Magazine Humeur

Vive la prout-prout philosophie !

Publié le 27 octobre 2012 par Kamizole

Vive la prout-prout philosophie !

J’ignorais jusqu’à avant-hier qu’un tel « événement » que la Semaine de la Pop philosophie (Magazine littéraire 18 oct. 2012) eût lieu à Marseille. L’enthousiasme de Jacques Serrano tient du parfait délire. A l’entendre interviewé sur France Info il ne s’agirait rien moins que d’une révolution copernicienne dans la manière de diffuser les notions essentielles de la philosophie en partant des préoccupations de la vie courante et non des concepts forcément rébarbatifs tels qu’enseignés en Terminale.

Bien dans l’air du temps de notre époque : apprendre sans peine. Sorte de « Méthode Assimil » pour incultes pressés. S’emparer des mots mais non des idées essentielles qui les sous-tendent. Je n’ai pu m’empêcher de penser à ce qu’écrivirent naguère Gilles Deleuze et Felix Guattari dans « Qu’est-ce que la philosophie » qui s’insurgeaient contre les publicitaires qui s’appropriaient le terme de « concept » - texte repris en exergue dans le hors-série « A bas la pub » de Charlie Hebdo. Il remarquaient que la « vieille dame » - la philosophie - avait déjà connu moult outrages.

Or, Jacques Serrano vient de la pub… CQFD.

Vive la prout-prout philosophie !

Impossible de ne pas penser à la célèbre controverse entre Proudhon et Marx : « Misère de la philosophie » contre « Philosophie de la misère », l’enseignement de la philosophie étant en pleine misère tant matérielle qu’intellectuelle… Foin donc de l’apprentissage - forcément difficile - des idées et des concepts. Comme en de nombreuses matières, il faut aujourd’hui du prêt à penser prédigéré. Apprendre sans peine, s’iou plait.

Nous n’en sommes même plus à une nouvelle « querelle des Anciens et des Modernes » : il y a belle heurette que les auteurs de l’Antiquité grecque ou latine n’ont plus droit de cité à l’école de même que le grec ou le latin. Dixit Nicolas Sarkozy : pourquoi enseigner ces matières qui n’intéressent plus personne ? Rassurer-vous : les auteurs dont les œuvres ont plus de 30 ou 40 ans (et encore !) sont frappés du même ostracisme.

Redécouvert parfois grâce à un film. Tel « l’Astrée » d’Honoré d’Urfé. Mais pourquoi pas « La carte du tendre » de Madeleine de Scudéry et d’autre auteurs - Voiture par ex. qui prétendait donner le « la » - des salons littéraires du XVIIe siècle où les côtoyaient aussi bien l’admirable épistolière Madame de Sévigné (dont j’étudiai « les Lettres » en primaire !) et son amie non moins talentueuse Madame de La Fayette ? Je pense notamment à ses écrits sur Henriette d’Angleterre (première « Madame » - épouse du frère du roi - dont Bossuet fit l’admirable éloge funèbre : « Madame se meurt, madame est morte ») moins connus que « La princesse de Clèves ».

Petite ironie dont l’histoire ne manque jamais, c’est en affirmant que l’étudier était du dernier barbant que Nicolas Sarkozy lui donna un regain de succès en librairie. J’en subodore la raison profonde : pour en goûter tout le sel encore faut-il avoir quelque connaissance en matière d’histoire, notamment la « Ligue » : guerres de religions entre catholiques (les Guise) et les protestants (le parti du futur Henri IV). Bref, tout ce qui peut faire la délectation de mémé Kamizole - et j’en laisse beaucoup de côté - est frappé d’un jugement rédhibitoire : du parfait ringard !

Ajoutez à cela que l’Educ-Nat et les redoutables « péda/gogues »…- je ne retiens que la dernière partie du terme ! - ont la manie de charger la bête - les programmes - d’une foultitude de matières ou de savoirs qui n’ont dans le meilleur des cas qu’un intérêt fort conjoncturel mais laissent à vau-l’eau les savoirs de base. Avec pour résultat qu’un trop grand nombre d’élèves arrivent aujourd’hui en 6ème sans savoir ni lire ni compter correctement. Sans même parler des repères chronologiques que l’on nous inculqua pour l’histoire.

Pour preuve que ces repères n’existent plus dans l’enseignement, j’entendis naguère une parfaite connasse décréter qu’un événement remontant au début du XXe siècle n’était rien moins que de la « préhistoire »… Bigre de bougre ! Lors même que toutes les recherches notamment archéologiques repoussent chaque jour dans le temps à des milliers d'années les frontières de la culture préhistorique

J’ai eu bien du mal hier matin à retirer mon nez de l’ouvrage d’Eric Orsenna « La grammaire est une chanson douce » acheté la veille en Poche… Je fus suffisamment colère naguère de lire que l’enseignement de la grammaire avait disparu comme tel de celui du français et se faisait désormais de manière aléatoire au gré des textes étudiés, qui plus est avec une foule de notions aussi absconses qu’alambiquées propres à décourager même les meilleurs élèves.

