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Remix en caraïbe

Publié le 02 décembre 2012 par Aicasc @aica_sc

 Extrait d’une communication écrite pour les Rencontres d’Aruba de 2012 mise en ligne en trois épisodes

Épisode 1

L’artiste s’approprie les œuvres du passé et c’est son devoir. S’il se contentait de les copier et de les citer respectueusement, il serait académique. Le propre du créateur est de s’approprier le passé  pour le transformer, le digérer et en donner un autre résultat.

Daniel Arasse(1 )

 

Thierry Tian Sio Po, L’image de l’occidental dans la peinture caribéenne, 2010, acrylique sur toile 150 x 239 cm

  

Comme le précise Paul Ardenne  dans son article Définir L’art Contemporain publié dans la revue L’art et l’époque, le remix est une nouvelle forme d’expression intrinsèquement combinatoire, devenue fréquente dès la fin du XX siècle.

 C’est la reprise et ré-exploitation d’une oeuvre originale. C’est la réactivation d’une œuvre originale qui appartient quelquefois au passé, puis la réinstallation de cette œuvre reconfigurée dans le présent.

Certes l’emprunt et la référence ont toujours existé mais le remake, le recyclage, la parodie sont particulièrement caractéristiques de l’art contemporain

Remix et remake sont proches. Tous deux consistent à copier un original

Mais la différence réside dans l’intentionnalité

Le remake réactive une œuvre originale et conserve sa dimension symbolique

Le remix évacue la dimension symbolique  et ré -exploite l’œuvre

A l’origine le remake est un genre cinématographique, la  nouvelle version d’un film  puis il devient fréquent en art contemporain dans les années 90

Il a une parenté avec le détournement, la  réappropriation, la réplique, le sample,  le réassort.

Il convient de distinguer le remix de la citation ou  de l’inclusion. Comme exemple de citation, on peut évoquer la vidéo de Polibio Diaz (République Dominicaine) La isla del tesoro dans laquelle se trouve insérés quelques extraits du film de Francis Ford Coppola, Le Parrain. Sa vidéo commence par quelques minutes empruntées au film et non modifiées.

L’Olympia d’Edouard Manet a été réinterprétée de très nombreuses fois par divers artistes  et à différentes époques. Cézanne  (Une morne Olympia – 1873), Picasso (Parodie de l’Olympia de Manet –1901), Dubuffet (Olympia 1950) , Basquiat (trois Olympia) , entre autres,  en ont donné chacun une version personnelle

Oneika Russel  Olympia Variations, 2006 , digital print from 16 print series

Oneika Russel Olympia Variations, 2006 , digital print from 16 print series

Les remix de l’Olympia de Manet analysés ici sont réalisés par un artiste Américain, Larry Rivers et deux artistes contemporains de la Caraïbe, Thierry Tian Sio Po  et  Oneika Russel.

Wikipedia présente Olympia comme  un tableau réalisé par Édouard Manet en 1863 et conservé au musée d’Orsay. C’est l’œuvre fondatrice de la modernité et de la planéité en peinture. Initialement prévue pour le Salon des Refusés de la même année, l’œuvre ne sera finalement dévoilée par le peintre que deux ans plus tard.

L’œuvre, qui allait susciter une controverse encore plus féroce que le Déjeuner sur l’herbe, représente une prostituée semblant issue d’un harem à l’orientale et s’apprêtant visiblement à prendre un bain. Le tableau, qui associe et fait ressortir avec puissance le contraste entre la femme blanche et la femme noire, s’inscrit en réalité dans la longue tradition artistique et très académique dite de « l’odalisque à l’esclave » : ainsi des Odalisques d’Ingres, ou encore de l’Odalisque de Benouville et de celle de Jalabert dans les années 1840.

Olympia, avant tout, se veut une référence audacieuse à la Vénus d’Urbin (119 × 165 cm) du Titien . Manet s’inspire aussi peut – être pour cette toile de La Maja nue (97 × 190 cm) de Francisco Goya. Mais il est important de savoir que dix ans avant Olympia, Manet a réalisé une petite copie du tableau du Titien, déjà lui même réinterprétation de la Venus de Dresde de Giorgione.

