère la pute”, faut pas croire, c’est pas sorti de nulle part comme expression.

Et puis il y a eu cette histoire avec la K7… et là, ça s’est mal passé » (présentation officielle).

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TMLP – Ta mère la pute (Rochier)Une chronique que j’ai souhaité rédiger pour célébrer, à ma manière, l’animal qui a eu 20 ans en mai dernier. A cette occasion, un livre-événement (cliquez pour accéder à la présentation officielle) a été publié (voir également ici et ici les hommages mis en ligne pour saluer le travail éditorial de 6 Pieds sous terre).

Bienvenue dans la Cité et dans ce récit intimiste où quelques rares marqueurs de temps nous aident à situer l’époque des faits, comme cette Une de France Soir qui titrait « Le fiasco de Fabius » en 1985.

Pour l’occasion, Gilles Rochier revient sur son enfance/adolescence et se remémore quelques souvenirs. Un relent de nostalgie et d’amertume mêlées plane dans cet album, une haine sourde y gronde. Il raconte l’histoire de gosses qui errent pour tuer le temps, de gamins livrés à eux-mêmes et à la loi des Grands Frères ; il parle aussi d’un code de l’honneur qu’ils veulent respecter mais les contours en sont assez flous… d’où certaines dérives parfois, certains actes gratuits que l’on n’explique pas.

Un quotidien où il faut surveiller ses arrières, prendre sur soi pour montrer qu’on en a (du cran, de la gueule…). Un quotidien où la tension est constante, tout comme la solidarité et l’amitié. Un contexte particulier dont les frontières sont parfois nébuleuses pour ceux qui n’auraient pas grandi dans ces quartiers.

1100 logements divisés en 4 cités distinctes, chacune avec des noms de poètes qu’on lira jamais. (…) 1100 logements livrés de 11 mai 1968. Je suis né le 19, je suis le premier enfant né du quartier. Ça m’a donné aucune légitimité.

On ressent la difficulté de ces gamins à donner un but à leur vie, à donner du sens à ce qu’ils font. Cet album est un pied-de-nez aux préjugés, « nous à la base on n’est pas des méchants ni des dangereux… tout juste des branleurs des fumistes disaient nos profs, mais pas des mômes méchants » lit-on d’entrée de jeu. On découvre ces gamins qui s’ennuient et qui s’occupent en faisant des âneries. On s’attache à eux, on les comprend sans faire d’effort et puis on prend le temps d’écouter ce qu’ils ont à dire… pour une fois ! Le lecteur a baissé sa garde, il affronte leurs regards de manière détendue, sans crainte que son intention soit mal perçue… pour une fois !

La lecture file en compagnie de ces jeunes délinquants, on se prend d’empathie pour eux. Une bouffée d’air envahit le récit quand ils jouent au foot. Durant ces moments-là, ils oublient leur triste univers de béton. Un instant d’insouciance éphémère comme l’avais déjà décrit Davide Reviati dans Etat de Veille (autre époque, autre pays).

Et puis en trame de fond, un personnage récurrent : la Cité HLM. Un personnage vivant, qui dicte des règles arbitraires de mixité sociale. Déjà mise en retrait, la Cité procède à un redécoupage par bloc ; chaque jeune respecte cette délimitation géographique : « chacun son bloc »… et tout ira pour le mieux. La Cité, ce personnage gris qui a son histoire propre, avec ses légendes urbaines, ses points de repères (un arrêt de bus, une supérette…) et ses secrets. Celui qui a trait aux mères est bien trop lourd à porter alors on fait mine de ne rien savoir… et on déprime.

TMLP – Ta mère la pute (Rochier)

TMLP – Ta mère la pute (Rochier)Cela m’a pris du temps de me faire à l’idée de lire cet album.

Longtemps rebutée par le graphisme hésitant et maladroit, je suis restée frileuse à l’idée de me plonger dans ces planches couleur terre. J’imaginais un contenu pesant, oppressant… Pourtant, une étincelle d’humanité nous réchauffe dès le début de la lecture. Je me suis blottit près d’elle, elle m’a aidé à écouter ces jeunes et à les investir.

Les copains de kbd avaient bien raison. J’avais suivi, sceptique, la construction de ce projet de lecture… lus leurs chroniques respectives puis la synthèse de mai dernier est arrivée… Je ne regrette absolument pas d’avoir passé le cap de la lecture !

Roaarrr ChallengeL’auteur a obtenu, en 2012, le Fauve Révélation à Angoulême pour cet album. J’inscris cette lecture dans le Roaarrr Challenge.

TMLP – Ta mère la Pute

Challenge Petit Bac

Gros mot

One shot

Éditeur : 6 Pieds sous terre

Collection : Monotrème

Dessinateur / Scénariste : Gilles ROCHIER

Dépôt légal : février 2011

ISBN : 978-2-35212-067-4

Bulles bulles bulles…

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