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Carpe diem : vous rigolez !

Publié le 15 novembre 2012 par Paulo Lobo
Carpe diem : vous rigolez !Tout vient à point pour qui sait attendre. Mais lui, il n'aimait pas attendre. Il lui fallait tout, tout de suite, et s'il ne l'obtenait pas tout de suite, il passait à autre chose. Il était impatient, impulsif, il réagissait au quart de tour. Il était obnubilé par la course à l'instantanéité. Le carpe diem était devenu son pain quotidien. Son regard et son coeur étaient concentrés sur l'impérieuse nécessité de presser l'instant de chaque instant, d'en extraire la quintessence, d'identifier, de décrire, de savourer, d'enregistrer, d'archiver."Vous n'y arriverez jamais, et toute votre effervescence volera en éclats", me disait le sage.
J'écoutais ces paroles emplies de bon sens, et je me demandais comment enrayer la mécanique endiablée. Je savais que ce n'était pas ma faute, que j'étais pris dans les rouages, que je faisais comme tout le monde, cherchant en premier lieu à assouvir la satisfaction de mes sens et envies les plus basiques. Les ingénieurs avaient développé des technologies sacrément efficaces pour favoriser la tendance naturelle des hommes à la paresse et au contentement superficiel. Le partage instantané, le réseau d'amis virtuels, les photos au smartphone, le bloc-notes électronique, l'actualité en permanence réactualisée, les chansons préférées écoutables à loisir et les films préférés regardables à tout moment, l'encyclopédie qui permettait de tout savoir tout de suite ... Tout était fort et intense, tout était placé à un même niveau d'accéssibilité, il suffisait de quelques clics et on devenait un expert dans n'importe quel domaine de son choix. Mais, l'acte une fois consommé, le cachet du premier regard une fois apposé, on reléguait le produit dans l'arrière-cour de notre pensée. C'était comme ça, on cherchait constamment à renouveler l'étincelle de la première fois, dans tous les tiroirs de notre existence, on prenait en bouche, on mastiquait un peu, on avalait..., et on se ruait illico sur de nouvelles victuailles aptes à assouvir notre désir insensé et construit de toutes pièces par plus fort que nous. Sous bien des points de vue, nous étions devenus des automates, des organismes commandés à distance, des marionettes grotesques dans leur façon de s'imaginer maîtresses de leurs fils, mais désespérées au fond, et terrifiées par la peur de l'anéantissement.
Je me demandais si ce processus qui conditionnait la grande majorité des êtres - qui me conditionnait moi-même, malgré toutes les illusions qui pouvaient bercer mon être -, si ce processus était le fruit du hasard, la résultante d'une conjonction fortuite de facteurs disparates, ou bien s'il ne découlait pas d'une machination épouvantable, mise en place et entretenue par des forces obscures, avides de pouvoir...
Qui en effet pouvait tirer bénéfice de l'état d'imbécilité végétative dans lequel nous étions tombés?
Du fait que pour faire face à notre vide existentiel nous recourions systématiquement à la consommation de produits enfilés à la chaîne?Brûlez les livres, anéantissez les regards critiques, supprimez le bon sens. Quelqu'un quelque part avait trouvé la méthode pour anesthésier l'intelligence des humains et les faire paître tels des moutons dans un pré gorgé de pesticides. Plus les gens étaient empêchés de réfléchir et de prendre leur temps avant de se décider, plus ils devenaient une proie facile pour les décideurs de tout bord... Achetez ces produits dont vous n'avez pas besoin. Remplacez cet équipement par son avatar dernier cri. Suivez à la loupe les moindres faits et gestes de vos célébrités favories (qu'on jettera aux orties un jour ou l'autre). Votez pour moi qui parle si bien. Crachez sur ce méchant étranger qui vous fait si peur. Un danger pour vos enfants. Soutenez l'équipe de votre coeur. Envoyez vos sms pour assurer sa victoire. Contribuez à l'effort de guerre.Brûler les livres : les élites se gardaient bien de le faire, il y avait trop de plaisir à goûter aux oeuvres de l'esprit, elles procuraient un affûtage de la pensée, un enrichissement des sens, un langage codé propre aux membres de la caste... Ah Shakespeare! Laissez aux masses grasses et brutes les divertissements lourdauds et dénués d'intérêt, cela forgera leur profil dans le sens qui nous conviendra, cela nous permettra de mieux les mépriser, de mieux les contrôler, de mieux canaliser leur fureur quand on en aura besoin... Gardons les livres pour nous...

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