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Arabie (postmoderne) saoudite : des effets pervers sur YouTube !

Publié le 15 octobre 2012 par Gonzo
Arabie (postmoderne) saoudite : des effets pervers sur YouTube !

Page Facebook de la société saoudienne Uturn

90 millions de vidéos visionnées chaque jour sur YouTube : ce chiffre record – qui place l’Arabie saoudite (un peu moins de 30 millions d’habitants) au troisième rang mondial derrière les USA et le Brésil (respectivement environ 300 et 200 millions d’habitants) – s’explique en partie par l’absence de cinéma dans le « Royaume des hommes ». Il n’en reste pas moins un bon indicateur de l’importance des mutations qu’entraîne le développement foudroyant de l’internet arabe. Distraction quotidienne pour près de la moitié de la population saoudienne, ce sont 4 Saoudiens sur 5 qui ouvrent YouTube au moins une fois par semaine.

Et d’autant plus qu’ils y trouvent du contenu, y compris local. Publiée par la version Moyen-Orient de Forbes Magazine, une récente enquête met ainsi en évidence la présence de 17 productions saoudiennes parmi les 25 programmes arabes les plus regardés sur le site mondial de partage de vidéos. Pas mal pour un pays où l’image – dans l’espace public – est soumise à une réglementation particulièrement sévère au nom de la lecture wahhabite de l’islam ! En tout cas, c’est une belle illustration des effets pervers que peut entraîner une prohibition totalement ingérable au temps de la globalisation des flux numériques…

Derrière ce « miracle » à la saoudienne, il y a l’explosion, depuis 2010, d’un « genre » à part entière, la stand up comedy à l’américaine, en d’autres termes un monologue commentant, en principe de manière drôle et acide, l’actualité locale. A ce petit jeu, la vedette incontestable est un certain Bader Saleh (بدر صالح) dont le show, intitulé Eish Elly (ايش اللي – Pourquoi il m’a dit ?) attire plus de 400 000 abonnés et totalise près de 100 millions de visionnages ! Parmi les célébrités du Net qui se sont en général lancées dès 2010, on trouve encore Muhammad Bazeed (محمد بزيد) avec la série Neuf heures moins le quart (20h45, le pic pour les visionnages sur internet), Omar Hussein et sa série 3al6ayer (على الطاير – Comme ça vient !), dont cet article (en anglais) publié par Mashallahnews permet aux non-arabophones de se faire une idée de l’humour.

Arabie (postmoderne) saoudite : des effets pervers sur YouTube !

Page Facebook de la société Telfaz11

L’Arabie saoudite sur YouTube, c’est assez différent de l’« Arabie saoudite de papa », avec ses cheikhs imprécateurs et ses dirigeants bedonnants ! On est déjà dans une Arabie postmoderne, où l’on évoque sur le mode comique – l’ironie permet de ne pas dépasser les lignes rouges ! – des problèmes de société tels que le sida, l’injustice sociale, la situation des immigrés et même les relations entre les sexes… A l’instar de ce qui se fait dans la région aujourd’hui, la production est un joyeux mélange de toutes les ressources visuelles et sonores qui traînent sur la Toile mondiale, le tout passé à la moulinette locale sans trop d’interrogations (oiseuses) sur l’insoluble question de l’authenticité. On colle, on sample, on remixe, plus ou moins en arabe local, lui-même plus ou moins transcrit en arabizi. Pas (encore) de contraintes juridiques trop drastiques même si différentes affaires – politiques mais aussi religieuses ou tout simplement civiles (insultes aux personnes, diffamation) – apportent de l’eau au moulin de ceux qui militent pour une législation bien plus sévère… Pas besoin non plus de budget pour diffuser sur YouTube, dans certains cas les frais sont couverts par un peu de sponsoring grâce à une société locale (en général, spécialisée dans le Hi-Tech et/ou l’informatique).

Pas de gros budgets, pas trop de censure si on ne dépasse pas les limites (ou si on le fait avec beaucoup d’humour), un début de professionnalisation pour quelques-uns, en tout cas une aventure qui sort de l’ennui… Pour donner plus de visibilité aux vidéos, des sociétés comme Sa7i (arabizi pour صاحي) proposent des plates-formes qui se lancent aussi dans la production de « vraies » mini-séries : Le bazar du prix du sang (بازار الدية) par exemple, un très court-métrage qui se moque de l’exploitation par certaines victimes sans scrupules – qui se servent d’ailleurs des réseau sociaux à cet effet – du règlement selon la tradition musulmane de certains dommages corporels. La production web est visiblement un créneau qui donne des ailes à de jeunes entrepreneurs imaginatifs et un peu décalés, tels que la société Uturn qui regroupe une bonne partie des jeunes stars saoudiennes du Net, ou bien encore Telfaz11, une plate-forme de diffusion de vidéos en ligne qui résume ses activités par la formule « C3 », comme Creative Culture Catalysts.

Inévitablement, il y a bien entendu le risque d’une certaine récupération commerciale, comme d’ailleurs pour tout ce type de productions en principe réservées à la jeunesse plus ou moins rebelle (chansons, graffitis, etc.). Les stand-up saoudiennes sur YouTube voient arriver la pub et leurs vedettes sont désormais bienvenues sur les plateaux des chaînes télé, notamment pendant les soirées de ramadan (article en arabe dans Elaph… « Marchandisées » (commodified) ou non, elles n’en transmettent pas moins un langage de rupture qui, à en croire les intéressés (en l’occurrence un des artistes produits par Telfaz11 : article dans The Economist),est moins politique que social.

Mais c’est peut-être cela, précisément, la « vraie » révolution…


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