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TSCG : le souverain poncif (1/2)

Publié le 04 octobre 2012 par Sylvainrakotoarison

Les peuples européens ne souffrent pas à cause de l’Europe. Au contraire, ils souffrent à cause du trop peu d’Europe. Ce traité, comme les précédents, est l’objet d’oppositions infondées basées sur le repli sur soi et un protectionnisme qu’il serait de toute façon bien irréaliste de rétablir dans un monde globalisé. Première partie.

yartiTSCG01Depuis mardi 2 octobre 2012, le débat sur le Traité sur la solidarité, la coordination et la gouvernance (TSCG) signé le 2 mars 2012 à Bruxelles par vingt-cinq pays de l’Union Européenne (ne manquent à l’appel que la Grande-Bretagne et la République tchèque) s’est installé à l’Assemblée Nationale puis ira au Sénat pour sa ratification.

La discussion a commencé par le discours du Premier Ministre Jean-Marc Ayrault suivi du discours des représentants de chaque groupe, et en particulier Jean-Louis Borloo pour le groupe centriste de l’UDI. Deux votes sont prévus, l’un portant sur le traité lui-même et l’autre sur la loi organique de programmation budgétaire que j’aurais préféré constitutionnelle. Le texte du traité est téléchargeable ici.

Positions des élus de la République

Si l’UMP et les centristes de l’UDI sont assez clairs dans leur soutien à ce traité que le Président Nicolas Sarkozy avait lui-même négocié à la fin de son mandat (sans doute l’un de ses derniers actes politiques, salué visiblement par son successeur puisque repris in extenso, sans renégociation, insistons-le), la situation est loin d’être compréhensible à gauche, ou plutôt, dans la majorité parlementaire.

Le Front de gauche est naturellement hostile, tout comme le FN, à ce traité, comme ils ont toujours été hostiles à tous les pas supplémentaires de la construction européenne, mais ces derniers ne font pas partie du gouvernement. Alors que les parlementaires écologistes, qui sont très majoritairement contre le traité, ils ont l’incohérence arriviste de rester au gouvernement.

Quelques dizaines de parlementaires socialistes sont également hostiles et depuis quelques jours, François Hollande fait pression sur eux pour obtenir une adhésion à ce traité à gauche sans avoir besoin des voix l’opposition (« Ils sont en train de nous faire flipper ! »). Une méthode peu respectueuse de l’indépendance du Parlement qui n’est pas sans rappeler la méthode avec laquelle Nicolas Sarkozy avait obtenu de justesse sa révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, à savoir l’intimidation.

Développement de l’europhobie

Il faut bien avouer que depuis au moins une vingtaine d’années, il y a un courant de plus en plus hostile à la construction européenne et qui, pourtant, n’est pas très rationnel. Le souverain poncif, ou plutôt, le poncif des souverainistes, c’est de dire que l’ouverture des frontières (des biens et des personnes) est une erreur et qu’il vaut mieux rester entre soi (qu’ils s’agissent de commerce ou d’immigration).

Ils oublient deux choses évidentes : que la libre circulation est l’une des libertés les plus fantastiques, et elle a été durement acquise très récemment en Europe, depuis la chute de l’Union Soviétique (oui, démocratie, liberté, ouverture, ce sont des synonymes) et que cette ouverture économique et sociale, qui ne peut qu’enrichir intellectuellement, moralement, culturellement et bien sûr matériellement, est de toute façon inéluctable à partir du moment où le commerce électronique se développe et qu’il est possible de contourner des réglementations nationales.

C’est pourquoi, dans ce contexte technologique mondialisé qui est une réalité, il est nécessaire de relever le niveau de la réglementation à un ensemble plus grand qu’un simple pays, à savoir l’Union Européenne pour l’instant, peut-être même, comme l’imagine Jacques Attali, le monde entier.

Contrairement aux peurs qui peuvent s’exprimer, cette idée est au contraire très optimiste. Car un tel ensemble est d’abord basé sur la liberté. Liberté et responsabilité. Et cette perspective est plutôt sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Le corollaire, c’est que cela fortifie la paix.

Pourquoi cette peur grandit-elle ?

Je reviendrai après sur l’aspect démocratique ou antidémocratique du TSCG, ainsi que sur son contenu, mais d’abord, je veux juste apporter la réserve sur l’évidence que je viens d’énoncer : ceux qui sont favorables à la construction européenne trouvent ses avantages tellement évidents qu’ils n’ont jamais compris qu’il fallait les expliquer.

Rappelez-vous la campagne présidentielle de 1988. Cela fait très loin et pourtant, l’un des discours habituels lancés pour se faire élire, c’était de dire : "88 pour 92". L’échéance de 1992 (en fait, du 31 décembre 1992), c’était l’Acte unique européen. Un traité important qui renforçait l’union commerciale et harmonisait beaucoup d’éléments de la vie quotidienne, en particulier les diplômes universitaires (reconnaissance mutuelle) etc. L’argument pour se faire élire, c’était de préparer la France à entrer dans cette Europe intégrée.

