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Au Tibet les J.O,au Cameroun rien...

Publié le 02 avril 2008 par Torapamavoa Torapamavoa Nicolas @torapamavoa


**Nous avons en 2008 pu expérimenter une nouvelle foi, stupéfaits mais non surpris, comment le dispositif culturel dominant fait le tri des morts, worthy victims (victimes de valeur, utiles au discours du dispositif culturel dominant) et unworthy victims (victimes sans valeur).
Le Cameroun est gouverné depuis 1982 par un dictateur pro-impérialiste, Paul Biya, qui ces derniers temps prétend d’un trait de plume réformer la Constitution pour légaliser sa permanence au pouvoir pour encore quelques décennies. Contre cette manœuvre politique désespérante, des masses de jeunes camerounais sont descendus dans les rues pour protester en février 2008. Ils protestaient contre cette prétention dictatoriale, mais aussi contre la vie chère, contre l’absence de perspective, contre la corruption, etc. Le ras-le-bol est tel au Cameroun que le mouvement a vite pris une ampleur considérable, parti des milieux étudiants il a rallié l’ensemble de la jeunesse urbaine. L’armée a été déployée dans les rues et le dictateur effrayé par la puissance de la mobilisation a opté pour la répression, assuré de la bienveillance du dispositif culturel dominant. Le gouvernement camerounais a dû reconnaître la semaine suivante, début mars 2008, qu’il y aurait eu « une vingtaine de morts », concédant « 24 morts » quelques jours plus tard, chiffre provisoire du reste. La responsabilité de ces morts est de toute façon bien entendu attribuée à des « apprentis sorciers » qui manipulent la jeunesse (la main de Moscou ? de Ben Laden ?). Sur place, la Maison des Droits de l’Homme, affiliée à la FIDH, dit qu’il a eu au moins cent morts. Le régime déclare avoir arrêté 1 500 personnes, jeunes étudiants pour la plupart. En tout cas les manifestants ont été dispersés, et la dictature pro-impérialiste sauvée.
Le rôle de la grande presse dans tout cela ? Nul. Silence absolu ou presque. Le rôle des télévisions ? Nul. Rien à signaler. Tout va bien dans le pré carré. Le dictateur Paul Biya peut assassiner à son aise, il ne sera jamais harcelé par la presse occidentale, surtout pas par la presse française. Plusieurs dizaines de morts, mais qu’importe, unworthy victims, victimes sans valeur. Particulièrement parlant est le silence de Reporters Sans Frontières. Le dictateur camerounais a, lors de ces événements, fait fermer des médias qui avaient osé tendre leurs micros à de jeunes manifestants. La radio Magic FM a été fermée, la télévision Équinoxe a été fermée. Si la même chose se produisait au Venezuela, l’agence Reporters Sans Frontières demanderait sans doute l’intervention immédiate des Nations Unies, casques bleus compris.

Quelques jours plus tard, le 10 mars 2008, une partie de la population tibétaine proteste dans les rues de Lhassa. Ce sont en gros ceux qui refusent l’appartenance du Tibet à la République populaire de Chine. Dans les jours qui suivent, la protestation devient violente. Répression : 19 morts, dit le régime chinois. Le régime féodal tibétain en exil, donc de l’extérieur, dit qu’il y a eu 140 morts. Ce qu’on retiendra c’est qu’en 2008 le gouvernement chinois, encore lui, tua du monde sur le Toit du monde, alors qu’on oubliera le peuple sacrifié au Cameroun. Les chiffres sont pourtant comparables, à deux semaines d’intervalle, même s’il existe peut-être un indice de la popularité des mouvements de protestation respectifs : au Tibet 400 personnes ont été arrêtées par les autorités chinoises alors qu’au Cameroun 1 500 personnes ont été arrêtées par le régime de Paul Biya, près de quatre fois plus. Le dispositif culturel dominant donne instantanément la plus grande importance aux événements du Tibet. Tout est suivi de près, ce sont des worthy victims (victimes de valeur, utiles) sans aucun doute, des Himalaya de papier sont noircis pour que personne n’ignore le sort fait aux Tibétains mobilisés contre le régime chinois.
Certaines données dérangeantes sont néanmoins passées sous silence. Le régime féodal tibétain en exil est passablement rétrograde et il prétend envoyer aux oubliettes la modernisation, particulièrement en termes de relations sociales, apportée par la Révolution en Chine (et donc au Tibet).


