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« Un autre christianisme est possible, la fin d’une Eglise moyenâgeuse » (sic.) chez Golias

Publié le 25 octobre 2012 par Tchekfou @Vivien_hoch

Jean-Paul GALLET, Professeur des Universités, ancien Doyen et lecteur d’Itinerarium, a lu « Un autre christianisme est possible, la fin d’une Eglise moyenâgeuse » de Roger Lenaers, aux éditions Golias, et l’a recensé pour Itinerarium.fr. 

Roger Lenaers est un théologien jésuite d’origine belge. Ce livre m’a été prêté par des amis très chers et j’ai été profondément choqué, au sens fort du terme, à sa lecture. J’ai demandé à d’autres amis de le lire afin que nous en parlions. Nous l’avons lu et commenté. Ce texte est le fruit de nos réflexions

 « Un autre christianisme est possible, la fin d’une Eglise moyenâgeuse » (sic.) chez Golias

Bref résumé

Dans son introduction l’auteur affirme que le langage de l’Eglise est inaudible pour un homme du 21e siècle ; il se propose de faire une « traduction » en langage moderne de l’enseignement que nous avons reçu en affirmant : « sans cette traduction le message n’est plus qu’un bêlement incompréhensible. » !!!

Cette « traduction » est mal écrite et souvent confuse. En fait de traduction il s’agit bien plus d’une critique véhémente : l’auteur récuse non seulement le langage de l’Eglise mais son mode de fonctionnement, sa hiérarchie qui selon lui est totalement dépassée. Je comprends ce type de critique car il est vrai qu’il y aurait bien des choses à revoir dans l’Eglise. J’ai d’ailleurs il y a quelques années écrit sur ce sujet « le Monde et l’Eglise » où je dénonçais la rigidité de l’Eglise dans bien des domaines.

Mais l’auteur va beaucoup plus loin puisqu’il récuse les fondements même du christianisme : l’incarnation, la résurrection, la rédemption. Il propose un nouveau credo. Nous sommes très loin d’une simple « traduction ». C’est une remise en cause globale.

Modernité, Pré Modernité

 L’auteur nous prévient que c’est le chapitre le plus important : il veut expliquer le fonctionnement de sa pensée. Chapitre très intellectuel nullement convaincant.

Selon lui il y a dans l’Eglise deux courants :

- les modernes qu’il appelle aussi progressistes dont il fait partie

- les prés modernes ou conservateurs. Ceux-ci en sont restés à l’époque médiévale.

Mais il oublie-sans doute volontairement- de dire que dans l’Eglise il y a des femmes et des hommes libéraux (ni progressistes ni conservateurs) et que ces libéraux constituent la masse la plus importante des croyants. Ils sont nombreux aussi dans le clergé y compris chez les évêques : lorsque j’ai écrit mon texte « Le Monde et l’Eglise » je l’ai envoyé à 4 évêques que je ne connaissais pas, 3 d’entre eux m’ont approuvé. Ce mouvement de pensée est complètement occulté dans ce livre.

Je suis d’accord avec l’auteur quand il dit que l’Eglise a pris du retard à partir du 16e siècle à l’avènement d’une culture scientifique se détachant des croyances et superstitions du moyen âge. Mais s’il est vrai que l’Eglise a réfuté pendant des siècles l’essentiel des découvertes scientifiques faites depuis le 16e siècle, en revanche un tournant majeur s’est produit dans la 2e moitié du 20e siècle : les réhabilitations de Galilée et Copernic sont les témoignages de ce virage, la théorie de l’évolution a été validée par Jean-Paul II, en 1957 Pie XII devant l’académie pontificale dans une déclaration solennelle, acceptait la théorie du bigbang découverte par un Français en 1927.

Ainsi l’Église ne récuse plus la science, ne la condamne plus, elle en étudie les conséquences sur l’humanité, c’est l’utilisation de la science pour l’homme qui devient sa préoccupation dans ce domaine.

Vatican II par ailleurs a mis un point final à cette affirmation ancienne de l’Eglise : « Hors de l’Eglise, point de salut ». La reconnaissance de la validité des autres religions y est affirmée ce qui permet une avancée majeure, le dialogue interreligieux.

Nous sommes nombreux dans l’Eglise à considérer que d’autres réformes sont indispensables et que Vatican II n’es pas complètement appliqué. Mais affirmer comme le fait l’auteur du livre que l’Eglise d’aujourd’hui est médiévale est un mensonge ce qui est grave.

