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« L’Homme qui rit » : la grimace qui rend chaos (3/9)

Publié le 06 décembre 2012 par Sheumas

L'homme qui rit [1600x1200]

Gwynplaine et Déa grandissent ensemble à bord de cette roulotte initiatique que son conducteur nomme « la green box ». Ursus, le philosophe ironique, est aussi auteur : il conçoit un spectacle spécialement pour ses deux protégés, et Gwynplaine y tient le rôle de « l’Homme qui rit ». Sa figure constitue une attraction unique. Il porte sur le visage ce que Hugo appelle « le masque de l’abîme ». Face grotesque, convulsive surmontée d’une crinière, face terrible, façonnée comme on sait par la tempête et le chaos originel... Et cette vision infernale déclenche chez tous les spectateurs de « l’Homme qui rit » une hilarité irrésistible. Par un ironique effet de mise en abyme, la pièce d’Ursus s’intitule « Chaos vaincu ». La partenaire du « monstre » s’appelle Déa : elle est aveugle, mais son regard absent rayonne sur Gwynplaine et descend au fond de cette « caverne » qui rit. Il plonge au-delà des apparences et illumine ce fond désespéré, y met de la lumière et de l’âme, bref métamorphose la matière (le Mal) en esprit (le Bien).

   On dit depuis le théâtre baroque de Calderon que « La vie est un songe »... Distributrice de rêve et de théâtre, la green box de « l’Homme qui rit » poursuit elle aussi une partie de son chemin dans le songe. A l’école d’Ursus, Gwynplaine a bien compris la leçon : « Je ris, cela veut dire « je pleure ». L’homme est un mutilé. Ce qu’on m’a fait, on l’a fait au genre humain ». Mais lorsqu’il est auprès de Déa, son masque de mutilé se métamorphose. En extase l’un devant l’autre, les deux bannis parviennent à tourner le dos au monde des hommes, à s’aimer d’un amour profondément romantique, à la mesure de leur histoire et de leur lieu d’origine. Et cet amour est plus fort que la Bêtise et l’Ignorance, plus fort que la tempête, peut être plus fort que la mort... Jusqu’au jour où la destinée rattrape Gwynplaine...

   La bouteille à la mer jetée par les comprachicos a suivi des fils ténébreux : ceux qu’a ourdis le Destin et ceux qu’a ourdis le romancier. Et ces fils imperceptibles ont ramené inexorablement la bouteille à la bouche déformée de Gwynplaine. Et voilà Gwynplaine, le héros de « Chaos vaincu », soudain grisé par la Fortune et le vertige du pouvoir. Lui, le monstre infâme qui, depuis son enfance, nageait au fond du gouffre, surgit du fond de son océan et jette un éclat de lumière trouble sur le fronton de l’Humanité...


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