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La pensée et la guerre (2) (J. Guitton)

Publié le 18 octobre 2012 par Egea

Suite (bien tardive) de ma fiche de lecture sur Guitton. Et notamment sur la partie trois, "la pensée hégélienne et la conduite de la guerre". Ouh la la! allez vous dire en vous enfuyant. Mais écoutez un peu : si la stratégie c'est la dialectique des volontés (Beaufre), il paraît logique que juste après cet énoncé, un philosophe relise Hegel qui est l'inventeur de la dialectique. Et cela donne donc des choses intéressantes. Et lisibles....

La pensée et la guerre (2) (J. Guitton)
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1/ C'est bien sûr un peu rapide, puisque "chez Platon, la dialectique, c'est l'art du dialogue systématisé" (102) : Hegel n'a pas inventé la dialectique. On ne reviendra pas sur les rapports entre Histoire et dialectique (je crois avoir commis une fiche de lecture sur Hegel, un jour) pour rappeler que "le processus dialectique comprend trois moments que l'on appelle souvent thèse, antithèse et synthèse mais que Hegel appelle habituellement affirmation, négation et négation de la négation. La thèse pose. L’antithèse nie ce qui a été posé (...) La synthèse surmonte la contradiction en conservant dans une sphère plus haute tout ce qui était affirmé dans la thèse et nié dans l'antithèse" (107).

2/ Bon, oui, et alors ? Alors, quel est le plus important, dans les trois ? "Je dis que c'est l'antithèse, car pour Hegel c'est bien l'antithèse (le non) qui est le principe moteur de la dialectique" (109). D'ailleurs, souvent "les philosophies politiques sont issues de réflexion sur les troubles de l’État opposé et voisin": "Hobbes pensait Louis XIV comme Montesquieu pensait l'Angleterre parlementaire et Kant pensait 89".

3/ Au passage, cette leçon me paraît essentielle pour la réflexion stratégique tout comme pour la planification opérationnelle : le succès réside dans la capacité à penser l'autre, l'ennemi. Je sais, cela paraît une conclusion un peu simple et pas très innovante (excusez-moi), mais elle mérite d'être martelée, sans cesse. Qui est l'ennemi, et qui suis-je par rapport à cet ennemi ? Cela nécessite donc des esprits qui pensent en dehors, et cela explique pourquoi il faut encourager les stratèges, et notamment ceux qui appartiennent aux institutions (militaires ou diplomates) à penser en dehors : il doivent vivre la contradiction de penser à l'intérieur de l'institution (qu'ils servent) mais aussi de la servir en pensant en dehors d'elle ! La paradoxe n'est qu'apparent, il résulte simplement de la démarche stratégique qui est dialectique.

4/ Quelques pages plus loin, Guitton s'interroge sur la signification de la guerre. Souvent présentée comme une totalité : "depuis les origines de la civilisations jusqu'à ces dernières guerres, la guerre était demeurée une ordalie "( pour mémoire : un jugement de Dieu, et ici, un acte sacré). (127). "C'est l'antique conception. Mais dans un monde sans croyances et sans valeurs communément admises, la guerre risque de devenir un phénomène déréglé sans commencement déclaré, sans terme signifié, sans contrôle et sans lois" (128). Je signale que ce livre a été écrit en 1969, et qu'il est d'une brûlante actualité... Allons plus loin dans le commentaire : Le relativisme des valeurs fait qu'il n'y a plus de droit partagé. La guerre n'est donc pas une parenthèse de la paix. Tout se valant, le conflit est la règle.

5/ Guitton écrit à une époque où le marxisme règne en maître dans les esprits, à un point que les plus jeunes ne peuvent imaginer. Il a donc qq digressions sur le marxisme, un peu longue à exposer ici (mais cette fiche est une incitation à lire, vous l'aurez compris). J'ai noté au passage ceci que je vous livre : L’individualisme contemporain est la décompensation de la longue drogue marxiste de l'homme collectif.

6/ Revenons au texte : "L'usage des armes dans la guerre vise un résultat d'un autre ordre que l'arme. Il ne s'agit pas de réduire une arme opposée, mais d'agir sur le psychisme de celui qui porte cette arme adverse et qui est un homme. L'arme n'est jamais qu'un moyen, entre plusieurs autres, pour provoquer chez l'adversaire la conduite de la peur, qui l'amène à subordonner sa volonté à la vôtre, ce qui est le seul but de la guerre" (133). Tiens : ça me rappelle un débat récent sur technique et stratégie ! M'est avis que beaucoup n'ont pas lu Guitton. Car celui-ci en conclut à la nécessité d'inventer "une guerre de type psychique, qui engloberait la guerre militaire comme un cas particulier" (134) : là encore, dans l'esprit de Guitton, l'essence de la guerre ne réside pas dans le sacré (de la mort) mais dans la domination des volontés.... Ce qui renvoie à d'autres débats sur ce qu'est l'essence de la guerre, que trop souvent on assimile au critère de la mort : c'est plus compliqué que ça.

Voici donc qq pistes pour aujourd'hui. Je ferai encore un billet autour de la quatrième et dernière conférence, qui s'interroge sur la philosophie de la dissuasion à l'ère nucléaire. Avec là encore des diamants tout pleins de carats.

O. Kempf


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