Les écritures

L’ancien et le nouveau testament sont pour nous la source essentielle sur laquelle s’appuie notre foi. L’auteur nous met en garde contre une lecture trop proche du texte, il faut dit-il replacer ces écrits dans leur contexte socio culturel qui n’est pas évident pour des textes datant de plusieurs millénaires. Je pense qu’il a tout à fait raison sur ce point.

Mais il est très négatif sur ce type de lecture allant jusqu’à dire : « on peut se demander si la propagande en faveur d’une lecture personnelle de la Bible est aussi recommandable qu’elle le parait ». Je suis personnellement choqué par cette phrase. Je pense en effet que la lecture de la Bible est toujours enrichissante et je ne vois pas pourquoi elle devrait être réservée à quelques initiés dont le rôle serait de nous la « traduire ». Elle est en tout cas plus aisée à lire que le livre de Lenaers.

Je n’ai pas lu, loin s’en faut, toute la Bible mais j’en suis un lecteur assidu.

J’adore lire et relire la Genèse : c’est un livre touchant émouvant de naïveté et de foi dans le Dieu créateur. Ce petit peuple nomade du Moyen Orient, inculte qui découvre le Dieu unique dans son cœur me touche profondément. J’aime relire le livre de Job, merveille de foi et d’humilité « l’Éternel a donné, l’Éternel a repris, béni soit Son Nom ». J’aime le Cantique des Cantiques qui est le plus beau poème d’amour que je connaisse.

J’ai lu autrefois la totalité du Nouveau Testament. A l’heure actuelle je lis chaque matin la liturgie du jour que je reçois par internet (sur le site EAQ), je médite sur un des textes, c’est ma façon de prier et j’y découvre toujours quelque chose de nouveau qui m’avait jusque-là échappé.

Sans doute fais-je des erreurs d’interprétation mais qu’importe ! Ces lectures sont, j’en suis convaincu, de nature à renforcer ma foi

Dans ce rejet de la lecture des écritures l’auteur semble redouter que nous parvenions à y puiser des éléments propres à rejeter ses thèses : il n’aime pas dit-il que l’on cite la Bible estimant que cela nuit au dialogue ! Quant à lui il s’exonère très facilement des écrits bibliques qui ne vont pas dans le sens qu’il voudrait leur donner. Il n’hésite pas, à propos de tel texte qui le gène, à dire que ce n’est ce qu’a voulu dire l’auteur, ou que le texte est douteux sur le plan historique (en particulier l’évangile de St Jean !)

Le fonctionnement de l’Eglise

Actuellement  l’Eglise dans sa gouvernance est une institution très hiérarchisée, très centralisée où les décisions sont prises par le pape et par les évêques nommés par lui. L’auteur se propose de revoir complètement cette organisation afin de donner le vrai pouvoir à la base c’est-à-dire aux communautés que sont actuellement les paroisses.

Le sacerdoce serait aboli, chaque communauté désignerait par consensus ou élection le président (ou la présidente) de la communauté. L’échelon supérieur serait le doyenné regroupant plusieurs communautés voisines, puis l’évêque élu par les doyens et ainsi de suite jusqu’à l’échelon  suprême le pape.

La particularité de cette organisation est la suivante : plus on s’élève dans la hiérarchie moins on a de pouvoir, celui-ci devant toujours être détenu par la base. Cette organisation est d’une naïveté consternante et confine au ridicule. Ce qui fait la force et l’originalité de l’Eglise catholique c’est son unité. L’Islam se dit dans une belle formule « la communauté des croyants », mais comme il n’y a pas de hiérarchie on assiste à un éclatement de l’Islam en de multiples tendances allant des plus libérales au terrorisme pratiqué au nom d’Allah. Quelques questions : qui pourra être éligible aux différentes fonctions ? Quelle sera la formation théologique  exigée ? Y aura-t-il des campagnes électorales ? Qui aura le droit de veto ? (car l’auteur parle d’un droit de veto).

Il prétend que cette nouvelle configuration de la hiérarchie est très démocratique ! Mais non ! Dans toutes les démocraties du monde c’est l’échelon supérieur qui détient le pouvoir. Le modèle proposé par Lenaers me rappelle mai 1968 où les étudiants avaient imaginé que les gouvernements élus seraient là pour exécuter les décisions de la base. Que l’on se réfugie dans cette utopie est normal à 20 ans mais Lenaers a largement dépassé les 60 ans.

