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Premières fois

Par Notes-Sur-Tel-Aviv @MyriamKalfon

Premières fois

Il parait que c’est la fin du monde le 21 décembre 2012.
Je ne sais pas exactement pourquoi tant de religions et de mysticismes ont réfléchi sur cette date, cette année, qu’est-ce qu’elles ont de particulier. Je ne sais même pas si je crois en la puissance des nombres, tant mon savoir est limité.
Je sais simplement que cette année regorge pour moi d’étapes et de significations.

Cette année, ça fait 10 ans que j’ai quitté l’école. On a voulu faire une réunion en juin, mais nous étions éparpillés aux quatre coins du monde.

Cette année, j’ai 28 ans. Et justement Rudolph Steiner, celui qui a conçu la pédagogie dans laquelle m’ont élevée mes professeurs, croyait aux cycles de 7 ans. A 7 ans, un enfant perd ses dents de lait, il est donc prêt à entrer à l’école (moi, j’ai passé un examen spécial pour voir si j’étais assez mature pour y entrer à 6, mes parents ne voulaient que je sois séparée de mes camarades. Est-ce que la vie aurait été différente avec la classe d’en-dessous? Sans doute que oui). A 14 ans, nouveau chamboulement, il devient ado, à 21 ans, il entre dans la vie adulte, à 28…. Donc, voilà, j’ai fini un autre cycle, mes cellules se sont renouvelées entièrement pour la quatrième fois depuis que je suis sur Terre. Je suis toute neuve (x4).

Cette année, j’ai perdu ma dernière grande-mère. Cette fois ça y est, il ne reste plus rien d’autre que des photos, des tombes, quelques bijoux et beaucoup d’amour gravé en mémoire. Je ne suis plus la petite-fille de personne. Bientôt, ce seront mes parents qui seront grand-parents.

Cette année, j’ai découvert mon instinct maternel. Avec un chat. J’ai découvert la responsabilité et la douleur, les entrailles qui se tordent parce qu’un être a besoin de moi, son égoïsme, son indifférence, son amour aussi. Le fait que nous savons toutes les deux qu’elle dépend de moi et moi d’elle, et que c’est à la fois l’engagement le plus total et le lâcher prise le plus extraordinaire, car quand elle est tombée je n’ai pas pu souffrir à sa place, avoir peur des vétérinaires à sa place et passer un mois dans une cage à sa place. Je n’ai même pas pu lui dire tout ce que j’en pensais, elle, de son côté, essaye de me communiquer tout un tas de choses que je ne comprends pas et c’est sans doute la meilleure école d’amour qui soit.

Cette année, j’ai interviewé une célébrité pour la première fois. J’ai réfléchi, j’ai lu, j’ai préparé, j’ai mal dormi la veille, j’ai eu peur, j’ai beaucoup ri, puis ré-réfléchi, puis écrit et ré-écrit, en espérant que les lecteurs se délecteront de mes mots comme moi quand je me précipite avidement sur les articles – cette habitude que j’aie depuis l’adolescence, lorsque j’ai commencé à délaissé Dumas et Molière pour Biba et Psychologies. J’ai, depuis, fait d’autres entretiens. Avec beaucoup d’intérêt. Tout en continuant de me demander si c’est ça, c’est bien ça que, je veux, en continuant de chercher le sens qu’il faut attribuer à cet ensemble de capacités que j’aie et qui peut accoucher de plusieurs parcours.

Cette année, j’ai été hospitalisée pour la première fois. J’ai été, flottante, pendant deux jours sur un lit qui grinçait et j’ai laissé les choses venir à moi, les gens, les soins, les plateaux-repas. J’ai relu Les Trois Mousquetaires et j’ai regardé Tel-Aviv par la fenêtre. Je me suis tellement reposée que je n’avais presque -presque- plus envie de repartir quand c’était fini. J’ai laissée partir ma peur de vomir et ma peur des piqures. J’ai pensé à mes grands-parents et à tous les gens que j’ai vus malades pendant que ma perfusion gouttait tranquillement. J’ai gouté chaque geste de sollicitude.

Cette année, j’ai fusionné mon compte avec le sien. J’ai vu apparaitre nos deux noms sur une enveloppe, je transporte avec moi, partout, une petite carte en plastique qui dit que nous partageons tout ce que nous avons et que nos besoins sont équivalents, je me suis donnée le droit de grincer une dent et de froncer un sourcil quand il a la main légère sur le carnet de chèques.

Cette année, j’ai déménagé pour la première fois tout un appartement et non plus -amis étudiants, mesurez votre chance! – une simple chambre de coloc. J’ai acheté un caddie pour faire le marché, j’ai de la place et de l’espace, je vis officiellement comme quelqu’un que je considérais « vieux » il y a 5 ans.

Cette année, j’ai été, pour la première fois depuis longtemps, aux prises avec une histoire qui me dépassait, que je n’avais jamais connu et que je ne savais pas comment aborder. J’ai senti que mes moyens, mes outils habituels, ne suffisaient pas. J’ai du chercher, faire des efforts, m’adapter. Je suis allée me coucher plusieurs semaines de suite avec l’envie que ça s’arrête, le sentiment que c’était trop. Je me suis beaucoup inquiétée. J’ai constaté que j’avais de l’aide, des amis et du soutien, plus que je ne pensais. J’ai du faire appel aux ressources de réserve, celles dont je n’avais pas eu besoin quand j’étais malade, celles auxquelles en général on ne touche pas quand on veut garder l’air cool et détaché. J’ai surmonté une épreuve. J’ai eu la force nécessaire pour soutenir d’autres personnes. Je me suis trouvée courageuse.

Cette année, j’ai écrit pour la première fois en anglais. J’ai peiné pour m’exprimer, cherché des mots, recommencé, enragé de mes limites. J’ai du abandonner les lauriers de mon aisance verbale, installés depuis si longtemps. J’ai du apprendre.

Cette année j’ai grandi. Sans doute pourrais-je en dire autant tous les ans, chaque jour. Mais souvent je navigue en pilote automatique, la vie est douce avec moi, elle flotte tranquillement autour de mes journées, ne m’oblige pas à sortir de ma torpeur ou si peu. Rarement je suis obligée de me retourner sur les évènements, chercher du sens pour me consoler, sentir des douleurs de croissance de partout, les muscles de l’âme qui travaillent. Cette année, aussi, je danse. Et j’accepte, plus qu’avant, qu’il faut y aller, ne pas retenir, apprendre, bosser, persévérer. Car ensuite il y a un vrai cadeau : le plaisir.



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