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Poésie et ordinateur

Par Poesiemuziketc @poesiemuziketc

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On peut dire que la poésie concrète, qui communique sa propre structure, «Structure contenu» selon Decio Pignatari, annonce la littérature informatique, et se prête par ailleurs à des traitements informatiques, comme on le verra avec Emmett Williams, mais aussi au niveau phantasmatique ou visionnaire Borgès, avec sa notion de bibliothèque infinie, ou certaines oeuvres de Butor comme Mobile . Les premières expériences répertoriées de «poésie» utilisant l’ordinateur remontent à 1959, même si l’on peut signaler l’usage du terme «Poème électronique» à l’Exposition Universelle de Bruxelles en 1958, mais la véritable utilisation par des poètes, comme Gysin, remonte aux années 1963-65, et l’OULIPO en France peut être considéré comme précurseur de recherches qui devaient aboutir à la création de l’ALAMO en 1982.

PRECURSEURS: L’OULIPO

L’OULIPO, ou Ouvroir de Littérature Potentielle, a été fondé en 1960 par Raymond Queneau et le mathématicien François Le Lionnais, qui en est le véritable initiateur. La cause occasionnelle de cette fondation fut la rédaction par Raymond Queneau des premiers sonnets des «Cent Mille Milliards de Poèmes», soit dix sonnets de quatorze vers chacun où le lecteur peut à volonté remplacer chaque vers par un des 9 autres qui lui correspondent. Le lecteur peut ainsi composer lui-même 10 puissance 14, soit cent mille milliards de poèmes différents qui respectent toutes les règles du sonnet. Ce projet sera entièrement réalisé (rédigé) plus tard grâce à un programme ordinateur par Tibor Papp. Dans les entretiens avec Georges Charbonnier, Queneau dit: «J’avais écrit cinq ou six des sonnets des Cent Mille Milliards de Poèmes, et… je n’avais pas beaucoup le courage de continuer… Mais quand j’ai rencontré Le Lionnais, qui est un ami, il m’a proposé une sorte de groupe de recherches de littérature expérimentale.» La première réunion a eu lieu le jeudi 24 novembre 1960, avec Jacques Bens comme secrétaire, et le groupe s’appelait Sélitex, S.L.E., Séminaire de Littérature Expérimentale, puis un mois plus tard OLIPO, puis OULIPO. Le groupe s’est d’abord intéressé à une Histoire des Littératures Expérimentales, puis très vite à la notion de «contraintes» ou de «procédés», avec l’aphorisme de Raymond Queneau: «Il n’y a de littérature que volontaire». Selon Queneau: «Nous appelons littérature potentielle la recherche de formes, de structures nouvelles et qui pourront être utilisées par les écrivains de la façon qui leur plaira.» En 1962, dans le premier Manifeste de François Le Lionnais, «La Lipo» ou Littérature Potentielle, ce dernier parlera d’ «imaginer de nouvelles formules… au besoin en recourant aux bons offices des machines à traiter l’information» et fait allusion aux «structures abstraitesdes mathématiques contemporaines», mais aussi à des «poèmes anaglyphiques», ou dans un espace à 3 dimensions (hologrammes?), et aussi à des vocabulaires particuliers, dont «le langage Algol des ordinateurs électroniques». Le 2 octobre 1964, François Le Lionnais donnera une conférence à l’Université de Liège sous le titre: «Machines Logiques et Electroniques et Littérature».

Parmi les membres correspondants de l’OULIPO, il y eut Marcel Duchamp à la fin de sa vie, et parmi les correspondants étrangers, Italo Calvino, auteur en 1984 de «La Machine Littéraire», et Harry Mathews. Aux membres du groupe primitif, Noël Arnaud, Jacques Bens, Claude Berge, Paul Braffort, Jacques Duchateau, François Le Lionnais, Jean Lescure, Raymond Queneau, Jean Queval se sont adjoints plus tard Georges Pérec, membre important et créateur en 1966, en ignorance de l’OULIPO, du P.A.L.F., ou Production Automatique de Littérature Française (1), Jacques Roubaud, poète et mathématicien, que l’on retrouvera dans l’ALAMO, Luc Etienne, Marcel Bénabou et Paul Fournel.