Qu’il soit souhaitable de revoir très largement la gouvernance de l’Eglise, j’en suis pleinement d’accord mais avant de détruire il est indispensable de distinguer le possible et l’impossible pour la reconstruction. La proposition de l’auteur me semble irrecevable tant elle est emprunte de légèreté.

L’incarnation, la résurrection, la rédemption sont pour moi intouchables

L’incarnation. Lenaers la nie, selon lui une fois encore c’est une fausse interprétation des textes évangéliques. Comme il veut prouver sa thèse de façon scientifique il se livre à une contorsion ridicule en faisant intervenir la génétique et les chromosomes pour démontrer que si, incarnation il y avait eu, le Christ serait une fille ! bien entendu il ne se réfère à aucun texte, ni celui de Mathieu, ni celui de Jean dans son prologue :

Mathieu :

« Marie, la mère de Jésus, avait été accordée en mariage à Joseph ; or, avant qu’ils aient habité ensemble, elle fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint. Joseph, son époux, qui était un homme juste, ne voulait pas la dénoncer publiquement ; il décida de la répudier en secret. Il avait formé ce projet, lorsque l’ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle mettra au monde un fils, auquel tu donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »
Tout cela arriva pour que s’accomplît la parole du Seigneur prononcée par le prophète :
« Voici que la Vierge concevra et elle mettra au monde un fils, auquel on donnera le nom d’Emmanuel, qui se traduit : « Dieu-avec-nous ». Matthieu 1,1-16.18-23

Jean :

« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu… le Verbe était dans le monde, et le monde par lui a été fait, et le monde ne l’a pas connu. Il vint chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous, (et nous avons vu sa gloire, gloire comme celle qu’un fils unique tient de son Père) tout plein de grâce et de vérité. » Lenaers nous dit simplement que ce prologue est d’authenticité douteuse !

Pourquoi douter de la réalité de l’incarnation ? Parce qu’il n’y a aucune preuve ? Sans doute mais la croyance en l’Incarnation est du domaine de la foi, pas de la science. Croire en Dieu est aussi du domaine de la foi et bien qu’il n’y ait pas de preuve nous croyons en l’existence de Dieu. Pourquoi alors réfuter l’incarnation. ?

La résurrection. C’est une illusion nous dit l’auteur, il ne faut pas prendre les textes à la lettre. Après, comme il en a coutume, une digression scientifique expliquant ce qu’est biologiquement la décomposition des corps après la mort, Lenaers, parlant des apparitions de Jésus après sa mort telles qu’elles sont relatées dans les évangiles s’en tire avec une pirouette « Ce ne sont pas des faits mais des images. » Donc pour lui il n’y a pas eu résurrection, Jésus est vivant ce qui n’est pas plus simple à expliquer : d’ailleurs son explication est incompréhensible.

Mais Jésus a dit :

« Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les chefs des prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, le troisième jour, il ressuscite. » (Luc 9,18-22)

Et  Paul a dit :

« S’il n’y a point de résurrection des morts, Christ non plus n’est pas  ressuscité. Et si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est donc vaine, et votre foi aussi est vaine. » Épitre aux Corinthiens 15 : 13-4

 En ce qui me concerne, je crois en la résurrection, elle fait partie des fondements de ma foi.

La rédemption n’apparaît pas de façon explicite dans le livre  « je crois dit-il dans l’offre que nous fait Dieu de nous guérir et de faire de nous enfin de véritables êtres humains ». Définition bien pale de la rédemption.

Le mot latin redemptio signifie « rachat ». Dans l’ancien testament le rachat tient une place importante : dans le livre de l’Exode Dieu est celui qui « libère pas seulement une personne mais tout un peuple de l’oppression et de l’esclavage ».lors de l’exil à Babylone Israël est infidèle à son Dieu mais, par amour, Dieu rachète son peuple de l’exil et permet le retour en terre promise (Isaïe 41 :14)

Dans le nouveau testament ce thème du rachat, de la rédemption est souvent repris.

