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En revenant de l'exposition " Django Reinhardt. Le Swing de Paris " à la Cité de la Musique (Paris)

Publié le 04 novembre 2012 par Assurbanipal

 

 

 

 

 

Django Reinhardt

Le Swing de Paris

Cité de La Musique.

Exposition visible jusqu'au mercredi 23 janvier 2013.

Paris 19e arrondissement. Métro, Bus: Porte de la Villette

Lectrices Swing, lecteurs Hot, je vous ai déjà parlé de l'exposition " We Want Miles " sur Miles Davis (1926-1991) à la Cité de la Musique. Vincent Bessières, commissaire de l'exposition sur Miles, remet le couvert au même endroit avec  Django Reinhardt (1910-1953), le premier guitar hero du XX° siècle, le seul que je reconnaisse qu'il joue sur une guitare acoustique ou électrique.

La photographie de la Tour Eiffel est l'oeuvre du Merveilleux Juan Carlos HERNANDEZ. Toute utilisation de cette oeuvre sans l'autorisation de son auteur constitue une violation du Code de la propriété intellectuelle passible de sanctions civiles et pénales.

Autant j'avais été fasciné par l'exposition sur Miles Davis y revenant trois fois et y passant plusieurs heures à chaque visite, autant une seule visite d'1h30 à l'exposition sur Django Reinhardt m'a suffi. D'abord parce que je continue de préférer l'oeuvre de Miles à celle de Django, ensuite parce que Miles a vécu plus longtemps et a laissé plus de traces.

Django Reinhardt était un Manouche, un fils du vent. Autant dire qu'à part sa musique dont il ne resterait rien s'il n'avait vécu au XX° siècle puisqu'il ne savait ni lire ni écrire, un fils  Babik, guitariste de talent mais pas de génie, quelques guitares, quelques photos et quelques rares films (là encore, merci à la technologie), il n'a pas laissé grand chose de lui.

 Jean Reinhardt a d'abord laissé un prénom Django comme Miles Davis reste Miles, John Birks Gillespie Dizzy, Louis Armstrong Satchmo (pour les Blancs) ou Pops ( pour les Noirs), Edward Kennedy Ellington Duke, Stan Getz The Sound. C'est la marque des Géants du Jazz que de laisser leur prénom ou leur surnom à un style. Il a aussi laissé un genre, le Jazz manouche dont il demeure le Maître suprême au point que le festival de Samois sur Seine (Seine et Marne, Ile de France, France) lui rend hommage chaque année là où il est mort et enterré. Le seul Jazzman européen connu et reconnu aux Etats Unis d'Amérique, c'est indubitablement Django Reinhardt.

L'exposition montre bien comment Jean Reinhardt est devenu Django, un géant du Jazz alors qu'il n'était ni Noir, ni Américain, ni joueur de Blues, et qu'il jouait dans un groupe sans tambour ni trompette, le Quintette du Hot Club de France avec Stéphane Grappelli (violon). Martial Solal, son dernier pianiste, appela d'ailleurs un de ses plus fameux albums " Sans tambour ni trompette ". Un hommage au Hot Club? Elle montre aussi comment Django a su se renouveler partant des polkas, mazurkas, czardas de son enfance gitane, se mêlant au musette des années 20, découvrant le Jazz grâce à un peintre, guitariste amateur Emile Savitry ce qui lui ouvrit de nouveaux mondes harmoniques et rythmiques, sachant se reconstruire après s'être brûlé les mains en voulant sauver sa guitare de l'incendie de sa roulotte (BB King lui laissa brûler sa guitare et l'appela Lucille parce que c'est à cause d'une femme ainsi prénommée que le juke joint où il jouait avait flambé), survivant à l'occupation allemande grâce à la protection de Jean Cocteau et d'officiers allemands amateurs d'Entarte Musik, sachant prendre après-guerre le virage de l'électricité et du Be Bop.

L'exposition suit un découpage chronologique pertinent en 5 périodes de l'enfance gitane au Be Bop qu'il fut un des premiers à comprendre en France. Ecoutant " Ko Ko " de Charlie Parker qui laissait les Jazzmen français perplexes, il reconnut tout de suite un standard " Cherokee " joué d'étrange manière. Les documents sonores sont bien choisis, les quelques films aussi. Toutefois, voir des guitares usées ou des pochettes d'albums n'aide en rien, à mon avis, à comprendre une musique qui exerce encore aujourd'hui son influence sur notre univers sonore.

C'est cela aussi qui manque à cette exposition, une 6e partie sur Django post mortem. A commencer par le standard composé par John Lewis " Django ". John Lewis regrettait tellement de n'avoir pu enregistrer avec Django Reinhardt qu'il enregistra avec un jeune guitariste français de Jazz, Sacha Distel, avant qu'il ne vire au chanteur de charme et prénomma son fils Sacha. A continuer avec l'immense influence que Django continue d'exercer sur les guitaristes: le Jazz manouche avec les Gitans , Babik son fils et, aujourd'hui, David son petit-fls, Christian Escoudé, Bireli Lagrène, les frères Ferret (en concert au Sunset à Paris le samedi 10 novembre à 22h), Brady Winterstein et ceux qui ne le sont pas: Romane, Thomas Dutronc, San Severino, Georges Harrison...