Parmi les précédents, on peut signaler Leibniz qui publie sa «Dissertatio de Arte Combinatoria» (1666), le mathématicien Leonard Euler qui parle d’ «Art Combinatoire» dans ses «Lettres à une princesse d’Allemagne sur divers sujets de physique et de philosophie», les «poèmes protéiques» de Georg Philipp Harsdorffer ou le «XLIe baiser d’amour» de Quirinus Kuhlman au dix-septième siècle, un sonnet qui comprenait une «partie fixe» ou moule, et un lexique associé à des «lacunes», capable de produire 10 puissance 67 poèmes selon le calcul de Kircher. Quant à l’expression «Littérature Combinatoire», elle est employée en 1961 par François Le Lionnais dans la postface des Cent Mille Milliards de Poèmes de Raymond Queneau. Donc recherche de structures nouvelles, et on peut penser aux «Compléments de nom» de Michèle Métail, qui est publiée dans «La Bibliothèque Oulipienne» (2), aux poèmes sans «e» de Georges Pérec, soit une recherche de méthodes de transformations automatiques de textes où l’ordinateur fera merveille, et à la transposition en littérature de concepts mathématiques: poèmes tangents de Le Lionnais, multiplication de textes de Raymond Queneau, ou ce roman «factoriel» de Saporta de 1965 dont les pages, libres, peuvent être lues dans n’importe quel ordre. L’on pense enfin à Jacques Roubaud, qui va publier son recueil de poèmes «epsilon» en 1965, où les 361 textes qui le composent peuvent être lus dans 4 ordres différents, selon les règles du jeu de go.

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Dans le livre «OULIPO, Atlas de la Littérature Potentielle», paru en 1981, un chapitre est consacré à l’informatique, sous le titre «OULIPO et l’informatique» et il y est rapporté quelques expériences de Marcel Bénabou, sur les «aphorismes artificiels», à partir d’un stock de formes vides et d’un stock de mots, et de Paul Braffort, logicien, informaticien et écrivain, notamment les «Nouvelles à votre façon» (N.A.V.F.), à partir d’une ossature générale et d’un stock d’«agmes», qui sont des «unités minimales d’action ou de description». Parmi les oeuvres réalisées par Paul Braffort, un des cent mille milliards de sonnets prévus par Raymond Queneau (Centre Pompidou le 10 mars 1978) et un texte littéraire combinatoire, le XLIe Baiser d’Amour de Quirinus Kuhlmann (1651-1689) au C.I.R.C.A. de la Chartreuse de Villeneuve-les-Avignon (18 juillet 1978). Mais il semble que l’OULIPO s’intéresse davantage aux contraintes à partir des formes traditionnelles de la littérature plus qu’à une prospective. Il faut aussi signaler à l’OULIPO la présence par exemple de Jacques Roubaud, qui sera très actif dans l’ALAMO, donc une filiation.

HISTORIQUE

Carole Sperrin, chercheur, considère dans son livre «Computers and creativity» (1973) que les premières productions de poésie par ordinateur ont été réalisées en Europe, et elle cite Theo Lutz à l’Ecole polytechnique de Stuttgart. Selon la veuve de Max Bense , Elisabeth Walther, Theo Lutz était à l’époque un étudiant de Max Bense, et il étudiait la philosophie et aussi les mathématiques et l’informatique. Max Bense, qui lui-même, selon le témoignage d’Elisabeth Walther, n’a jamais travaillé avec l’ordinateur, lui «donnait des suggestions en proposant, par exemple, de prendre comme vocabulaire les premiers 100 mots du «Château» de Kafka et de programmer des petites phrases (sujet, verbe, objet) avec ce vocabulaire en liant les phrases par des particules logiques comme la négation, la conjonction «et», la disjonction «ou» etc…» (1). En décembre 1959, Theo Lutz publia un article dans la revue de Max Bense «Augenblick» sous le titre «Stochastische Texte» pour montrer comment les textes qui suivaient son article étaient construits, en fait des milliers de petites phrases. Mais peut-on parler de poésie, même s’il les intitule «autopoem»? Carole Sperrin cite aussi en Angleterre Alan Sutclife, qui réalisa le programme de «computer poetry» «SPASMO». Elle ajoute: «Margaret Masterman et Robin McKinnon Wood eurent l’idée des expériences d’haïkus. Et pendant l’exposition «Cybernetic Serendipity» (2), les spectateurs purent s’exercer en générant leurs propres poèmes, qu’ils emportaient avec eux.»