« Et nous, nous avons contemplé et nous attestons que le Père a envoyé son Fils comme Sauveur du monde » (Jean 4, 7-15)

« C’est ainsi que le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude. » (Mt 20, 28)

Le Christ est venu sur terre non seulement pour prêcher la bonne nouvelle mais aussi pour racheter toutes les fautes, les erreurs, les lâchetés, les crimes de l’humanité depuis qu’elle existe jusqu’à son extinction. C’est la rédemption qui donne tout son sens à l’incarnation et à la résurrection. Elle fait partie des fondements de ma foi.

La dévotion à Marie

C’est dans le chapitre consacré à Marie que la mauvaise foi de l’auteur est évidente. D’une part il donne pour uniques sources de cette dévotion deux textes de Luc  (l’annonce de l’ange et le magnificat), mais dit Lenaers ces textes appartiennent aux parties les plus mythologiques  de cet évangile et donc les moins fiables historiquement.

 Il omet de parler du texte de Mathieu qui sans doute le dérange et que j’ai cité plus haut : « l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle mettra au monde un fils, auquel tu donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »

Dans l’évangile de Jean il est question de Marie mais Lenaers affirme « ce 4e évangile est fort sujet à caution, historiquement parlant ! ».  Il est facile de se débarrasser d’un texte dont on ne veut pas en affirmant qu’il n’est pas fiable ! Comment peut-on accorder foi un auteur qui se joue des textes de références ?

En ce qui concerne proprement la dévotion à Marie, je trouve que c’est une très belle tradition. Depuis le haut Moyen Age cette tradition perdure avec son expression la plus tangible les pèlerinages qui existent dans le monde entier. J’ai, pour ma part participé au pèlerinage étudiant de Chartres 3 ans de suite et j’en ai un  souvenir durable : des milliers d’étudiants marchent 2 à 3 jours en Beauce en chantant le « je vous salue Marie » et en méditant et discutant du thème proposé par les responsables du pèlerinage. Cette tradition apparue à l’initiative de Charles Péguy en 1936 est toujours vivante et entre 5000 et 10000 étudiants y participent chaque année. Personne n’est obligé de souscrire à cette dévotion mais, de grâce, ne la ridiculisons pas comme le fait l’auteur !

 Les saints

Les saints lui semblent inutiles et leur intercession lui semble absurde !

Un peu de nuance s’il vous plait. Je ne crois pas, moi non plus, que les saints soient des intercesseurs pour obtenir quelque faveur ou quelque guérison mais je ne jette pas la pierre à ceux qui croient à cette intercession

D’ailleurs actuellement la majorité des chrétiens ne prient plus les saints pour demander leur faveur. Je suis de ceux-là. En revanche je crois que l’Eglise nous propose des exemples et c’est important. J’ai, en ce qui me concerne quelques exemples qui m’ont beaucoup frappé : St Vincent de Paul, St François d’Assise, Ste Thérèse d’Avila, St Maximilien Kolbe et je suis reconnaissant à l’Eglise de me les avoir fait connaître.

Les rites

Lenaers n’aiment pas les rites de l’Eglise. De la messe du dimanche il dit que c’est « un rite soporifique. » Pour lui les sacrements sont des « rites de passage » sans grande signification pour la majorité d’entre eux. Que de mépris dans ces affirmations.

L’homme a besoin de rites et les rites les plus profanes jalonnent notre vie : l’enfant a besoin de rites, la famille a ses rites propres, le groupe social également.

Toutes les religions ont leurs propres rites, le déroulement de la messe obéit à un rite, le même dans le monde entier, les séquences liturgiques font partie aussi de ces rites. Je pense que ces rites sont indispensables.

Quand le dimanche je lis la liturgie du jour je suis émerveillé en pensant que dans le monde au même moment des millions d’hommes et de femmes lisent ou entendent les mêmes textes. Je comprends alors mieux le sens du mot « catholique » qui veut dire « universel »

Le nouveau Credo

Fort de ses démonstrations l’auteur propose un nouveau Credo. Ce Credo est rédigé dans un langage curieux moins accessible en tout cas que le Credo que nous disons à la messe. Sans le recopier tout entier j’en donne deux exemples

Nous disons « je crois ….et en Jésus Christ son fils unique notre Seigneur, qui a été conçu du Saint Esprit, est né de la Vierge Marie »

Dans le langage « moderne » cela devient  « et en Jésus notre messie, Image unique de Dieu, né de parents humains, mais en même temps entièrement fruit de l’Amour salvifique de Dieu »