On se demande d’ailleurs pourquoi en France on utilise le terme d’« ayatollah » pour signifier « arriération » et « hostilité radicale à la modernité ». On dit « ayatollah vert » pour parler d’un écologiste arriéré hostile à la modernité alors qu’on pourrait plus pertinemment dire « Dalaï-Lama vert ».


Ce serait au demeurant méprisant envers une religion de l’humanité, et ces expressions devraient donc toutes être proscrites. Autre fait intéressant : le KMT, parti fondateur du régime taïwanais, parti dominant à Taïwan et qui vient d’ailleurs de remporter l’élection présidentielle), considère aussi que le Tibet appartient à la Chine, comme il considère que Taïwan appartient à la Chine.


Si le KMT revenait un jour au pouvoir en Chine, certes improbable aujourd’hui, il ferait vite disparaître le statut de région autonome au Tibet et il mandariniserait hardiment la société tibétaine comme il a mandarinisé la société taïwanaise.


À Taïwan, on connaît aujourd’hui un grave phénomène d’incommunicabilité intergénérationnelle : les anciens parlent fujian (langue largement dominante et langue véhiculaire dans l’île au milieu du XXème siècle) et ne parlent pas mandarin ; leurs petits-enfants parlent mandarin et ne parlent pas fujian parce que cette langue a été rigoureusement interdite et implacablement persécutée pendant des décennies de régime KMT.


En Chine populaire le tibétain a toujours eu une existence officielle, avec presse, enseignement, etc., comme bien d’autres langues minoritaires en République populaire de Chine, ainsi le fujian dans le sud-est du pays.
Autre point intéressant. On nous assure que le régime chinois avait interdit à la presse d’entrer au Tibet, alors qu’on n’a pas su que le régime camerounais eût interdit à la presse d’entrer à Yaoundé ou à Douala. Le travail de la presse occidentale, en tout état de cause, eût été beaucoup plus facile au Cameroun qu’au Tibet, circonstance aggravante donc, pour le moins. La presse écrite a offert à son lectorat un suivi quasi quotidien des événements tibétains. Les télévisions offraient des images de façon continue pendant plusieurs jours. Les tenants de l’ancien régime, renversé par la Révolution chinoise, étaient systématiquement sollicités pour donner leurs appréciations sur ces événements. Difficile de trouver un hebdomadaire qui ne parlât pas du Tibet à partir du 10 mars 2008.
Difficile par contre, impossible en fait, de trouver un hebdomadaire qui fît la plus petite allusion aux martyrs de la cause populaire et démocratique au Cameroun. Ce silence est d’autant plus parlant si on considère la proximité qui caractérise la relation entre la France et le Cameroun, les liens de toute nature qui existent entre les deux États et les deux peuples, beaucoup plus forts que les liens qui peuvent exister entre la France et le Tibet.
Les martyrs de février et mars 1989 au Venezuela avaient également été assassinés avec l’approbation implicite du dispositif culturel dominant – on ne sait trop quel filtre fut activé, si les journalistes bâillaient insensibles devant le massacre ou si la censure fonctionna en amont ou en aval. Aujourd’hui considérés semence de ce qui dix ans plus tard devint la Révolution bolivarienne, ces martyrs vénézuéliens sont pleinement assumés par le mouvement révolutionnaire.
Le rôle historique des martyrs camerounais, continuateurs de la geste du patriote martyr Ruben Um Nyobe, sera reconnu avant longtemps, quand le Cameroun sera libéré de sa caricaturale dictature françafricaine, quand l’Afrique avancera vers son émancipation nécessaire. Avec la sérénité de qui s’est porté dignement, ces martyrs se reposent éternellement aux côtés de leurs frères vénézuéliens, massacrés juste 19 ans avant.
a lire en entier ici:
http://www.legrandsoir.info/spip.php?article6293
http://torapamavoa.blogspot.com

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