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Dans son livre, Carole Sperrin parle de «Computer poetry», de «Poésie ordinateur». Un certain nombre de logiciels sont mis au point, «POETEACH», logiciel de création d’haïkus, «Poetry Generator» de Rosemary West et «HAIKUTYPE-POEMS» de John Morris qui publiera en 1967 dans la «Michigan Quaterly Review»: «How to Write Poems with a computer», donc des haï-kus, à partir de listes de vocabulaire et d’un logiciel. En 1964, aux Etats-Unis, Clair Philippy, expert informatique de la «RCA Service Company» en Pennsylvanie programme un vocabulaire basique de 100 mots que l’ordinateur organise en strophes, et, la même année, à Montréal, Jean A. Baudot, ingénieur en électronique, publie «La Machine à Ecrire» aux Editions du Jour, recueil de vers libres programmés par ordinateur à partir du logiciel «PHRASE». Dans ce livre, il explique les procédés techniques, et il y inclut les réactions d’écrivains contemporains, puis en 1967, à l’occasion de l’exposition universelle, il créera une seconde version de son «Générateur de textes», «REPHRASE», destiné à une pièce de théâtre, «Equation pour un homme actuel».

Mais je pense qu’il faut faire une distiction entre les ingénieurs qui font à l’occasion des programmes pour créer des poèmes selon des schémas traditionnels et les poètes qui ont une oeuvre par ailleurs, et qui se servent de l’ordinateur dans un processus de création, comme Brion Gysin avec «I am that I am». En effet, ce poème sera permuté 120 fois en 1959 selon une formule mathématique avec l’aide du jeune mathématicien Ian Sommerville, puis à l’infini sur un ordinateur Honeywell, toujours par Ian Sommerville, en 1965, avec d’autres de ses poèmes: Junk is no good baby , Re-all calling active agents («Rappeler tous les agents actifs»), Kick that habit man et Pistol Poem.. Abraham A. Moles, dans son livre Art et Ordinateur, distingue la «création fondamentale» par l’homme et la «création variationnelle» par la machine, ou «art permutationnel», mais là, la permutation, tel un mantra, à partir de cette formule métaphysique devient fondamentale: où la machine rejoint la métaphysique. Permutations que pratiqueront d’autres poètes à la même époque, dont Augusto de Campos pour le poème ACASO (1963), le mallarméen «Hasard», mot de 5 lettres permuté, comme pour «I am that I am» (5 mots), selon la formule mathématique utilisée pour le calcul des probabilités, la «factorielle» n! = 5! = 5.4.3.2.1. = 120 permutations, nombre divisé par 2 à cause de la répétition du «a», soit les 60 mots du poème. Signalons aussi Tape Mark I de Nanni Balestrini, du Groupe 63, écrit avecl’aide d’un ordinateur I.B.M. 7070 à Milan en octobre 1961 et «Tape Mark II» avec l’aide d’un ordinateur IBM 1401 en avril 1963 (1). «Tape Mark I» a été programmé à partir de 3 textes, dont le Journal d’Hiroshima de Michihito Hachiya et le Tao-tö king de Lao-tseu, divisés en unités de sens recombinées entre elles selon des règles métriques. «Tape Mark II» est obtenu selon le même principe à partir de ses propres textes.