Et quoi de plus audacieux qu’une monnaie unique ? La relance de la construction européenne par Jacques Delors, Helmut Kohl et François Mitterrand à une période où la réunification allemande occupait les esprits a été une étape décisive ; le Traité de Maastricht a en effet apporté l’euro. À l’époque, beaucoup avait d’ailleurs refusé cette audace. Mais pas ceux qui allaient gouverner la France pour une vingtaine d’années. Édouard Balladur avait même réussi à convaincre Jacques Chirac de soutenir ce traité. Ce conseil avisé lui coûta l’Élysée.

Mais à partir de la campagne référendaire de 1992, les opposants à la construction européenne ont pu élargir leur audience par des propos souvent démagogiques ou simplistes. Avec un optimum pour le référendum du 29 mai 2005 (TCE) où de nombreuses désinformations ont été émises à droite et à gauche. Parmi celles-ci, on prétendait que le Traité constitutionnel européen (TCE) allait rétablir la peine de mort (désinformation pure), ou encore restaurer la semaine de 50 heures de travail alors que le bon sens indique que si l’Union Européenne interdit des semaines supérieures à 50 heures de travail, elle n’interdit pas que les pays gardent leur législation sur le temps de travail, si celui-ci est inférieur à 50 heures (ce qui est le cas de la France puisqu’il est de 35 heures !).

Pourtant, les responsables politiques des partis gouvernementaux ont une grande part de responsabilité dans cet abêtissement généralisé du débat politique sur l’Europe. Pour trois raisons.

Une ambiguïté manquant de courage

D’une part, depuis trente ans, tous les ministres (qu’ils soient de droite ou de gauche) ont eu ce côté schizophrène du double langage entre Paris et Bruxelles. Car il faut bien rappeler qu’avant les majorités qualifiées, sur tous les sujets européens, c’était l’unanimité qui était nécessaire pour qu’une directive soit adoptée et donc applicable. Une unanimité facile à obtenir à six mais impossible à vingt-sept. Cela signifie que les ministres français, au lieu de faire preuve de pédagogie, étaient d’accord avec une directive à Bruxelles (alors qu’ils pouvaient s’y opposer), voire en étaient les initiateurs, mais la regrettaient à Paris devant leurs électeurs et laissaient ainsi entendre la grande impuissance du gouvernement "obligé" d’appliquer les "diktats" des "eurocrates" de Bruxelles.

C’est évidemment un bon argument électoraliste lorsqu’il s’agissait de faire passer une mesure difficile (ou ne pas faire passer une mesure supposée populaire : par exemple, la TVA restauration sous Jacques Chirac), tout en ne l’assumant pas politiquement ("c’est à cause de l’Europe").

Heureusement, depuis quelques années, à cause de la crise de l’euro, la responsabilité est un peu mieux assumée sur les décisions gouvernementales et les "obligations bruxelloises".

Une certaine arrogance contreproductive

D’autre part, il faut bien admettre qu’il y a eu une certaine arrogance intellectuelle voire politique parmi les partisans de la construction européenne qui ont refusé le débat et qui n’avaient que l’évidence comme argument à livrer, alors qu’il y a aussi des explications bien plus justifiées pour bâtir un ensemble paneuropéen. Avec le web et les réseaux sociaux, la population a donc pris elle-même le ministère de la parole, ce qui est une bonne chose même si la mauvaise foi, la désinformation et même le mensonge y sont souvent colportés.

Démocratiser les institutions européennes

Enfin, comme l’explique François Bayrou depuis une décennie, on ne pourra s’assurer de l’adhésion des peuples que lorsqu’il y aura un pouvoir politique européen identifiable et démocratiquement élu. Non seulement, cela signifie qu’il faut changer la gouvernance de l’Union Européenne, en clair, élire au suffrage universel direct le Président de l’Union Européenne, mais en plus, il faut que les personnalités chargées de ces responsabilités aient un caractère suffisamment fort pour se faire entendre des médias européens et surtout, des peuples européens.

La désignation d’Herman Van Rompuy à la Présidence de l’Union Européenne en novembre 2009 était à cet égard éloquente. Issue du Traité de Lisbonne, cette nouvelle fonction était un pas supplémentaire dans la représentation politique de l’Europe, en particulier dans les relations internationales. Or, que s’est-il passé ? Les dirigeants des gouvernements européens ont finalement choisi un personnage certes très valable, intelligent et intègre, en la personne du Premier Ministre belge de l’époque (en provoquant d’ailleurs une crise politique en Belgique), mais qui a peu de charisme, peu d’attrait médiatique et surtout, un caractère faible par rapport aux ego des responsables nationaux. Sa reconduction en mars 2012 est même passée inaperçue en France.

Le rendez-vous manqué

Pourtant, il y avait bien eu une possibilité : y nommer l’ancien Premier Ministre Tony Blair. Vaguement pressenti, il a vite été éliminé de la compétition en raison de son trop grand charisme. Il aurait volé la vedette aux chefs d’États et de gouvernements. Pourtant, justement, il aurait pu faire exister cette fonction, un peu comme Louis Napoléon Bonaparte a créé le Président de la République en 1848 ou encore Jacques Delors lorsqu’il était Président de la Commission européenne entre 1985 et 1995.