 Daniel Arasse explique dans son Histoires de peintures les raisons, qui de son point de vue, ont conduit Manet à choisir parmi tous les nus du Titien cette œuvre plutôt qu’une autre : Ce premier nu couché du maître  marquerait la  naissance théorique du nu féminin.  Le modèle de l’Olympia adopte une pose identique à celle de la Vénus d’Urbin, mais cette reprise de la posture va être transformée.

Effectivement, dans la première œuvre, l’on a une figure chaste et innocente, le chien endormi est un symbole de fidélité et les deux servantes rangent des affaires dans un coffre de mariage.

Par contre, chez Manet, la présence de l’Olympia est troublante avec son regard qui fixe le spectateur. Si la main cache le sexe, elle présente un modelé vigoureux. L’atmosphère générale d’érotisme, surtout, est renforcée par la présence du chat noir à la queue relevée, aux pieds de la jeune fille. L’animal fut ajouté par Manet, non sans humour, afin de remplacer l’innocent chien figurant dans la Vénus d’Urbin, et peut-être également afin de désigner par métaphore ce que la jeune fille cache précisément de sa main.

Ce chat traduit une présence vraisemblablement masculine. Cette version est renforcée par la présence du bouquet de fleurs apporté par la servante. L’on peut ainsi dire que l’amour passion est dans l’Olympia remplacé par l’amour vénal. En effet, la toile représente une scène qui évoque la prostitution sous le Second Empire et le sujet va être d’autant plus strident que le traitement va être réaliste..

La parodie  de Larry Rivers (I like Olympia in Black Face- 1970) est certes une critique de Manet mais surtout une critique des stéréotypes utilisés pour  la représentation des noirs dans l’art occidental ainsi qu’une critique du contexte américain de l’époque comme le montre l’inversion systématique du noir et du blanc. Cependant le titre I like Olympia semble limiter la portée contestatrice puisque l’artiste emploie le pronom de la première personne, Je, et le verbe to like c’est-à-dire Moi, j’apprécie, j’aime …  L’inversion noir et blanc prive d’ailleurs  le chat de sa dimension subversive alors que la subversion de Larry Rivers réside dans cette inversion même.

Cette critique des stéréotypes récurrents de la représentation des noirs dans l’art occidental se retrouve dans l’œuvre de Thierry Tian Sio Po.

Je considère l’ouvrage « l’Image du noir dans l’art occidental » comme un sujet ethnologique au moins condescendant. Il n’existe pas à ma connaissance, d’ethnologue s’intéressant à l’image du breton, de l’alsacien ou du blanc dans l’art caribéen ou africain.

L’idée de cette œuvre me vient de la conscience de notre réelle incapacité à accéder à « l’art contemporain » dans les langages qui l’initient, nous sommes très loin des contextes conceptuels de ces langages. Il me semble qu’il y aurait quelque chose à trouver, qui nous lie forcément à l’historique- social, parce que nous n’avons ni 2000 ans, ni 5000 ans d’histoire d’œuvres dans les colonies, seulement 200 ans de construction (ou de déconstruction traumatisée).

Le cadre doré vide signifie tout simplement l’idée de cette hégémonie condescendante.

J’aurai pu utiliser à la place des tas d’autres « images du noir dans l’art occidental », mais peut-être que celle- là a un côté particulièrement choquant et dérangeant et puis la peinture impressionniste est la plus grande qui soit.

Larry Rivers et  Thierry Tian Sio Po fondent leur remake sur le principe de l’inversion. Comme l’avait fait Bruno Peinado  en 2000 avec son Big One world. Bruno Peinado détourne le symbole Michelin en le mixant avec l’imagerie des Black Panthers, au moment même où Michelin licencie en masse et où Michaël Moore sort son film The Big one. Le blanc devient noir, le bras levé est inversé ainsi que le texte inscrit à l’envers.

