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Ajar plutôt que Gary?

Publié le 17 juin 2012 par Xylophon

On pourrait lire Ajar et Gary séparément et faire comme si ces deux œuvres ne se parlaient pas.

On pourrait alors détester Gary pour plein de raisons. Sa "promesse de l'aube" a tous les travers d'un livre de héros: la modestie parée d'un style lyrique et parfois moralisateur y est rare.

L'auteur y raconte sa vie, celle d'un petit juif "cosaque" élevé par sa mère. Arrivé en France à 14 ans, Romain Gary s'engage, après des études de droit, auprès des Forces Françaises Libres pendant la seconde guerre mondiale.

Dans ce livre, Gary raconte l'histoire d'une mère qui construit le destin de son fils: "Tu seras un héros, tu seras un général, Gabriele D'Annunzio, Ambassadeur de France-tous ces voyous ne savent pas qui tu es!"

La prophétie de cette mère invasive mais aimante fut réalisée: Romain Gary, après avoir servi le Général de Gaulle deviendra diplomate.

On pourrait donc détester cette suffisance, cette arrogance, cette linéarité d'une vie réussie mais dès que l'on lit les premières pages de "La vie devant soi", le visage de Momo prend le pas sur cette condescendance littéraire, et on aime alors furieusement le roman d'Emile Ajar.

Ce roman évoque l'histoire de Momo, 10 ans qui habite chez Madame Rosa, une vieille femme juive rescapée des camps. Une femme qui pour vivre élève tous les enfants-orphelins dont plus personne ne veut.

Momo est le narrateur. Il explique avec ses mots d'enfants, comment il vit dans cet appartement du sixième étage. Là, il rencontre Madame Lola, Monsieur Halil, avec qui il discute pour faire passer le temps.

De ces discutions, il y a toujours dans le récit de Momo, une poésie oscillant entre naïveté et lucidité: les formules imagées ou métaphores inégales côtoient souvent une forme de détresse et de regard désabusé sur un monde qui semble déjà avoir tranché entre les forts et les faibles.

"Je crois que c'est les injustes qui dorment le mieux, parce qu'ils s'en foutent, alors que les justes ne peuvent pas fermer l'œil et se font du mauvais sang pour tout"

"Monsieur Halil m'avait souvent dit que le temps vient lentement du désert avec ses caravanes de chameaux et qu'il n'est pas pressé car il transportait l'éternité. Mais c'est toujours plus joli quand on le raconte que lorsqu'on le regarde sur le visage d'une vieille personne qui se fait voler chaque jour un peu plus et si vous voulez mon avis le temps c'est plutôt du côté des voleurs qu'il faut aller le chercher."

"La vie devant soi" est l’antithèse de la promesse de l'homme car il y évoque une mère absente, un enfant délaissé et perdue et ce malgré l'amour de Madame Rosa.

C'est aussi un roman plus dans la vie que dans les souvenirs: Momo se raconte pas, il exprime son point de vue et ses pensées sur un monde qu'il découvre.

C'est ici la grande force de cette ouvrage, de savoir restituer la parole criante de vérité d'un enfant perdu, comme dans l'attrape-cœurs de Salinger.

http://lexilousarko.blog.fr/2010/01/30/l-attrape-coeurs-de-j-d-sallinger-7904722/

Faut-il donc choisir entre l'autobiographie léchée et parfois ennuyeuse de Romain Gary racontant une vie faite de successions d'exploits, et le récit poétique et maladroit de Momo 10 ans.

Je ne le pense pas: il y a sans doute déjà du Ajar dans le Gary de "la Promesse de l'aube" et du Gary dans le Ajar de "la vie devant soi".

Une façon de cacher l’homme derrière l'écrivain ou l'écrivain derrière l'homme.


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