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Tibet (9) Le monastère de Dorje Drak

Publié le 28 mars 2008 par Argoul

Il a plus hier soir et les arbres gouttaient encore ce matin sur les tentes. Ce matin, les affaires sont vite rangées pour passer le bac de neuf heures. Le camion nous y brinquebale. Le ciel se dégage un peu, permettant à la lumière de jouer sur les montagnes dans le lointain et sur les nuages. Nuances photogéniques sur le ciel et dans l’eau. Dans le bac, Michel zoome sur quelques vieilles tibétaines.

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Le bus, que nous retrouvons sur la rive, nous conduit au bac suivant, une dizaine de kilomètres en amont du Tsangpo. Nous devons retransbahuter nos bagages.

Dans le bus, la conversation roule sur la situation au Tibet. Les opinions occidentales sont sensibilisées par le prix Nobel de la Paix accordé en 1989 au Dalaï-lama, puis par la sympathie d’Hollywood et par les images de répression sauvage à Lhassa. Quelle est la prochaine étape pour le pays ? Les pressions des gouvernements sur la Chine. Mais, pour moi, il faudra un changement de génération, la sortie de la Chine du communisme pour s’intégrer au monde. Pas avant que le développement soit bien avancé et ait changé les mentalités. Alors l’autonomie du Tibet sera politiquement envisageable. Tout comme l’établissement de l’Empire a permis à Paris d’être libéral avec la Vendée jadis… Selon Gérard, il faudra aussi que les cadres du Dalaï-lama se mettent à parler mandarin pour négocier véritablement. Le Tibet restera chinois ; c’est l’autonomie culturelle qui est l’objectif à atteindre. La solution chinoise actuelle est la patience cynique : une fois l’actuel Dalaï-lama décédé, la recherche de sa réincarnation sera entre les mains chinoises. Même si un nouveau est élu hors de Chine, il n’aura pas l’aura de l’actuel. Cela prendra du temps, mais les Hans ont la patience des empires. Que restera-t-il de la langue tibétaine, déjà envahie d’expressions chinoises sur Radio Lhassa ? Que restera-t-il de la religion tibétaine alors que les monastères ont des quotas de postulants et que les études y restent cantonnées aux vieux textes ? Que restera-t-il de la culture du Tibet avec l’irruption incontrôlée de la modernité et de l’urbanisation, la destruction de l’environnement ? L’acculturation est en marche ; déjà l’enseignement secondaire et universitaire ne s’effectue qu’en chinois ; dans deux générations, le Tibet d’aujourd’hui n’existera plus. Il ne sera qu’une lointaine province chinoise, stratégiquement placée entre l’Inde, le Pakistan et les marches de la Russie, recelant de l’uranium, du cobalt, de l’or et du pétrole à exploiter… Ce pourquoi il vaut aller au Tibet aujourd’hui. Pour se souvenir. Pour témoigner.

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Nous repassons un bac, cette fois aidés par le courant. Aucun banc de sable ne vient troubler notre progression. Nous pique-niquons sous les arbres de la plage, sur le sable du Tsangpo. Devant nous se dresse le monastère du Dorje Drak, l’un des sites nyigmapas du Tibet fondé au XVIème siècle. La crête est supposée figurer un dorje, le sceptre diamant, symbolique moyen d’atteindre la sagesse - mais aussi représentation du sexe masculin lançant la foudre (d’où l’interprétation tantrique).

