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"Prince d'orchestre" de Metin Arditi

Publié le 19 octobre 2012 par Francisrichard @francisrichard

La citation de Francisco Tamayo mise en exergue du dernier livre de Metin Arditi résume bien le propos de l'auteur:

"La vida es polvo y el destino viento" (La vie est poussière et le destin vent)

Nous sommes peu de choses sur cette Terre et nous ne maîtrisons pas vraiment notre existence.

Alexis Kandilis est un chef d'orchestre de renommée internationale. Il est même le plus grand parmi les vivants.

A l'exception peut-être de son rival Akrashoff qui dirige plus en puissance, mais moins en transparence que lui.

Au moment où commence l'histoire, en avril 1997,  Alexis a les plus grandes chances d'être retenu par la maison d'éditions musicales World Music Corporation pour enregistrer avec les Berliner Philharmoniker le B16, comme il l'appelle:

"Les neuf symphonies de Beethoven. Plus ses cinq concertos pour piano. Plus le concerto pour violon. Plus le triple concerto pour violon, violoncelle et piano. Seize pièces."

Alexis est devenu chef d'orchestre, poussé par sa mère, Clio. Il aurait préféré être compositeur. Mais Clio ne souhaitait pas qu'il ait une vie misérable, le lot des compositeurs de musique. Elle voulait pouvoir être fière de lui, de sa réussite.

Une biographie de lui doit prochainement paraître, sous la plume de Donald, illustrée de nombreuses photos, dont celles que Giulia prend de lui, sous la supervision de son agent Ted, assistée par Sonia.

Cette proche consécration littéraire nourrit encore davantage son ego qui n'est pas mince et qui souffrirait que soient évoqués par son biographe deux épisodes de son enfance, blessures intimes, qui le hantent et l'affaiblissent.

Il y a cet accident qui s'est produit sur l'île grecque de Spetses, dont le souvenir douloureux est ravivé lorsqu'il écoute les Kindertotenlieder de Mahler; il y a ce qui s'est passé à l'institut Alderson, en Suisse, où il a été placé à l'âge de 11 ans, dont son ami Lenny a été le témoin et qui pourrait ternir son image.

Cette réussite sans faille va pourtant être remise en cause à la suite d'un incident qui va déclencher une série d'événements qui vont bouleverser sa vie. Lors d'une répétition à Paris de la Symphonie fantastique il humilie devant tout l'orchestre un percussionniste qui, après quatre essais, n'est pas parvenu à placer sa frappe au bon moment.

Déchu de son piédestal, il fait la rencontre, à l'hôtel Beau-Rivage de Genève, d'un admirateur, Menahem Keller. Celui-ci l'emmène un jour au casino de Divonne. Pour Menahem, il ne s'agit surtout pas de jouer mais d'observer la bille de la roulette:

"Cette bille qui feint d'aller sur le 8, le caresse, tressaute, frôle le 24, s'arrête sur le 16, et pour finir choisit le 7. On l'attend ici, elle va là, puis ailleurs... Qu'est-ce qu'elle fait? Elle joue à cache-cache avec nous! La roulette, c'est la vie."

Alexis ne va pas s'en tenir aux réflexions philosophiques que lui conseille de faire son nouvel ami, éprouvé par l'attentat qui a laissé son fils dans un état végétatif et qui a conduit sa femme au suicide. Il va jouer et tout perdre, comme si la descente aux enfers, une fois amorcée, ne pouvait plus être stoppée. Le dénouement, annoncé dans le prologue, ne sera pas évité.

Alexis est monté très haut. Petit, il se voulait prince. En quelque sorte il l'a été, prince d'orchestre, comme le titre qui était prévu pour son hagiographie. Plus dure est donc sa chute. Dans son cas la musique n'adoucit pas les moeurs. Même si, par moments, l'espoir renaît de sa possible rédemption grâce à elle.

Le lecteur sait dès le début quelle sera, le 15 août 1998, la fin inéluctable de cette histoire. Metin Arditi le tient pourtant en haleine jusqu'au bout et ne le laisse pas, malgré tout, sur une note pessimiste. Comme la vie, il réserve à la fin quelques petites bonnes surprises, qui compensent un peu le terrible déterminisme du récit.

Francis Richard

Prince d'orchestre, Metin Arditi, 380 pages, Actes Sud


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