Ma logique est celle de la créolisation, du métissage, le monde est une collision d’images. J’ai dans l’idée de casser la pureté. Je ne fais que récupérer, remettre en jeu les choses qui sont déjà là. dit Bruno Peinado qui se réclame d’Edouard  Glissant et de la créolisation.  La mise à distance passe souvent par le retournement des images que j’emprunte. Elles sont d’abord détournées de leur sens, puis retournées (mises à l’envers) mais aussi retournées vers le système médiatique qui les produit. (10)

Bruno Peinado opère par stratégie de détournement, de piratage et de parasitage, connectant entre eux des films, des œuvres d’art ou des livres, produisent des itinéraires parmi les signes, inventent des modes de stockage d’informations, d’archivage ou de remixage. Il se réapproprie les archétypes et les icônes de la culture occidentale, issus du marketing et de la communication des multinationales, faisant apparaître les enjeux économiques qui les sous-tendent. Son « Black Bibendum » – coupe afro, attitude Black power et poing brandi de la revendication – devient symbole du métissage, porte-drapeau des minorités quelles qu’elles soient : ethniques, sociales ou politiques

Les distinctions traditionnelles entre production et consommation, création et copie, readymade et œuvre originale, tendent ainsi à s’estomper

Cette  notion de créolisation m’intéresse  car elle vient réévaluer le mouvement et renommer cette réalité du divers vers un ailleurs toujours ouvert. Elle débouche toujours sur de  l’inconnu. Créoliser, c’est la rencontre d’objets, laisser les choses se brasser sans pour autant savoir ce que cela va donner. C’est cette définition que Bruno Peinado donne de la créolisation. (11)

 Oneika Russel  Olympia Variations, 2006 , digital print from 16 print series

Oneika Russel Olympia Variations, 2006 , digital print from 16 print series

Oneika Russel (Jamaïque) s’approprie  l’Olympia de Manet. Sa critique ne se fonde pas sur l’inversion mais sur la disparition progressive d’Olympia dans le décor de papier peint pour mettre le projecteur sur sa servante noire. Il y a bien aussi un regard critique mais le mode opératoire est différent. Le tableau de Manet, Olympia, a été le centre d’intérêt aux yeux des artistes qui se passionnaient pour l’histoire de l’art; ils l’ont ainsi retravaillé et exploité dans leur contexte personnel.  Cela   a permis des relectures féministes, post- coloniales et raciales. Je trouve cependant la figure d’Olympia reste le point central d’intérêt des œuvres de ces artistes. Ils s’intéressent très peu à l’autre personnage, celui de la servante. J’ai voulu approfondir davantage  ce personnage parce que je peux m’identifier à lui. Quelle était son histoire ? A l’époque  j’utilisais un motif pour représenter certains modes convenus d’occidentalisation et de colonisation, c’est pour cela que j’ai décidé d’utiliser cette peinture pour en tirer un dessin et de placer ce motif en décor  de façon à détourner la célèbre composition et l’intégrer à mon propre langage visuel.

Comme à ce moment-là  faisais des recherches sur le temps et l’animation, j’ai produit à partir de ce dessin initial une série d’impressions. Les seize  épreuves obtenues ont ainsi fait partie d’une exposition de même qu’une animation montrant les dessins et les épreuves imprimées

Oneika Russel  Olympia Variations, 2006 , digital print from 16 print series

Oneika Russel Olympia Variations, 2006 , digital print from 16 print series

Les remix de  Larry Rivers, Thierry Tian Sio Po, Bruno Peinado  proposent une lecture critique de l’œuvre source au moyen d’une inversion mais dans le même temps une critique du contexte social ou économique de l’époque où le remix est réalisé. La critique de l’œuvre source et du contexte passe par l’effacement progressif du personnage principal chez Oneika Russell.

 

   Dominique Brebion

 

Episodes suivants : Remix d’Adam et Eve d’Albrecht Dürer,   par Bruno Pédurand puis de l’Origine du monde de Gustave Courbet et du Radeau de la Méduse de Géricault par Christian Bertin

Daniel Arasse  Histoires de Peintures De Manet à Titien Ed Denoël Médiations Paris 2012 ISBN 978-2-207-11207-6 Notice Wikipedia

Entretien de Bruno Peinado avec Clémentine Aubry http://www.paris-art.com

Luxuriant n°16  http://vimeo.com/oneikarussell/videos , http://vimeo.com/36090772


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