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Ouragan Sandy : un effet relance de l'économie?

Publié le 04 novembre 2012 par Copeau @Contrepoints

Certains continuent à dire que les catastrophes naturelles comme l'ouragan Sandy sont bénéfiques à l'économie. Vraiment ?

Par Nathalie Elgrably-Lévy, depuis Montréal, Québec.

Le sophisme de la vitre cassée

Au-delà de la tragédie humaine que génère n’importe quel acte de destruction ou n'importe quelle catastrophe naturelle, certains y voient une bénédiction pour l’économie et un remède miracle à une croissance anémique. Au fils des ans, ce principe a été érigé en principe inaliénable. Nous en avons encore la preuve avec le passage de Sandy (ici).

Le raisonnement qui permet de dire que la destruction engendrée par Sandy relancera l’économie est en apparence tout à fait logique, car après la destruction s’impose la reconstruction et les efforts qu’elle implique. Bien entendu, bâtir signifie que la demande de biens et services augmente et qu’il faut embaucher des travailleurs. Dès lors, les défenseurs des bienfaits de la destruction affirment que cette hausse de l’emploi contribue à diminuer davantage le chômage, à augmenter le revenu des ménages et, par ricochet, à augmenter les dépenses de consommation. Les ventes au détail augmentent à leur tour, ce qui exerce à nouveau des pressions à la hausse sur la demande de main-d’œuvre et contribue à réduire davantage le chômage. Un cercle vertueux est alors enclenché et l’économie reçoit le traitement de choc qui va la sortir de sa torpeur.

Pourtant, il a été démontré à maintes reprises que l’argument ci-dessus est erroné malgré sa logique apparente. Il constitue certainement l’un des pires canulars économiques de notre époque. Pensons-y. Si in ouragan était effectivement bénéfique pour l’économie, n’aurait-il pas alors été préférable qu’il fassent davantage de dégâts ? L’économie n’aurait-elle pas été mieux stimulée si toute la ville de New York et même d’autres villes avaient été détruites ? Ne pourrions-nous pas également affirmer que la pollution est une bonne chose puisqu’elle permet la création d’emplois verts ?

Avec une telle logique, tout acte de destruction devient bénéfique pour l’économie. Et, à bien y penser, pourquoi attendre patiemment une catastrophe naturelle alors que nous pourrions nous-mêmes tout détruire et jouir immédiatement des bienfaits de la destruction ? Comme dit le proverbe, «on n’est jamais mieux servi que par soi-même», et la prochaine fois que l’économie montrera des signes de fatigue ou de paresse, nous n’aurons qu’à sortir les bulldozers et qu’à libérer de prison tous les pyromanes. Non?

Pour comprendre pourquoi destruction n’est pas synonyme de bénédiction, il faut simplement s’interroger sur l’origine des fonds privés et publics qui nous permettent de rebâtir. S’ils proviennent directement du Père Noël, la logique de la « destruction bénéfique pour l’économie » est défendable. Dans le cas contraire, il faut lire Frédéric Bastiat et Henry Hazlitt. Dans un recueil intitulé «Ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas», Bastiat écrit : «Entre un mauvais et un bon économiste, voici toute la différence : l’un s’en tient à l’effet visible ; l’autre tient compte et de l’effet qu’on voit et de celui qu’il faut prévoir.» [1] Comme le Père Noël n’existe pas, il faut se demander à quelles fins auraient servi les fonds issus des secteurs privé et public, n’eut été la destruction et l’effort de reconstruction. Ce que l’on voit, ce sont les emplois que ces événements ont effectivement permis de créer. Ce que l’on ne voit pas, ce sont les autres fins auxquelles les fonds auraient pu être alloués.