Il manque aussi les anecdotes sur Django:

- Django avait l'auriculaire et l'annulaire de la main gauche inertes car brûlés. Ce qu'il faisait avec 3 doigts de la main gauche sur un manche de guitare est impossible à faire avec 5. Un jour qu'un gendarme lui demande ses papiers, Django ne les avait pas. D'un Manouche qui ne savait ni lire ni écrire, rien de surprenant. Le gendarme demanda à voir sa main gauche. Django lui montra et le gendarme lui dit " C'est bon. Vous êtes Django Reinhardt ".

- Stéphane Grappelli raconte, qu'allant en train en Scandinavie en février 1939 pour une tournée, le train s'arrêta dans une gare allemande. Les musiciens descendirent et Django éclata de rire devant le portrait d'Adolf Hitler qu'il trouvait ridicule. Le chef de gare, fervent nazi, furieux, leur confisqua tout leur argent. iIs repartirent sans un sou en poche, et arrivèrent assoiffés et affamés en Scandinavie n'ayant pu avoir accès au wagon restaurant pour le reste du voyage.

- Après un concert de l'orchestre de Duke Ellington à Paris en 1938, le Duke alla se détendre dans un club des Champs Elysées. Là, un type bizarre vint lui serrer la main. Duke ne connaissait pas ce type. il le regarda d'un air interloqué. Le type, vexé, monta sur scène, prit une guitare et commença à jouer. Duke, sourit, monta sur scène et s'installa au piano. Django et le Duke improvisèrent ensemble toute la nuit. Malheureusement, vu la technologie de l'époque, il n'existe aucun enregistrement de cette soirée. J'ai entendu cette histoire racontée sur France Musique il y a plus de vingt ans par un témoin de cette nuit magique. Plus de cinquante ans après, il s'en souvenait encore.

Il y a tant d'autres anecdotes sur Django. Charles Delaunay les raconte très bien dans " Django mon frère " ainsi que Stéphane Grappelli dans ses Mémoires " Mon violon pour tout bagage ".

Il manque enfin, même si c'est esquissé au début de l'exposition dans la partie sur l'enfance gitane, des explications sur le contraste entre la peur qu'ont les Français, peuple sédentaire, des Gitans, peuple nomade et la fascination qu'exerce sur eux la musique tzigane, symbole de liberté, de voyage. Cette opposition se cristallise dans Django Reinhardt qui jouait à Paris sous l'Occupation allemande alors que des Manouches étaient déportés depuis la France vers des camps de concentration et d'extermination en Allemagne. En 2012, en France, les Roms font la une de l'actualité poltique par les peurs qu'ils suscitent alors que le Jazz manouche est furieusement tendance. C'est une des nombreuses contradictions françaises.

Au final, j'ai appris quatre choses dans cette exposition:

- d'abord, le rôle immense de  Jean Sablon, crooner français, dans l'éclosion du talent de Django Reinhardt. Le premier à lui permettre de jouer sur scène et non plus dans la fosse d'orchestre, le premier à lui permettre d'enregistrer des soli sur disque, c'est lui. Respect.

- ensuite que si le séjour de Django aux Etats Unis d'Amérique fut un échec par son fait( défaut de ponctualité, défaut de maîtrise de la langue anglaise, trop d'attente de sa part), Duke Ellington, mit son orchestre au service de Django pour produire de pures merveilles comme en témoignent les enregistrements live in concert à Chicago en 1946.

- que Dizzy Gillespie admirait Django Reinhardt, qu'ils jouèrent ensemble mais qu'il n'y pas d'enregistrement

- enfin que si Django a bien réussi à passer en Suisse en 1943 parce qu'il ne voulait pas aller jouer en Allemagne, les douaniers suisses l'ont refoulé en France. A cette époque, la Suisse n'accordait pas l'asile politique aux Juifs et aux Tziganes victimes de la politique d'extermination nazie. Heureusement pour lui, Django Reinhardt, Tzigane et Jazzman, avait des admirateurs dans les rangs de la Wermacht.

Sachant que le coût d'entrée de l'exposition est de 9 euros, je vous conseille, lectrices Swing, lecteurs Hot, de les économiser, de regarder le site Internet de l'exposition et de débourser quelques euros de plus pour vous offrir le coffret en 5CD de l'exposition publié par Le Chant du Monde/Harmonia Mundi avec un superbe livret illustré et commenté par Vincent Bessières, commissaire de l'exposition. Les puristes et intégristes du Gitan Génial s'offriront l'intégrale Django Reinhardt en 20 volumes chez Frémeaux et Associés.



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