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Un autre exemple est l’américain Emmett Williams, qui vient de la poésie concrète. En 1965, Emmett Williams réalisera un poème ordinateur à partir des 101 mots les plus employés de La Divine Comédie de Dante. En effet, à l’occasion du sept centième anniversaire de la naissance de Dante, des étudiants de l’université de Pise ont calculé, à l’aide d’un ordinateur IBM 1070, parmi les 101.499 mots de La Divine Comédie , les 101 mots qui revenaient le plus souvent dans le poème. Emmett Williams a sélectionné les sept noms les plus employés («occhi», 213 fois; «mondo», 143 fois; «terra», 136 fois; «dio», 112 fois; «maestro», 111 fois; «ciel», 105 fois; «mente», 100 fois), l’adjectif employé le plus souvent («dolce», 87 fois), le même nombre de fois que le mot «amor». Les mots sont disposés en 9 rangées par ordre alphabétique, et disparaissent, en fonction de leur fréquence, au cours d’une litanie de 213 lignes qui commence par: «amor ciel dio dolce maestro mente mondo occhi terra» et se termine par «occhi», sous le titre «Musica». En 1966, Emmett Williams a l’opportunité de faire quelque chose avec un ordinateur, et il ressort cette vieille idée du poème «do-it-yourself». Ce sera «The ultimate poem», ou «The IBM Poem», comme il l’explique dans une lettre à Ann Noël. L’idée remonte à 1956, à l’époque où il développait la poésie concrète. Le jeu consiste à choisir au hasard 26 mots, et à substituer à ces 26 mots les 26 lettres de l’alphabet, de manière à avoir un «alphabet de mots», puis à choisir un mot ou une phrase comme titre du poème, et à substituer les lettres du mot par les mots correspondants de l’alphabet de mots. Cette opération génère une ligne du poème. Le processus est répété de ligne en ligne. L’alphabet de mots choisis grâce à une méthode aléatoire (version 1966) donne ceci: A = money, B = up, C = idiots, D = sex, E = like, F = quivering, G = evil, H = old, I = red, J = zulus, K = ticklish, L = kool, M = going, N = black, O = jesus, P = hotdogs, Q = coming, R = perilous, S = action, T = virgins, U = yes, V = easy, W = fear, X = death, Y = naked, Z = white. Pour le titre, il a choisi IBM, «contribution à la muse qui lui a servi d’assistant». Dans la première substitution, les trois lettres du titre donnent: «red up going» pour la première ligne du poème. En continuant le processus, les 10 lettres de ces 3 mots donnent: «perilous like sex» (R = perilous, E = like, D = sex), «yes hotdogs» (U = yes, P = hotdogs) et «going» devient: «evil jesus red black evil». Les 46 lettres de ces 10 mots vont générer 46 mots, les 215 lettres de ces 46 mots vont générer 215 mots, puis l’on passe à 1050 mots, et ainsi de suite. Des variantes sont possibles. Après le troisième processus de substitution, on peut remplacer le mot correspondant au Z par le mot correspondant au A, ce qui donne pour le premier vers: «old money cool». Avec «I am that I am», nous avions un processus de variation, ici nous avons un processus («process») de génération de texte, et Emmett Williams parle de «dimension générative» («generative dimension»). Citons aussi, toujours d’Emmett Williams, le «Guillaume Apollinaire», un «visual-sound poem» qu’il a réalisé en collaboration avec Peter G. Neumann, à l’occasion de la célébration de l’anniversaire d’Apollinaire à l’I.C.A., l’Institute of Contemporary Arts, à Londres, en 1968. Ce poème est basé sur les mots «GUILLAUME APOLLINAIRE» écrit comme les facettes d’un diamant. Il s’agit, pour l’ordinateur, de manipuler le texte à l’intérieur de formes géométriques. Là l’ordinateur, selon E. Williams, «agit comme un outil flexible plutôt que comme une entité créative».