On reconnaît ici le principe du coût d’opportunité (à la base du raisonnement économique) qui exige la nécessité de considérer l’alternative de n’importe quelle action afin de pouvoir déterminer la valeur de cette dernière avec justesse. Ne pas identifier le coût d’opportunité de la reconstruction revient à commettre ce que l’on désigne couramment comme étant le sophisme de la vitre cassée. «La vitre cassée» est la parabole que Bastiat utilise pour illustrer l’erreur commise par les partisans de la destruction bénéfique. Cette logique est également reprise par Henry Hazlitt en 1946 dans son ouvrage Economics in One Lesson.

La parabole de Bastiat raconte l’histoire de Monsieur Bonhomme, un bourgeois furieux parce que son fils avait cassé une vitre. Les passants (Krugman et quelques politiciens par exemple) qui se sont amassés autour des dégâts tentent de réconforter le bourgeois en lui faisant remarquer que les vitriers seraient bien malheureux si personne ne cassait jamais de vitre et que cet incident était en réalité bénéfique, car il stimulera l’économie. N’est-il pas évident que la destruction est une bénédiction puisque le vitrier va obtenir un revenu qu’il n’aurait pas eu autrement ? Il le dépensera ensuite pour se procurer quelques biens et service et ces achats viendront à leur tour augmenter les revenus d’autres commerçants, déclenchant ainsi un miraculeux effet multiplicateur qui dynamisera l’économie.

Cette logique est si séduisante que nous pourrions être tentés d’y adhérer sans réserve. Pourtant, elle repose sur une grave erreur conceptuelle qui occulte les véritables conséquences de toute forme de destruction. Fort heureusement, un raisonnement très simple nous permettra de débusquer sans difficulté cette erreur. Le bris de la vitre nous apparaît bénéfique parce que nous considérons uniquement son effet positif, à savoir le fait qu’il faille la remplacer. Toutefois, cette logique évacue totalement les coûts cachés que doivent assumer le bourgeois ainsi que d’autres commerçants. À cause du geste de son fils, monsieur Bonhomme est contraint de dépenser, disons 100 euros, pour remplacer la vitre et doit conséquemment renoncer à allouer cette somme à une autre fin. Peut-être avait-il prévu de s’acheter des souliers, ce qui aurait alors profité au marchand de chaussures. Et ce dernier aurait à son tour dépensé la même somme pour se procurer le bien qu’il convoitait, ce qui aurait déclenché une réaction en chaîne similaire en tout point à celle provoquée par le bris de la vitre. Mais notre bourgeois a dû remplacer sa vitre. Plutôt que de jouir d’une vitre et d’une paire de souliers, il doit maintenant se contenter d’une vitre seulement. Monsieur Bonhomme a donc dépensé 100 euros pour retrouver le niveau de bien-être qui était le sien avant l’incident. Il aurait tout simplement perdu 100 euros que le résultat aurait été le même. Monsieur Bonhomme est incontestablement plus pauvre. De plus, le revenu que la vitre cassée procure au vitrier n’est possible qu’aux dépens d’un autre commerçant.

Contrairement à la croyance voulant que la destruction soit bénéfique, la réalité est tout autre. Le geste de l’enfant est donc bel et bien malheureux, car il ne permet ni de stimuler l’économie ni de créer de la richesse, il ne fait que détourner une dépense d’un secteur vers un autre secteur. Bien que nous sachions depuis fort longtemps qu’il est pernicieux de tirer des conclusions en nous fiant uniquement à ce que nous voyons, il reste que le sophisme de la vitre cassée persiste, essentiellement à cause de la difficulté que nous avons à identifier l’alternative à laquelle nous aurions alloué nos ressources en l’absence de destruction. Comme les gagnants sont clairement et instantanément visibles tandis que les perdants demeurent discrets, il est facile de tomber dans le piège et de conclure que l’acte ne fait que des gagnants et que, par conséquent, l’économie se porte mieux.