Nous disons « a souffert sous Ponce Pilate, est mort, a été enseveli, est descendu aux enfers, le troisième jour est ressuscité des morts »

Dans le langage de Lenaers on lit « il parcourut le chemin de la souffrance et de la mort, fut crucifié par ordre de Ponce Pilate, mourut et fut enterré, mais il vit dans la plénitude, puisqu’il s’est laissé absorber totalement par Dieu devenant une force de guérison qui amènera toute l’humanité à sa plénitude »

Il est clair dans ce nouveau credo que l’incarnation et la résurrection n’existent pas. De surcroit l’auteur, dans ce texte utilise un jargon que bien peu de Chrétiens pourraient comprendre.

L’utilisation abusive du terme « hétéronome »

Pour appuyer sa démonstration Lenaers utilise sans cesse le terme « hétéronome » pour définir la pensée dite pré moderne. Selon lui l’Eglise prétend que la parole de Dieu est venue d’un autre monde, d’un monde d’en haut, monde qu’il qualifie d’hétéronome.

Lorsqu’un mot est peu usité il est parfois utile d’en voir la définition.

Définition

Hétéronome (définition officielle) : qui reçoit sa loi du dehors, au lieu de la tirer de soi-même. (C’est la définition donnée par Kant dans « la critique de la raison pure »)

Hétéronome (définition Lenaers) : qui vient d’un autre monde

Lenaers fait donc un contresens puisque par définition toute pensée qui ne vient pas de soi est hétéronome qu’elle vienne de ce monde ou d’un autre

Exemples

Quand je discute avec quelqu’un j’entends une parole hétéronome, elle ne devient la mienne (c’est-à-dire autonome) que si je fais miens les arguments de mon interlocuteur.

Quand je lis ce livre de Lenaers les idées qu’il exprime sont, par définition, hétéronomes pour moi.

Sans cesse tout au long de son livre il oppose cette pensée hétéronome à celle de la modernité.

Cette erreur est évidemment volontaire (il est spécialiste des langues anciennes et hétéronome vient du grec). En soi ce ne serait pas grave si ce n’était pas une manipulation pour faire admettre au lecteur le bien fondé de ses idées.

Pour être plus clair je dirais que Lenaers prétend que nous sommes manipulés par l’Eglise alors que le manipulateur c’est lui. Cette technique de manipulation est connue : j’ai suivi autrefois un séminaire d’expression, orale, le conférencier avait consacré une demie journée sur le thème « comment manipuler vos interlocuteurs ? » Voici la technique : « utilisez un mot savant, traduisez le à votre avantage même si votre traduction est fausse, glissez le 20 à 30 fois dans votre discours, et vous serez entendu, c’est ainsi que fonctionnent nos hommes politiques ! » c’est presque excusable de la part d’un politique mais surement pas d’un jésuite.

Un autre Christianisme ?

Le titre du livre est excellent et je l’entends ainsi : il faut détruire complètement l’Eglise et son enseignement, voici de nouvelles propositions pour un autre Christianisme.

« Pourquoi ne quittez-vous pas l’Eglise catholique puisqu’elle ne vous convient pas ?  »

En clair il s’agit d’une autre religion, religion qui se réclame du Christ comme beaucoup d’autres religions ou sectes mais qui n’a plus rien à voir avec la mienne. Que Lenaers le pense, il en a le droit, qu’il l’écrive c’est normal mais on a envie de lui demander « Pourquoi ne quittez-vous pas l’Eglise catholique puisqu’elle ne vous convient pas ?  »

Réactions à propos de ce livre

Nos amis à qui j’ai fait lire ce livre : « Mais c’est abominable, c’est un tissu de sottises à mettre au feu ». Nous en avons ensuite parlé et c’est après cette conversation que j’ai écrit ce texte qui est le résumé de ce que nous pensons. »

Un de mes amis jésuite (de la faculté de théologie jésuite de Paris) à qui j’ai demandé ce qu’il pensait du livre : « il s’agit d’un jésuite un peu marginal (ou très!). Je pense que le contenu est très léger, plutôt du genre idéologique. »

Ma réaction : oui je pense aussi que le livre est léger (beaucoup d’approximation), idéologique (l’auteur a un présupposé, ce qu’il appellerait un axiome, tout détruire et reconstruire). J’ajoute qu’il est marqué du sceau de l’intolérance ce que je ne supporte pas : il est méprisant pour ces pauvres adeptes de la pensée pré moderne. Or le mépris est la forme courtoise de l’intolérance. J’ai appris autrefois que l’intolérance était le plus grand des péchés.