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La visite du monastère fait la joie des moines adolescents, toujours friands de nouveauté en raison de leur âge. Certains n’ont pas plus de quinze ans et un plus jeune encore, de onze ou douze ans, est le chouchou d’un aîné qui lui tient la main ou l’épaule. Le monastère a évidemment été rasé en 1965, en pleine hystérie rouge ; la colline est jonchée de restes en ruines. Il a été reconstruit vingt ans plus tard comme le reste. Des peintures murales assez neuves représentent les huit manifestations de Gourou Rinpotché : l’enfant né du lotus et adopté par le roi ; puis devenu yogi dans un charnier indien ; moine proclamant la vérité comme un lion ; yogi farouche au teint jaune qui retient le soleil et porte un pagne en peau de tigre ; érudit enseignant portant coiffe ; recevant les enseignements tantriques de huit maîtres ; féroce magicien qui use du pouvoir de la vérité pour libérer la conscience de ses ennemis ; enfin courroucé au teint rouge foncé et aux cheveux flamboyants, debout sur une tigresse gravide, il subjugue les démons et les divinités locales ! Les déités courroucées ont pour rôle de transmuter tout simplement nos peurs en sagesse.

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Des crânes sont peints sur les portes d’entrée de la chapelle. Nous nous retrouvons comme toujours dans un endroit sombre tendu de rouge dans lequel luit doucement l’or des statues immobiles à la lumière unique des mèches à beurre. Au centre, Padmasambhava, refait en mai 1986, à sa droite et à sa gauche les disciples grands maîtres. Les peintures de l’antichambre représentent les gardiens protecteurs et un mandala de la vie dont Gérard nous détaille les scènes. A l’étage, nous visitons la chambre du lama suprême de l’école. Il réside actuellement à Simla en Inde, auprès du dalaï-lama. Sont accrochées là deux vitrines contenant des statuettes en bronze qui ont échappé à la barbarie rouge et doivent être fort anciennes. Elles sont « Trésor national », pas moins, et les charnières de vitrines sont scellées de cire couleur sang portant des caractères chinois pour que personne n’y touche. Les jeunes moines rient de nous voir parler et enlever ou remettre nos lunettes de soleil. Ils ne doivent pas souvent voir d’Occidentaux.

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Nous prenons la piste sous un cagnard digne du Sahara, alors que nos corps auraient bien fait la sieste. Le chemin est une piste à motoculteurs assez large et, d’ailleurs, deux d’entre eux sont requis pour transporter directement nos sacs au camp, moyennant une rétribution raisonnable. Le chemin est souvent bordé d’arbres à l’ombre agréable. Les champs alentours sont plantés d’orge, de colza, de pommes de terre ou de pois. En surgissent des gosses terreux et curieux. Nous les apprivoisons le plus souvent d’un sourire, parfois d’un crayon donné en échange d’une photo. Mais ils n’aiment pas trop cela. Un tout petit se met même à pleurer alors que je passe tout seul sur le chemin ; je lui parle et il se tait, un peu rassuré de voir que je n’ai pas l’intention de le dévorer tout cru. Deux boys nous regardent passer, assis dans le blé en herbe d’un champ. L’un porte un polo vert et l’autre une blouse beige. Michel s’assoit et discute un peu avec eux en sabir mêlé d’anglais et de gestes.

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Dans un village, c’est un déchaînement, les Tibétains rient, les femmes posent même en se moquant un peu des filles qui mitraillent. Sur le chemin après le village, sous les arbres qui l’ombrent, s’avance un tout jeune adolescent, un gros panier d’herbes fraîches sur le dos. Il le porte à l’aide d’une courroie passée sur la poitrine et sur le haut des épaules. Son pull jaune canari, sa chemise beige au col défait, mettent en valeur son teint cuivré. Il est propre, la peau lisse, l’air grave. Un lacet de laine jaune sur sa gorge montre une récente bénédiction d’un membre de la secte fondée par Tsong Khapa. Il nous croise impassible, sans un battement de cil, sans un mot. Sa réserve fière d’elle-même me plaît. Plus loin, deux hommes se reposent, le dos contre un muret de pierres sèches. Ils soulagent leurs épaules de lourds paniers emplis de bottes d’orge tout juste moissonné. Ils rient en nous voyant et commentent l’événement.

En savoir plus sur le Tibet ?

Références abondantes données lors d’une note précédentes. Merci à Ebolavir de l’excellent blog mondain “Manger du chou chinois“, de l’avoir citée dans un commentaire sur une note de Pierre Assouline. 


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