L’enfant coupable d’avoir brisé la vitre est perçu comme un bienfaiteur. Mais imaginons que l’enfant ait été mandaté en réalité par le vitrier pour casser des vitres moyennant une récompense. La nature de l’acte est soudainement transformée et l’enfant perd son titre de bienfaiteur. Il apparaît alors comme un vulgaire vandale, voir comme un voleur qu’il faudrait sévèrement punir au même titre que son employeur. Pourtant, le dénouement demeure le même : le vitrier va bénéficier de la vitre brisée, tout comme les autres commerçants qui feront ensuite affaire avec celui-ci. Curieusement et paradoxalement, le même geste sera successivement qualifié de bénéfique ou de répréhensible selon les intentions des parties en présence. Faudrait-il en conclure que le bris d’une vitre n’avantage l’économie que dans la mesure où le geste est purement accidentel ?

Un acte destructeur ne fait que déplacer une dépense d’un secteur à l’autre et la victime de cet acte et, par extension, l’ensemble de la société, est plus pauvre. Notre raisonnement précédent a implicitement supposé qu’un bien de consommation (la vitre) a été substitué à un autre bien de consommation (les souliers). Mais imaginons maintenant que les sommes allouées à la reconstruction auraient autrement été consacrées à l’achat de capital physique plutôt qu’à des chaussures. Souvenons-nous que l’acquisition de capital physique est essentielle pour nous permettre d’accroître la production ou de réduire le coût unitaire de fabrication. Ainsi, si la nécessité de remplacer ce qui vient d’être perdu nous oblige à renoncer à du capital physique, il faut s’attendre à ce que l’appauvrissement causé par la destruction soit amplifié. En effet, non seulement nous sommes contraints de dépenser des ressources pour revenir au niveau de bien-être antérieur à la destruction, mais le fait que nous y parvenions aux dépens de l’acquisition de capital physique implique que nous renoncions également à une consommation future accrue.

Henry Hazlitt écrivait en 1946 «Sous mille déguisements, le sophisme de la vitre cassée est le plus persistant de tous dans l’histoire économique». Cette position est également partagée par les économistes de l’École autrichienne qui voient ce sophisme s’introduire sournoisement dans l’argumentation politique visant à défendre l’adoption de programmes sociaux ou de n’importe quelle dépense gouvernementale. L’argumentation économique n’est pas en reste. Dans l’ouvrage qui l’a rendu célèbre en 1933, Théorie générale de l’intérêt, de l’emploi et de la monnaie, John Maynard Keynes affirmait que les dépenses publiques sont nécessaires pour relancer une économie qui présente des carences. Au cours des décennies qui ont suivi, les dirigeants de nombreux pays ont embrassé cette croyance et le keynésianisme est devenu un mode de pensée quasi-universel. Pourtant, l’interventionnisme prôné par Keynes a été dénoncé par de nombreux économistes contemporains, parmi lesquels le célèbre Milton Friedman (Prix Nobel d’économie 1976), comme n’étant rien de plus qu’une variante du sophisme de la vitre cassée.

Il y a déjà cent cinquante ans, Bastiat identifiait l’importance de considérer à la fois ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas. Pourtant, le sophisme de la vitre cassée perdure et semble résister aux attaques, mêmes les plus virulentes. Il est encore plus mystérieux de constater que de nombreux économistes ignorent obstinément la notion de coût d’opportunité alors qu’elle constitue incontestablement l’un des principaux fondements de la pensée économique. Cette attitude peut être expliquée par le fait que les économistes contemporains sont profondément convaincus que leur science est exclusivement empirique et s’acharnent à compiler un maximum de statistiques sur ce que l’on voit, en ignorant totalement ce que l’on ne voit pas. Pourtant, le rôle principal de la science économique est de nous aider à voir au-delà des apparences et à cerner avec justesse les véritables conséquences d’une action quelconque. Peut-être faudrait-il réintroduire Bastiat dans les cours de première année de toutes les disciplines universitaires ? Peut-être faudrait-il l’imposer comme lecture obligatoire à tout politicien. C’est qu’alors que certains comprendront peut-être à quel point il est stupide de casser des vitres !

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Sur le web

  1. Institut Économique de Montréal. Frédéric Bastiat : Défenseur du bon sens économique, Montréal, IEDM, 2002, p. 12.

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