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Toujours dans les années 60, citons d’Edwin Morgan, né à Glasgow en 1920, ce poème de 1963 reproduit dans l’anthologie de Poésie Concrète d’Emmett Williams: jollymerry , «Computer’s first Christmas card». C’est un poème permutationnel, à partir d’une structure similaire de voyelles et de consonnes et d’une aire sémantique proche, évoquant «Noël» et la joie (joy), la fête. La solution finale de l’ordinateur sera le mot «Jerry», qui est une sorte de faïence qui imite le marbre qu’on utilise dans les jeux pour enfants. Il est aussi l’auteur du premier poème codé par ordinateur. On peut encore citer Jackson Mac Low, le poète Fluxus de New York, qui a utilisé, à l’instar de John Cage, très tôt des procédures basées sur le hasard («chance operations»), ceci dès 1955, dans «5 biblical poems», et qui a aussi utilisé l’ordinateur, notamment lors d’un programme «Art and Technology» du County Museum à Los Angeles (1966-1969) auquel il a participé en 1969, seul poète parmi les artistes. «Beaucoup des poèmes étaient faits de phrases qui sortaient en ordre dispersé», ainsi que des sorties d’imprimante autour de matériel fourni, lettres, mots ou phrases. Il a retravaillé à partir de 1987 sur ordinateur de différentes façons, notamment pour un hommage à Kurt Schwitters, «42 Merzgedichte in memoriam Kurt Schwitters», en utilisant la fonction «dictionnaire», à partir du vocabulaire de Schwitters.

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Dans les années 70, Dick Higgins va publier Computers for the Arts (Abyss Publications, Somerville, Mass.), un livre passionnant, parce qu’à la fois il contient une réflexion théorique, et des exemples de «computer poetry». Il y explique que les ordinateurs sont «comme la plupart des outils, sourds, aveugles et incroyablement stupides. Si stupides, en réalité, qu’ils ne peuvent pas imaginer comment faire une faute une fois qu’ils ont été programmés à faire ce qu’on attend d’eux. Ce qui les rend différents des autres outils. Imaginons un marteau qui, une fois programmé à construire une table, pourrait agir de son propre fait, sans possibilité d’endommager ou de fendre lebois. Cela laisserait le charpentier libre de se concentrer sur le design de la table et de ne pas s’occuper des difficultés de l’exécution». Et c’est ce qui se passe pour l’ordinateur. Il explique ensuite la programmation d’une oeuvre, «Hank and Mary, a love story, a chorale» en langage Fortran IV sur IBM 360, par James Tenney, le programmateur, et lui-même, avec un explicatif du programme (ISN0, ISN1, ISN2… jusqu’à ISN42 et 43, STOP et END). Le second poème, «for Emmett Williams», est d’Alison Knowles, avec l’aide de James Tenney. L’oeuvre utilise une liste de matériaux et une liste de situations (les endroits où les maisons décrites sont situées). Listes que les ordinateurs sont particulièrement aptes à traiter. Le texte est une série de variations sur: «A HOUSE OF LEAVES / ON AN ISLAND / USING NATURAL LIGHT / INHABITED BY ALL RACES OF MEN WEARING PREDOMINANTLY RED CLOTHING», puis: «A HOUSE OF PLASTIC…» Avec l’ordinateur, on peut faire intervenir des éléments de hasard (sous-programme «RANDOM») aussi bien que de non-hasard. Mais l’artiste doit être capable d’éliminer ses attitudes irrationnelles à propos de la mythologie des ordinateurs. Et il conclut: «La responsabilité repose sur l’artiste, non sur ses outils». Ces deux textes, de 1968, sont très «primitifs», et il explique, dans une lettre, qu’il a utilisé les langages KOBOL et SNOBOL à partir de 1970 jusqu’en 1973, puis qu’il a utilisé SCRIPSIT jusqu’en 1978, et que, lorsqu’il a acheté son premier MACINTOSH, il a utilisé principalement Word 5 et une version modifié de PAGEMAKER 5. Un grand nombre de ses poèmes ont été réalisés avec un ordinateur, probablement cent cinquante.
En 1973, une anthologie de Computer Poems paraît aux Etats-Unis, publiée par Richard W. Bailey, qui comprend dix-sept auteurs des Etats-Unis, du Canada et de Grande-Bretagne, avec Marie Borroff, Robert Gaskins, Louis T. Millic, Edwin Morgan, John Morris, où deux tendances se dégagent: concrétions verbales, du côté de la poésie concrète, et haïkus.

