Magazine Animaux

Eloge de la complexité

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages

On assiste à un tournant dans la politique de "protection" et de "gestion" du loup en France.
Petit rappel historique

6 loups ont été prélevés dans le cadre 
des premiers Plans loups:

  • une louve dans le Vercors en 2004 ;
  • un loup dans le Taillefer en 2004 ;
  • un loup en Valdaine en 2005 ;
  • un loup et une louve en Belledonne en 2006 ;
  • une louve gestante sur le plateau des Glières en 2009.

En 2011, un quota de 6 loups est défini. Le 13 mai 2011, paraissent les deux arrêtés fixant les conditions, les limites et les départements dans lesquels des dérogations aux interdictions de destruction pouvaient être accordées par les préfets. 3 loups sont abattus par des tirs de défense ou de prélèvement, 2 louves sont braconnées et une empoisonnée. Un loup supplémentaire découvert mi décembre 2011 a été classé comme loup mort pour cause d’empoisonnement. Ce 7ème cas sera reporté sur le quota 2012.

En 2012, le 16 mars 2012, un arrêté assouplit les conditions de mise en œuvre des « tirs de défense ». Cet arrêté autorise la réalisation de tirs pour des troupeaux situés « à proximité d’un troupeau ayant subi une attaque ». L’Etat évoque la notion de « troupeau reconnu comme ne pouvant être protégé », permettant dans certaines zones le tir de loups en cas d’attaque sur des troupeaux laissés sans protection. Le 10 mai, les deux arrêtés sont publiés au journal officiel : 11 loups pouvent été tués dans le cadre du protocole d’intervention 2012-2013. A ce jour cinq loups ont été prélevés.

La fin des illusions

Pour moi, il ne fait plus aucun doute que le gouvernement va tout faire pour arriver à prélever le quota de 11 loups cette année, mais également que celui-çi va exploser dans le prochain plan et que les conditions de défense vont être assouplies.

S'il est clair que le loup pose des problèmes économiques, sociaux et humain aux éleveurs, il me semble faut de considérer, comme le fait Christophe Castaner à la tête du GNL, une espèce animale comme "un problème écologique". Les prédateurs se situent en haut de la pyramide alimentaire et la prédation est naturelle.
Ce n’est pas le loup mais la crise pastorale qui provoque une fermeture du paysage, il est bon de se souvenir que :

  • les paysages évoluent, s'ouvrent, se referment au gré de l'évolution de l'emprise humaine agricole ou urbanistique. Avant nous était la forêt, après nous sera la forêt.
  • partout en France, même où les prédateurs sont absent, le pastoralisme est en difficulté.

Depuis le retour du loup (certains continuent à parler de réintroduction) et sa rapide conquête de nouveaux territoire, le loup est et reste, théoriquement, une espèce protégée en France. Mais le pastoralisme doit également être protégé si l'on veut être cohérant et pour parler de cohabitation.

Le triangle infernal

Les associations et acteurs en présence ont des rapports à la nature très différents. Les trois principales visions s'accompagnent d'une multitude de visions intermédiaires. Historiquement, nos rapports à la nature ont été marqués par la religion, l'agriculture et la recherche du progrès.
L’anthropocentrisme

L’anthropocentrisme est une conception philosophique qui considère l’homme comme l'entité centrale la plus significative de l'univers et qui appréhende la réalité à travers la seule perspective humaine. Cette vision est dominante à droite comme à gauche, pour des raisons différentes. En cas de crises, les partis traditionnels, de droite comme de gauche se recentrent sur les "problèmes socio-économiques" :

  • pour les secteurs traditionnels comme l'agriculture ou les entreprises, pour la droite en général, les efforts doivent porter sur la croissance (économique), la liberté d'entreprendre, l'ouverture des marchés etc. L'aspect social n'est la que pour apporter une certaine justice, variable selon les intérêts, basée sur le mérite et pour être au service de l'économie.
  • pour la gauche, les efforts doivent porter sur la croissance (économique également), mais pour développer ou maintenir l'emploi, la justice sociale, la solidarité, le soutien au plus pauvres ou aux plus faibles.
Pour les deux visions, l'environnement est une nouvelle variable d'ajustement qui ne pèse pas lourd quand l'économique ou le social sont en danger. L'homme et l'humanisme passent avant la nature. Les animaux sauvages ou domestiques sont triés en fonction de leur utilité et de leur rentabilité : animaux de rente, gibiers, nuisibles on espèces décoratives qui laissent indifférents. “A quoi ça sert un ... ?”

Du côté des associations dites environnementales, on trouve deux visions très différentes qui s’opposent, bien que toutes deux opposées à la vision anthropocentrique.
Le biocentrisme

Dans la vision biocentrique, on trouve au centre de toutes réflections la responsabilité de l’homme et les dégâts qu’il occasionne à la nature, à la planète par ses comportements irrespectueux, ses techniques et ses inventions.

La séparation entre l’homme et la nature est nette. Elle est maintenue comme dans la vision anthropocentrique, mais en inversant les rôles : ce n’est plus l’homme qui est au dessus et domine la nature mais la nature qui est sacrée, considérée comme idilique, un paradis perdu à retrouver ou à reconstruire si c'est possible. L’homme doit supporter le poids de ses travers et de ses responsabilités. La vision biocentrique combat les comportements excessifs et les effets pervers de la vision anthropocentrique.

