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Charles Bukowski – Le grand feu (The big fire, 1972)

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Charles Bukowski – Le grand feu (The big fire, 1972)je suis en feu comme le cactus dans le désert

je suis en feu comme les paumes d’un acrobate
je suis en feu comme les crocs de l’araignée

je suis en feu à cause de toi et moi

je suis en feu en entrant au drugstore
je suis en feu je suis en feu
la fille me tend ma monnaie et
se moque de moi

je suis en feu seul dans mon lit
je suis en feu avec toi

je suis en feu en lisant un livre
sur Trotski, Hitler, Alexandre le Grand,
n’importe qui, tout humain mort vivant
marchant une fois sur la
terre

je suis en feu en regardant l’herbe
je suis en feu en regardant les oiseaux sur les fils télégraphiques
je suis en feu en répondant au téléphone –
je me lève d’un bond d’un seul quand il sonne
je brûle

je suis en feu en regardant du velours
je suis en feu en regardant un chat qui dort

je suis un truc impuissant qui brûle
parmi d’autres trucs impuissants qui brûlent

je suis couché sur le côté gauche et regarde les pierres tombales
alors je me couche sur le côté droit et regarde les pierres tombales –
elles sont toutes
en train de brûler

je suis en feu quand je colle un timbre sur une enveloppe
je suis en feu quand j’emballe des ordures dans un journal
je suis en feu à cause des héros, des nains, de la pauvreté et de l’espoir
je suis en feu à cause de l’amour et de la colère
je suis en feu comme une chauve-souris suspendue la tête en bas
comme un groom qui déteste les riches et sourit devant leurs pourboires

je suis en feu au supermarché
en regardant une femme plus que femme
se pencher pour choisir une salade de pommes de terre

je suis en feu comme une paire de ciseaux découpant les yeux du ciel
je suis en feu comme cent mille singes bouillis dans un seul coeur
et qui sanglotent à travers des siècles
d’impuissance

je suis en feu comme un couteau au tranchant sans tache dans un tiroir de
cuisine

je suis en feu comme un mendiant en Inde
un mendiant à New York
un mendiant à Los Angeles…
la fumée et la brûlerie s’élèvent
et la cendre est écrasée sous…

je suis en feu comme le cirque qui s’en est allé
le champion qui abandonne sur un genou
tout brûlant
tout seul
une seule
cendre

je suis en feu comme une baignoire sale dans un meublé isolé
je suis en feu comme le cafard que je tue avec ma chaussure

je suis en feu à cause des hommes, femmes et animaux
qui sont torturés et mutilés dans des lieux sombres et
solitaires

je suis en feu à cause des armées et des anti-armées
je suis en feu à cause de l’homme que je hais le plus au monde

je suis en feu sans aucune chance

la graisse est dans le feu, l’agneau est au dessus
le sacrifice semble sans fin
l’épreuve semble sans fin

le soleil est en feu…

et l’horizon vitreux est rouge
et les pleurs
et les pleurs
et toi et moi

le soleil brûle tout :

les chiens, les nuages, la crème glacée

la fin

la fin de l’escalier
la fin de l’océan
le dernier cri

l’insecte dans le bocal
éclate en flammes
et l’intérieur du crâne
cède
enfin

la fumée se
disperse

*

I’m on fire like the cactus in the desert
I’m on fire like the palms of an acrobat
I’m on fire like the fangs of the spider

I’m on fire with you and me

I’m on fire walking into a drugstore
I’m on fire I’m on fire
the girl hands me my change and
laughs at me

I’m on fire in my bed alone
I’m on fire with you

I’m on fire reading a book
about Trotsky, Hitler, Alexander the Great,
anybody at all, any walking living dead
human once upon the
earth

I’m on fire looking at the grass
I’m on fire looking at birds sitting on telephone wires
I’m on fire answering the phone-
I leap straight up when it rings
I am burning

I’m on fire looking at velvet
I’m on fire looking at a sleeping cat

I am a helpless burning thing
among other helpless burning things

I lay on my left side and look at the tombstones
then I lay on my right side and look at the tombstones-
they are all
burning

I’m on fire putting a stamp on an envelope
I’m on fire wrapping garbage into a newspaper
I’m on fire with heroes and dwarfs and poverty and hope
I’m on fire with love and anger

I’m on fire like a bat hanging upsidedown
like a bellboy hating the rich and smiling at their tips

I’m on fire in a supermarket
watching a most womanly woman
bend over to pick up some potato salad

I’m on fire like a scissors cutting the eyes out of the sky
I’m on fire like onehundredthousand monkeys boiled into one heart
and sobbing through centuries of
hopelessness

I’m on fire like a clean sharp knife in a kitchen drawer

I’m on fire like a beggar in India
a beggar in New York
a beggar in Los Angeles…
the smoke and burning rises
and the ash is crushed under…

I’m on fire like the circus that went away
the champion who quit on one knee
all burning
all alone
all one
ash

I’m on fire like a dirty bathtub in a lonely roominghouse
I’m on fire like the roach I kill with my shoe

I’m on fire with men and woman and animals
who are being tortured and mutilated in dark and
isolated places

I’m on fire with the armies and anti-armies
I’m on fire with the man I hate most in the world

I’m on fire without a chance

the fat is in the fire, the lamb is over it
the sacrifice seems forever
the enduring seems forever

the sun is on fire..

and the glazed horizon is red
and the weeping
and the weeping
and you and me

the sun is burning everything:

the dogs, the clouds, the icecream

the end

the end of the stairway
the end of the ocean
the last scream

the bug in the jar
spouts into flame
and the inside of the skull
gives up
at last

the smoke blows
away.

***

Charles Bukowski (1920-1994)Mockingbird Wish Me Luck (Oiseau moqueur, souhaite-moi bonne chance, 1972) – Traduction de Yves Sarda



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