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Au début des années 80, en France Philippe Bootz commencera à travailler avec l’ordinateur à l’Ecole Universitaire des Ingénieurs de Lille, l’E.U.D.I.L., sous forme de poèmes matriciels, avec l’aide d’un élève ingénieur, Jean-Michel Helincks. Claude Maillard va aussi, à partir de 1981, travailler sur ordinateur, avec Matière de Vertige , entre la lettre et le braille, travail qu’elle prolongera avec Machines Vertige , production d’icônes informatiques abstraites. Moi-même, avec Guillaume Loizillon, musicien et informaticien, nous allons développer le concept de «traitement de texte» (article paru dans la revue «Intervention» 22/23 «Marathon/écritures» du printemps 1984), sur l’idée de texte infini selon des procédures aléatoires, dont des extraits ont été intégrés à Aluminium Nights , sous-titré «écriture automate computeur et autres» (1987) cité et reproduit dans le livre de Louise Poissant Esthétique des Arts Médiatiques (1), et dont un exemple interactif peut être consulté dans la revue sur disquette «alire 8». Une première présentation sur écran (texte en continu) a eu lieu le 23 avril 1983 dans le cadre de la Journée de la Poésie, et la dernière dans le cadre d’une soirée organisée par «Art 3000» en 1993, «(Pré)texte à voir», où le texte sortait en continu sur imprimante. Un autre livre, Tag-Surfusion (2) vient de paraître, composé de sorties imprimante selon les différentes programmations employées depuis 1983, étant entendu que chaque sortie imprimante est un original, puisqu’il n’a à peu près aucune chance d’apparaître une deuxième fois, à cause du traitement aléatoire. Hasard qui est une des grandes constantes de l’art du vingtième siècle (Mallarmé/Cage).

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Important aussi est, dans la lignée et à l’image de l’OULIPO, l’ALAMO, l’ «Atelier de Littérature Assistée par la Mathématique et l’Ordinateur». Fondé en 1982, il réunit des écrivains et des informaticiens, et est constitué de Simone Balazard, Jean-Pierre Balpe, Marcel Bénabou, Mario Borillo, un des intervenants de Doc(k)s, Michel Bottin, Paul Braffort, Paul Fournel, Pierre Lusson et Jacques Roubaud. Le projet est d’utiliser «de toutes les façons possibles et sans aucune exclusive préalable l’ordinateur au service de la littérature». L’intérêt en était la complémentarité des gens, écrivains, mathématiciens, informaticiens. Au printemps 1984 paraît un numéro de la revue «Action Poétique» intitulé «A.L.A.M.O.: écriture et informatique», et par ailleurs, l’A.L.A.M.O. participera aux Immatériaux à Beaubourg en 1985, en fournissant des logiciels: pour cette exposition, Jean-Pierre Balpe créera un logiciel qui produira 32.500 rengas. L’ALAMO produira aussi des littéraciels, dont MAOTH, ou Manipulation Assistée par Ordinateurs de Textes Hybrides, conçu par Paul Braffort et Josiane Joncquel-Patris, qui comporte des zones «fixes» et des «lacunes», zones libres où «vont s’insérer des items sélectionnés dans les lexiques» et LAPAL, pour Langage Algorithmique pour la Production Assistée de Littérature. Jacques Roubaud concevra aussi des logiciels pour produire des triolets, le problème étant que les machines deviennent vite obsolètes, et les programmes inutilisables. En 1985, Jean-Pierre Balpe organisera et dirigera à Cerisy un colloque sur «Génération automatique de textes». Caractéristique des travaux de l’A.L.A.M.O. est le STEPHIE MALLARM de Lusson-Roubaud, pour lequel on utilise la méthode des mots: c’est-à-dire que l’on prend un texte, par exemple «Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui», et l’on pratique des abstractions, on réduit le texte à l’état desquelette, ce qui donne «Le…, le… , le…». A partir de là, on injecte du vocabulaire selon des contraintes rythmiques ou autres, vocabulaire trié dans l’auteur sur des bases statistiques. Donc on obtient un pastiche du texte original. Le défaut de cette méthode, c’est qu’on n’obtiendra jamais que du Mallarmé. Avec ce pastiche, nous sommes bien dans la tradition de l’OULIPO-Queneau, et Jean-Pierre Balpe quittera l’A.L.A.M.O. pour fonder KAOS.