Les animaux sauvages ou domestiques doivent être respectés comme des individus qui ont tous le droit à la vie et il n’est pas question d'envisager une “gestion de population”. Chaque loup tué est une nouvelle preuve des excès humains. L’espèce et la conservation de celle-çi est moins importante que le respect de chaque animal, qu’il est hors de question d’instrumentaliser, de suivre scientifiquement ou d’équiper par exemple. La vision biocentrique oublie l’intégration des individus dans les ecosystémes. 



L'écocentrisme

Dans la vision écocentrique, la conservation de l’éspèce est plus importante que les individus qui la constitue. Elle s’oppose en celà à la vision biocentrique. 

Tous les organismes sont membres d’un tout, reliés entre eux et ont la même valeur intrinsèque. Tous les éléments dans la nature sont donc interdépendants et il n’y a pas de coupure entre l’humain et la nature. La vision écocentrique s’appuie sur les sciences, les connaissances, l’art et les sentiments (le beau).

Les lois de la nature deviennent des règles éthiques qui doivent aider l’homme à faire les bons choix. La beauté et l’équilibre de la nature indiquent ce qu’il convient de faire ou pas.

Cette vision accorde plus d'importance à la sauvegarde de l'espèce qu'à la sauvegarde de chaque individu. Il est donc possible de prélever des individus, de supprimer et de remplacer un individu "à problème" à condition que cela ne soit pas inutilement et que cela ne mette pas en danger l’espèce. La souffrance animale est ici acceptable si c'est pour une bonne cause.
Les controverses environnementales

Casse tete chinois
On le voit, chaque position s'oppose au deux autres. Ces trois visions de nos rapports à la Nature se retrouvent dans tous les conflits environnementaux et constituent un triangle infernal qui se complique par des positions intermédiares, parfois indécises ou fluctuantes.

L’identification de la position prise par chaque acteur à un moment donné permet de mieux comprendre les intérêts et demandes de chacun, les visions du monde de chaque individu ou association. Elle permet aussi de voir plus clair dans ce qui est acceptable pour chacun.
Parfois, le dialogue est impossible. Parfois la politique du boycott ou de la chaise vide empêche toute concertation. Concertation qui est parfois considérée par le politicien local comme une épreuve sans grand intérêt, un passage obligatoire, nuisible à sa responsabilité et à son pouvoir, qu’il contourne d’une manière ou d’une autre.
La solution passe donc obligatoirement par le compromis, que chaque acteur qui ne comprend pas le triangle infernal, considère bien souvent comme de la compromission. Il campe alors sur ses positions. Et le conflit dure et s’éternise. La politique essaie bien d'en sortir mais se trouve engluée dans le triangle infernal et dans une vision bien souvent à court terme, celui de la prochaine élection.

Comme la position dominante reste l’anthropocentrisme et que la population augmente, les dégâts causés par l’homme continuent, même s’ils diminuent parfois en intensité pour cause de protection (relative ou réelle) de la nature. Et les espèces continuent de disparaitre et le climat de changer…, malgré les grandes réunions internationales qui accouchent de souris.
Nicole Huybens propose dans ses travaux une quatrième vision, la vision multicentrique, pour participer à la résolution des controverses environnementales. Pour elle, "Trouver une solution simple n'est simplement pas une solution". Il faut prenre du recul et sortir de ces trois positions pour mieux les intégrer toutes. Elle propose de comprendre les humains et leurs natures différentes, pour agir dans la complexité. C'est intéressant, mais je n'ai pas encore rencontré cette position sur le terrain conflictuel des grands prédateurs en France. C'est la recherche d'un compomis acceptable par tous.
Dans le cas du loup comme dans les autres controverses, la solution consiste donc à respecter ces trois visions du monde, à accorder autant d’importance à l’homme, à l’espèce animale et à l’individu, à trouver une politique qui sera acceptable par tous sans être idéale à chacun. Et c’est très complexe...

Il faut faire l'éloge de la complexité pour pouvoir faire des compromis : pas d’éradication du loup mais une gestion de la population. On y est déjà ? Oui, mais les limites quantitatives et géographiques n’ont pas encore été discutées, fixées. Et les avis sont très différents : de nulle part pour les éleveurs à dans toute la france et ailleurs pour les "fous du loup" ; de " zéro loup, éradiquons! " à " le maximum, sans aucun tir! " en passant par toutes les positions intermédiaires.

Faut-il laisser le loup reconquérir tout le pays (il n’y a pas que la France) ? A partir de combien d’individus une espèce est-elle viable ? Jusqu’à quel nombre l’homme peut-il laisser une espèce se developer sans que les conséquences économiques, sociales et environnementales ne soient trop lourdes et compliquées à gérer ?

En gros, rechercher une position durable dans le temps et pour les générations futures. Il nous reste à inventer une quatrième voie, un nouveau rapport à la nature.

Qui a dit Développement Durable ? Je suis pour la cohabitation.


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