Explications sur ma formation religieuse

Je tiens ma formation religieuse des jésuites de la Conférence Laennec (devenue Centre Laennec) : je l’ai fréquentée pendant environ 50 ans d’abord comme étudiant, ensuite comme conférencier d’internat, enfin comme président de l’association des anciens. La boite comme nous disons est sous la responsabilité d’aumôniers directeurs jésuites. J’en ai connu un certain nombre et trois d’entre eux m’ont beaucoup marqué.

 

Le premier était médecin avant d’entrer au noviciat des jésuites. Il voulait faire de nous de bons médecins « Puisque nous sommes chrétiens soyons les meilleurs parmi les médecins » Sur le plan religieux il était très ouvert sauf sur un point : Jésus de Nazareth est le fils de Dieu, c’est intangible. Il est décédé en 1975. Il m’a beaucoup aidé à réfléchir sur tous les sujets des plus profanes aux plus religieux. Scientifique de formation je m’éloignais alors de l’Eglise qui réfutait la théorie de l’évolution. Le Père m’a fait lire Teilhard de Chardin, je me suis réconcilié quand j’ai compris que science et religion n’était pas incompatible mais complémentaire.

 

Le second  était docteur en philosophie de formation, et par ailleurs héro de la résistance. Son enseignement il le délivrait à l’occasion de petites choses de la vie courante. Il ne croyait guère au péché mais répétait à qui voulait l’entendre le Christ a dit « aimez-vous les uns les autres. Le vrai, le seul péché c’est l’intolérance qui est la négation de l’amour envers les autres. » J’ai toujours retenu cette leçon. Je l’ai vu régulièrement jusqu’à sa mort en 1990.

 

Le troisième est très connu en tant que spécialiste de l’éthique médicale. C’est lui qui a introduit en France les traitements contre la douleur, il a été  membre du comité national d’éthique et a inspiré la loi Leonetti. Il enseigne l’éthique à la faculté de philosophie jésuite de Paris. Je suis resté en relation avec lui et il m’a dit il y a 2 ou 3 ans : « Bien que très critique sur son fonctionnement et son enseignement je reste fidèle à mon Eglise »

Je n’ai pas connu le cardinal Martini, lui aussi jésuite, mais j’avais été très intéressé par le livre d’entretien qu’il avait publié il y a quelques années « Le rêve de Jérusalem ». Il est décédé le 31 aout dernier et le lendemain a été publié son testament spirituel, un très beau texte. Il était favorable à  la rénovation en profondeur de l’Eglise, à l’ordination des femmes, à l’assouplissement de la morale sexuelle de l’Eglise, au mariage des prêtres. Il était d’une grande simplicité de cœur et de langage. J’en veux pour preuve cette phrase où il parle de sa propre mort prochaine : « Je demanderai à Jésus qu’il m’envoie, aux heures difficiles de l’adieu ou de la mort, des anges, des saints ou des amis qui me tiennent la main et qui m’aident à surmonter mon angoisse ».

Tous ces hommes m’ont transmis un message que je ne veux pas trahir. J’ai beaucoup pensé à eux lorsque j’ai lu le livre de Lenaers.

Conclusion

Je ne suis pas d’accord avec Lenaers sur l’essentiel. Je crois que l’Eglise a beaucoup évolué au 20e siècle et qu’elle a rattrapé une partie du retard accumulé depuis le 16e siècle. Sans doute y-a-t-il encore beaucoup de travail à faire : revoir sa gouvernance, appliquer complètement Vatican II, assouplir la morale sexuelle etc. je suis pleinement d’accord avec les recommandations du cardinal Martini. Je suis tout à fait convaincu que ce renouveau va venir et je dis à ceux qui se prétendent « modernes »  « Soyez tolérants, et patients »

Mais je suis profondément attaché aux trois mystères qui sont l’essentiel de l’enseignement de l’Eglise : incarnation, résurrection, rédemption.

La lecture de ce médiocre livre m’a fait du bien car il m’a renforcé dans mes convictions.

Jean-Paul GALLET

Professeur des Universités

Ancien Doyen de Faculté

Septembre 2012


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