Ne croyez pas que je m’écarte de mon sujet, bien au contraire. Connaître comment se construit une phrase et s’articulent entre eux les divers éléments qui la composent et les liens entre les autres phrases d’un texte me parait essentiel pour construire la pensée d’une manière cohérente, ce qui me semble dépendre intimement de la façon dont on s’exprime aussi bien à l’oral qu’à l’écrit. Sans même parler de l’utilisation des différents « temps » de la conjugaison qui permettent précisément de se situer dans la chronologie, entre le passé - le passé simple pour le temps bref, l’imparfait pour le passé continu sur une longue période - le présent - et le futur pour en rester à l’essentiel, en n’ayant garde d’oublier le conditionnel si souvent massacré.

Or, si les élèves ne maîtrisent pas la construction d’une phrase - que ce fût pour une simple rédaction et a fortiori par la suite pour les dissertations, analyses de textes et autres exercices - comment voudriez-vous qu’ils fussent capables de comprendre et maîtriser les textes littéraires, philosophiques et autres ?

Que dirions-nous d’un constructeur qui prétendrait construire une maison sans commencer par les fondations, poser une toiture sans avoir monté des murs solides parfaitement d’équerre et qui plus est, sur une charpente dont les éléments seraient assemblés en dépit du bon sens ? Que la maison - telle celle des trois petit cochons - s’écroulera au premier coup de vent venu. Les phrases sans queue ni tête, venues au hasard des idées, qui émailleraient beaucoup de devoirs selon nombre d’enseignants ne valent guère mieux.

Mettre la philosophie dans la vie courante ? Bien évidemment oui.

Mais de là du plaisir de réfléchir (20 minutes 23 oct. 2012) que l’on me permît d’être plus que dubitative et fort critique : Jacques Serrano aux chiottes et l’on tire la chasse ? Comme pour nombre de ces intellos de pacotille et autres auteurs à succès dont la vraie littérature se passerait volontiers, nonobstant leurs chantres médiatiques. Marc Lévy en tête. Du diable si je les lis un jour, sinon achevez moi : Alzheimer sera forcément passé par là.

Car la fonction primordiale de la philosophie - amour de la sagesse - n’est pas de se gargariser ad nauseam des connaissances qu’elle nous enseigne si grand que fût leur intérêt. J’avouerais d’ailleurs, et sans fausse honte me replonger avec plaisir dans les textes, les analyses et mes cours avec le même plaisir gourmand - le « gai savoir » de Nietzsche - car j’y découvre à chaque fois des éléments qui m’ont échappé mais sans perdre de vue que la philosophie doit essentiellement nous nous donner les moyens de réfléchir sur les questions essentielles de la vie en raisonnant le plus droitement possible et mettre ce savoir en pratique pour conduire notre vie.

A priori, rien ne s’oppose donc à ce que la philosophie s’intéressât à des sujets qui peuvent paraître triviaux comme la culture pop lato sensu.

D’autant que la sociologie nous enseigne que la « culture » ne doit pas être circonscrite au seul domaine de la culture savante mais à l’ensemble des connaissances et pratiques qui contribuent à construire les mentalités, les opinions et les manières d’être, d’agir et de penser - aussi bien individuellement que collectivement - dans une société et à une époque déterminées.

Je ne me sens ni plus ni moins cultivée en me référant à des textes de chansons ou des pubs qui me reviennent en mémoire, à lire avec autant de plaisir des BD que des textes littéraires, de sciences humaines ou d’histoire, à aimer le football et d’autres sports, etc. Cela fait partie de ma vie et de mes centres d’intérêt.

Néanmoins, l’accent mis par Jacques Serrano et certains philo-sophes qui s’extasient devant sa démarche me parait critiquable non seulement parce qu’il prétend intéresser à la philosophie un public non averti et manquant des bases essentielles, ce qui relève de l’arnaque intellectuelle mais parce qu’il postule - comme le constate Olivier Pironet sur le blog « Le lac des signes » du Monde diplomatique Le bon filon de la philo (23 oct. 2012)… (le seul article critique que j’ai trouvé au gré de mes recherches sur Google !) - « qu'il faut abso-lument être pop » ! Il pointe à bon escient « l‘injonction marketing » de cet événement et du credo de Serrano - qui a priori n’a aucun bagage philosophique.

Simple effet de mode. Plus proche du tiroir-caisse que de la droite raison.

Une mode intello de plus dans ma déjà longue vie et dont je n’ai jamais rien eu à secouer même à l’époque où je n’avais guère de culture, tant ces injonctions m’ont toujours parues des plus falla-cieuses. Il fallait être « absolument » - au sens plein philosophique du terme du terme : qui ne saurait exister - « existentialiste » avec Sartre, « structuraliste » avec Lévi-Strauss (et Lacan), « prochinois » bien souvent avec les mêmes. J’en passe et des meilleures.


Retour à La Une de Logo Paperblog