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Le mystère Georges de la Tour

Publié le 29 mars 2008 par Savatier

 Lorsque l’art et le mystère s’entretiennent réciproquement le public s’y intéresse presque toujours et il y a lieu de s’en féliciter. J’en veux pour preuve le documentaire programmé par France 5 jeudi 27 mars, consacré à Saint Sébastien soigné par Irène, de Georges de la Tour. Cette toile, découverte en 1945 à Bois-Anzeray, dans l’Eure et acquise en 1981 par le musée du Louvre fit l’objet, dès les années 1970 d’une assez vive polémique. Auparavant, on avait considéré comme original l’exemplaire conservé au musée de Berlin, puis, après de multiples examens et quelques querelles d’experts, on finit par penser que cette dernière devait n’être qu’une copie extrêmement fidèle. Ce phénomène n’a rien de nouveau. Bien des peintres recopièrent leurs œuvres, parfois pour contenter un commanditaire. Il faut aussi compter avec des copies excellentes d’artistes anonymes contemporains, voire d’élèves d’ateliers.

Si les technologies modernes (radiographies, analyses, etc.) parviennent à « faire parler » un tableau, il est des cas où, en l’absence de documents, de chronologie précise, l’incertitude demeure. L’art du XXe siècle, riche en canulars de faussaires facétieux – Magritte fut l’un d’eux dans les années 1940 – ou simplement motivés par l’appât du gain, vit se multiplier les œuvres douteuses. On crut, naïvement ou non, en prouver l’authenticité en faisant appel à des témoins oculaires, le plus souvent rémunérés. Une amie me raconta qu’un jour, elle avait accompagné le fils d’un célèbre peintre ami de Modigliani chez un galeriste parisien qui souhaitait authentifier une toile. Le fils en question l’examina attentivement, puis rendit son verdict : la toile était bien de son père… à 70% ! Il justifia son avis par la présence de plusieurs détails qu’il jugeait incompatibles avec le pinceau paternel. On imagine la déception du galeriste… Une fois dans la rue, cette amie, intriguée, voulut en savoir davantage. « Bien sûr qu’elle est de mon père, et à 100% ! Mais le propriétaire de la galerie ne m’a pas payé assez pour que je le lui confirme. » D’autres anecdotes circulent. Certains marchands n’auraient pas hésité, dit-on, à aller débusquer de vieilles bonnes dans leurs retraites provinciales pour leur montrer des tableaux. Si elles affirmaient les avoir vus dans l’atelier du maître au service duquel elles avaient travaillé, parfois vingt ou trente ans auparavant, l’aveu valait certificat d’authenticité. On prétend même que, de temps à autres, une confortable enveloppe servait à rafraîchir les mémoires défaillantes, mais c’est une autre histoire.

La toile de Georges de la Tour offre une énigme beaucoup plus passionnante, très bien rendue dans le documentaire de Laurence Thiriat. Cette réalisatrice, qui n’en est pas à son coup d’essai, possède l’art d’intéresser son public en menant une véritable enquête policière. Le spectateur voit ainsi défiler documents, faits et témoins, les uns étant confrontés aux autres. C’est une instruction menée à charge et à décharge. Les amateurs exigeants en seront aussi satisfaits que les néophytes, car, si les documentaires de Laurence Thiriat se veulent pédagogiques, ils ne tombent jamais dans le travers de la vulgarisation bêtifiante. Elle prouve qu’elle sait respecter son public et qu’il est possible de traiter l’histoire de l’art sans pour autant sombrer dans les théories ésotériques dont certains critiques et historiens abusent à l’envie. Rien n’est plus efficace qu’un jargon incompréhensible pour faire fuir des spectateurs non-spécialistes, mais désireux de se cultiver, et c’est très regrettable. Nicolas Boileau l’avait souligné, « ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement ». Ce vers devrait rester gravé dans la mémoire des champions du discours hermétique, tout comme ce mot de Sacha Guitry qui disait avec l’humour qu’on lui connaît : « hermétique, cela veut aussi dire : bouché ».

Ce qui frappe le spectateur, dans la toile de Georges de la Tour,

c’est le réalisme et surtout la sobriété avec lesquels il a traité son sujet. Sur le corps du martyr, on ne relève qu’une seule flèche et une seule goutte de sang. Voilà qui nous éloigne de la demi-douzaine de flèches du Saint Sébastien de Mantegna (dans la version du Louvre ou dans celle du Kunsthistorisches Museum de Vienne) et nous rapproche de la version magnifique du Titien (Venise, retable de Saint-Marc). Une autre version de Saint Sébastien soigné par Irène mérite d’être citée, celle – étrangement voluptueuse – de Francesco del Cairo (circa 1635), conservée au musée de Tours. Son cadrage intimiste ne fait aucune place au pittoresque de circonstance et l’on retrouve sur le visage du supplicié une expression extatique très similaire à celle de Thérèse d’Avila dans la Transverberation du Bernin.


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