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La vestale et le feu (Mircea Cantor)

Publié le 09 octobre 2012 par Marc Lenot
La vestale et le feu (Mircea Cantor)

Mircea Cantor, Sic transit gloria mundi, 2012, capture d'écran

Je ne m'inquiétais guère, il y a un an, quant à la qualité de l'exposition de Mircea Cantor comme lauréat du Prix Duchamp, par contraste avec le fiasco précédent (au Centre Pompidou jusqu'au 7 janvier). Aujourd'hui, donc, une fois franchi l'énigmatique sas d'entrée, on se retrouve en effet happé par le très grand écran vidéo au fond de la salle :

La vestale et le feu (Mircea Cantor)

Mircea Cantor, Sic transit gloria mundi, 2012, capture d'écran

une vestale asiatique vêtue d'une tunique grecque est debout au centre d'un cercle de mendiants, hommes et femmes, crânes rasés et hijabs, quelques rares chevelures, vêtements ternes, gris, noirs, bleus, tous dans la position où on trouve parfois de vieilles tziganes roumaines demandant l'aumône dans les rues de Paris, couchées au sol, visage contre terre, main tendue (hélas les mains de certains des figurants sont un peu trop propres, voire manicurées...); en ligne et non en cercle, ce pourrait être une prosternation d'ordinands. Ils sont trente-trois au sol, nombre sacré, âge du Christ ou d'Alexandre... La caméra est parfois à ras du sol (et elle offre alors le beau contraste - ci-dessus en haut - entre belle et bête, ouverture sensuelle de la tunique sur les jambes à la

La vestale et le feu (Mircea Cantor)

Mircea Cantor, Sic transit gloria mundi, 2012, capture d'écran

peau si claire et masses grises au sol), ou bien elle saisit l'officiante de face (ainsi dans la scène finale, ci-contre), ou bien, plus rarement, elle s'envole et nous offre le cercle parfait, déshumanisé montré ci-dessus. La prêtresse immaculée, car c'est bien un rituel auquel nous assistons, dépose souplement une mèche, un cordeau Bickford dans la paume (préalablement recouverte d'un sparadrap protecteur) des adorateurs mendiants, accomplissant lentement, cérémonieusement son tour du cercle, puis elle l'allume : la flamme se propage, les doigts se crispent, les mains brûlées tressautent. Pendant ce temps, le son syncopé d'une simandre s'accélère : quand le son devient si dense et frénétique qu'on atteint l'extase (ou l'orgasme ?), la mèche enflammée sort du cercle horizontal, s'élève verticalement jusqu'à la main de la vestale qui impassible, la lâche. C'est la fin. Cette vidéo énigmatique est un rituel, qui pourrait aussi bien être érotique que religieux : son titre, Sic transit gloria mundi, nous emmène du côté du Vatican, mais sans doute faut-il le transcender, et d'abord apprécier la grâce élégante des vidéos de Mircea Cantor avant d'y plaquer une interprétation trop littérale, humilité du memento mori ou de l'initiation maçonnique. C'est peu dire que notre regard est suspendu à chacun des gestes de la vestale du feu sacré et ne peut se détacher de la flammèche qui court, que notre diaphragme se contracte au rythme de la simandre, que nous cessons quasiment de respirer et nous retrouvons tendus comme un câble, hagards comme des ravis et étrangement apaisés à la fin de la séquence.

La vestale et le feu (Mircea Cantor)

Mircea Cantor, Don't judge, filter, shoot, 2012, détail

Un autre cercle mélancolique domine l'exposition, une rosace de cercles juxtaposés plutôt, et, si nous y reconnaissons des tamis petits et grands, d'orpailleurs ou de glaneurs, nous nous heurtons ici aussi au mystère des formes énigmatiques. Dans ce mécanisme, cette complication comme disent les horlogers, où les tamis sembleraient pouvoir s'entraîner les uns les autres comme des rouages, nul mouvement pourtant : tous sont percés de trous de balles de fusil, la lumière rasante moire leur maillage, de soie peut-être et, sur leur cadre reposent des balles, d'or et de

La vestale et le feu (Mircea Cantor)

Mircea Cantor, Epic fountain, 2012, vue d'expo (ombre)

béton (la balle d'argent tue les loups-garous, mais l'or et le béton ?). Le tamis serait-il ici, comme le feu, l'emblème de la virginité*, celle de la vestale du film sans doute ? Ou bien n'est-il qu'un outil de jugement socratique, de filtrage de l'essentiel ? Le titre, Don't judge, filter, shoot, est assez ambigu pour nous perdre; il est d'ailleurs repris dans le sas d'entrée, dessiné au mur avec ce même cordeau Bickford carbonisé (à côté d'une vidéo du fils de l'artiste soufflant sur un couteau en équilibre et le faisant chuter, allégorie un peu simpliste, me semble-t-il).

Enfin, les chaînes d'ADN en épingles de nourrice en or, suspendues au plafond, produisent de belles ombres, mais elles introduisent hélas ici une once de banalité convenue; toutefois ce n'est pas assez pour rompre le charme qui s'est emparé du visiteur dans cet espace mystérieux à souhait.

Photos 2 & 3 courtoisie du Centre Pompidou, (c) Mircea Cantor; autres photos de l'auteur.

* pour prouver sa virginité, injustement soupçonnée, la vestale Tuccia transporta de l'eau du Tibre dans un tamis.


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