On avait également expliqué que le fait qu’il soit britannique était un facteur disqualifiant, et qu’il valait mieux que ce soit une personnalité issue de la zone euro qui fût désignée. Pourtant, je suis convaincu qu’au contraire, avec Tony Blair à Bruxelles, les Britanniques auraient eu plus de fierté à faire partie prenante dans la construction européenne.

Des députés européens sans visibilité

Parallèlement, l’élection des députés européens a été changée. Le Parlement européen a maintenant de plus en plus de prérogatives qui se rapprochent de la fonction parlementaire classique, en particulier sur le contrôle des instances européennes. En France, le scrutin proportionnel à l’échelon national a été remplacé à partir de juin 2004 par un échelon de grandes régions.

La raison invoquée était la proximité des élus avec leurs électeurs (et avec quelques arrière-pensées pour désavantager les partis extrémistes). Avec le recul de deux élections, la réalité est que les citoyens ne savent toujours pas qui sont leurs députés européens, et que ces derniers leur donnent très médiocrement des comptes. Non seulement les parlementaires européens ne sont toujours pas identifiables par le peuple, mais en plus, ce mode de scrutin a enlevé la seule occasion de débat sur l’Europe en ne mettant plus en concurrence des têtes de liste au niveau national et en n’en gardant qu’un enjeu purement local ou népotique (recasage de sortants battus etc.). La montée progressive de l’abstention à ces élections confirme ce désintérêt pour cette Europe-là.

Et le référendum ?

Maintenant, à chaque nouveau traité européen, on brandit le référendum. Soyons honnête : la voie référendaire est non seulement démocratique mais donne aussi l’obligation d’installer un débat sur l’Europe et de faire bouger les lignes dans un sens comme dans un autre.

Pourtant, il n’est pas non plus illégitime de ne pas procéder par référendum. La procédure est d’ailleurs clairement précisée dans la Constitution. De plus, pour le TSCG, il n’y a même pas nécessité de réviser la Constitution puisque ce traité a été déclaré conforme avec la Constitution le 9 août 2012 par le Conseil Constitutionnel.

En quoi la procédure parlementaire serait-elle antidémocratique ? Justement, en RIEN ! Cela donne juste l’occasion à l’antiparlementarisme de s’exprimer. Car c’est aussi cela, une démocratie moderne, c’est une démocratie représentative, avec des parlementaires, en plus fraîchement élus au suffrage universel direct, qui ont toute légitimité pour s’exprimer au nom du peuple. Dans un pays de soixante-six millions d’habitants, il est difficile d’instaurer une démocratie directe (même électroniquement, vu les risques de fraudes). Difficile et souvent irresponsable : aux élus de prendre leurs responsabilités et de ne pas s’en laver les mains.

Du reste, un sondage réalisé par OpinionWay indiquait durant l’été que s’il y avait effectivement 52% des sondés qui aimeraient la tenue d’un référendum, ils seraient 53% à approuver le TSCG (dont 48% des électeurs de Marine Le Pen et 48% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon !). 53% contre 20% à le contester. L’écart est donc très grand et ceux qui crient sur la procédure parlementaire devraient au contraire faire preuve d’un peu de retenue car l’opinion publique n’irait pas forcément dans leur sens.

Traité applicable au 1er janvier 2013

Enfin, un dernier point sur le contexte. Dans la procédure d’application du traité budgétaire européen, il est convenu qu’il serait mis en œuvre à partir du 1er janvier 2013 si douze des vingt-cinq pays signataires l’avaient ratifié. À ce jour, il y en a déjà treize qui l’ont ratifié : l’Allemagne, l’Italie, la Grèce, l’Espagne, l’Autriche, l’Irlande (par référendum), le Portugal, la Slovénie, Chypre, le Danemark, la Lituanie, la Lettonie et la Roumanie ; cependant, seuls comptent les membres de la zone euro, à savoir neuf pays. Le Parlement européen aussi a déjà approuvé le texte.

Le TSCG s’appliquera car les procédures de nos partenaires sont en bonne voie. Il est donc indispensable que la France ratifie le plus rapidement possible ce traité pour faire partie du dispositif dès le début de son application. Sa position essentielle de puissance économique en fait ce devoir. Or, l’organisation d’un référendum mettrait aussi en péril ce calendrier.

Évidemment, on pourra toujours contester ce type de calendrier, considérer qu’il aurait fallu au moins le renégocier (il a été établi début mars 2012 et si la France a du retard, c’est à cause de l’élection présidentielle et des élections législatives). Mais l’aspect psychologique pourrait l’emporter et le niveau des taux pourrait alors évoluer dangereusement…

Dans une seconde partie, j’en viendrai au contenu même du TSCG.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (4 octobre 2012)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Sondage favorable au TSCG.
Le texte intégral du TSCG (à télécharger).
Le texte intégral du Traité de Lisbonne (à télécharger).
EELV est-il dans la majorité ?
Hollande la farce.
Ayraultisation de l’austérité.
La construction européenne.
La règle d’or.
Le budget 2012.
yartiTSCG02

 


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