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Par Notes-Sur-Tel-Aviv @MyriamKalfon

Quelque chose est en train de changer.

J’apprends à laisser de la place à l’autre, ma peur n’est plus aussi prédominante, massive…

S’il n’est pas comme moi, s’il ne pense pas comme moi, qu’est-ce que cela dit de ma propre opinion? De moi, de ma vie et de mes valeurs?

L’autre, très longtemps, devait être mon propre miroir, mais en mieux. Qu’il ait les mêmes pensées, les mêmes intentions, les mêmes envies, tout mais en mieux dit mieux formulé, mieux vécu. Il fallait qu’il soit ma source d’inspiration mais aussi celui qui approuve, bénit, absout. Moi à travers lui et lui à travers moi; des jumeaux, c’est peu dire.

La colère, le désespoir, l’abyme quand on touche le fond de ce vieux rêve. La colère surtout, héritée comme mécanisme familier et facile, et ces trois mots comme un couperet: tu me décois.

L’intransigeance glaciale de la peur. Qui suis-je si tu t’éloignes de moi? Qui suis-je si je n’ai pas raison envers et contre tout?

J’ai été tant de fois impuissant enfant, petit être livré à la folie du monde, à la violence des adultes, de l’Histoire. Je me suis vécu petit, brisé, contingent. Mais il n’en sera rien tu m’entends car avec ma colère, ma sainte colère, ma colère sacrée, je m’en vais renverser l’ordre des choses, imposer, règner, à violence violence et demie et double et triple même, je ne laisserai plus jamais personne me laisser croire que je ne suis rien.

Je n’ai pas compris que je me trompe, qu’ils se sont trompés. Qu’il ne s’agit pas de leur imposer, ni même d’expliquer quand c’est impossible, mais de changer d’avis sur moi, tranquillement, simplement. La révolution est toute petite, elle passe inapercue. Elle est à faire en moi, là dans mon sein et sous mon front. Et ils peinent tous mes petits soldats intérieurs, c’est bien normal, c’est les interrompre en pleine ivresse, leur dire les gars les panneaux, les flambaux c’est fini, rentrez chez vous. Ils sont soudain si désoeuvrés. Un  coup d’éclat, un petit scandal à l’horizon quand même? Non.

Tout cette énergie ne sait plus que faire, elle tourne à vide, elle déborde le réservoir. C’est un volcan qui se trouve  triste alors qu’il est endormi et aimerait retrouver la gloire d’antan, c’est des acteurs sans scène,  des pensionnaires à la retraite…

Ce n’est pas grave, je trouverai des solutions. Il s’agit de régénerescence, de transformation. Diriger les énergies ailleurs. Un changement, comme j’en subis tout le temps. Et c’est là le double apprentissage, ma colère, ma peur sont liées à l’angoisse terrible que ca bouge, que ca évolue. Je suis tellement peu sûr du sol sous mes pieds que je crie à la moindre secousse. Or l’autre a cela d’agacant. Je crois le connaître, je l’aime parce qu’il me flatte, il est ce que je  veux qu’il soit, donc lui et moi c’est la paire, un coup de génie, et c’est surtout moi le génie puisque je ne me trompe jamais.

Et puis crac, un beau matin ca se fissurre, en plein dedans, il fait d’un coup autre chose, qu’est-ce qui lui prend m’enfin, cette vie autonome soudain, il voit ca comme ca l’insolent, il est même sûr de lui et de ses positions, il en fait à sa tête et là ca ne va plus du tout, c ‘est plus ca mais alors plus tout, je suis choqué, dépité, déçu, indigné, je m’étouffe de colère, dans une seconde je ne pourrais même plus respirer…..

Il est dif-fé-rent.

Et moi, je suis seul.

Si je continue de croire, si seulement une partie de moi continue de croire, qu’être seul c’est forcément petit, brisé et contingent, alors cette découverte peut me mener aux bords de la folie, tout plutôt que cela; je hurle et me dechaîne, je suis une tempête, un ouragan, Irène n’a qu’a bien se tenir, et  mes proches aussi, ils le savent à force, qu’encourir mon courroux c’est pas de toute gaîté.

Un autre courant de pensée se developpe donc et c’est celui de se dire que ce que l’autre pense est sommes toutes assez intéressant. Car ce que je pense, moi, je le sais déjà, ce qu’il pense lui en revanche non. Et parfois-ô surprise- il pense bien et juste. Et parfois encore, il pense mal et bête et – ô cataclysme- je l’aime toujours, voire même d’avantage, bizarrement.

Parfois aussi il pense différement, et ca me blesse, ca tombe pile là où il ne fallait pas, dans mes blessures, mes ratures, là où j’ai honte d’avoir mal, là où je m’était dit un jour plutôt mourir que ca. Et je redeviens Irène, j’en crèverais d’indignation, comment peut-il, comment ose-t-il me marcher si directement sur les plates-bandes, j’envisage Al-Quaïda, la colère, la rage et la haine règnent sans partage.

L’avantage de grandir, c’est de comprendre que partir, ailleurs, tout sauf ça, est une illusion. Il ne s’agit pas de ne pas couper les ponts, arrêter les fous, opposer une fin de recevoir à ceux, quand même rares, qui veulement me nuire un point c’est tout, se sortir d’une situation lorsqu’elle est vraiment inextricable.

Mais les autres, ceux qu’en temps normal, à plat, à froid, j’estime et j’aime, ceux qui me veulent du bien ou du moins ne me veulent pas de mal, je les accueille désormais avec plus de calme. Je bénis même leur diversité. Nouvelle surprise: la vie peut être intéressante justement parce que tous ces gens ne pensent pas comme moi, et pas seulement grâce à cette succesion de drames que je crée tu comprends il m’a dit ça, du coup je lui ai répondu ça, et là je me suis mis à hurler, et c’était l’horreur….

Dans le pays où je vis, cette question est fondamentale. Les gens ne meurent pas seulement à la guerre, dans un attentat ou un cours d’émeutes; les gens sont prêts à mourir tous les jours, s’en prennent les uns aux autres, usent d’une violence indicible pour des questions d’opinion parce que c’est vital, c’est la terre, la vie, la famille, mon droit à déclarer mien un sol, mon droit d’exister, de protéger mes proches, mon droit de ne pas avoir peur tous les jours, mon droit de vivre fier et sans honte. C’est un pays où l’on pourrait presque pas vivre, tellement c’est dur, tellement le quotidien est une ébullition, un champ de bataille.

Mais peut-être est-ce là aussi une des nombreuses raisons pour lesquelles je l’aime, le champ de bataille est un champ de labours, il ne me laisse pas tranquille et je suis obligé de bouger, je suis obligé parce que c’est une question de vie et de mort, et finalement aussi de morale et de dignité, de me demander tous les jours ce que je pense, et comment je pourrais faire la paix avec eux, ces Etrangers, ceux qui tirent des roquettes sur mon peuple mais aussi ceux qui dans mon camp croient des choses impossibles à mon sens et m’en font payer le prix. Chez moi et au dehors, le privé et le politique, le laïc, le religieux, l’idéologique tout est là, constamment, sur la table, individu et citoyen.

Je me débats sans fin, et parfois j’en concois une immense lassitude, mais je suis, et cela sans aucun doute possible, vivant.


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