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Jean- Pierre Balpe avait créé des générateurs de texte pour des rengas. Le renga est une forme de poésie japonaise, un chaînage de haï-ku, choisi, là je m’inspire d’un entretien, parce que c’est un poème non métaphorique, qui peut fonctionner dans l’univers réel. Il fonctionne à partir d’un dictionnaire, c’est-à-dire de mots avec des renseignements les concernant, des marqueurs, capables de générer d’autres groupes de mots. Le générateur analyse pour voir ce qu’il peut dire dans un dictionnaire, en fonction des contraintes de syntaxe et de sens. Soit une structure «verbe nom adjectif», «Des vents calmes s’éparpillent / Repentir». Le premier mot est aléatoire, le reste n’est plus aléatoire, mais dépend des relations internes dans un réseau sémantique. On peut modifier le texte obtenu. La création est a posteriori: «Mon idée de base est qu’on va faire de la littérature non pas par analyse, mais par simulation». Il a créé aussi un générateur de texte pour des poèmes d’amour: «Je t’aime comme l’alligator / Je t’aime comme le lion fou / Je t’aime comme la vague déferlante». Une autre expérience est «La Bibliothèque du Futur» à Beaubourg en 1986, dans la mesure où elle va servir de base à son poème «Autobiographie». L’idée était d’avoir une bibliothèque en bases de données au lieu d’une bibliothèque en livres: Jules Verne, Maupassant, Zola, Stendhal, le roman rose, le roman gris. Chaque bibliothèque est un univers qui est décrit par des étiquettes, par exemple lieux, météorologie. On pouvait choisir l’introduction d’un personnage, l’une de ces étiquettes, par exemple un personnage dans un café, et on avait la possibilité de faire un paragraphe de 7 phrases, ce qui était une limitation due à l’affichage écran. Le logiciel a une partie intelligente qui dit que je ne peux pas faire pleuvoir dans l’escalier, et bien sûr, des traitements statistiques pour décrire l’univers de Stendhal ou de Zola. Quand on fait une demande d’univers, il va chercher des éléments sémantiques, qu’il traite avec des variables, par exemple dans «A cinq heures et demi, il pleuvait», «il pleuvait» peut être une unité. Ce générateur de texte, «Roman», va servir de base à un programme pour un poème, «Autobiographie», publié dans KAOS n°3, où, partant de n’importe quel paragraphe, on peut produire de la poésie: calculs sur le nombre de syllabes pour produire des effets rythmiques, des effets de coupe, introduction de séquences leitmotivs, désarticulation de la syntaxe. Ce programme peut produire des milliers de pages, et il est autobiographique parce qu’inépuisable. Le problème, soulevé par Jean-Pierre Balpe, est celui de la gestion des univers, qui est évident pour nous, compliqué pour la machine. «La marquise sortit à cinq heures.» Sortir d’où? D’une souricière? Nous, nous basculons constamment d’un univers à l’autre. Pour éclairer cette notion d’»univers», on peut citer ce texte de Philip K. Dick, l’auteur de science-fiction: «J’ai le sentiment profond qu’à un certain degré il y a presque autant d’univers qu’il y a de gens, que chaque individu vit en quelque sorte dans un univers de sa propre création: c’est un produit de son être, une oeuvre personnelle dont peut-être il pourrait être fier.» Jean-Pierre Balpe sera aussi l’initiateur de KAOS, Kaos parce que c’est le dieu de la génération, qui sera à la fois un lieu prestataire de services, avec des ordinateurs permettant par exemple d’aider des publicitaires dans leurs recherches de noms pour des noms de marques, et le titre d’une des deux revues littéraires sur disquette informatique, revue dont le numéro 1 date de janvier 1991, avec des textes animés de Tibor Papp et de Philippe Bootz, et le dernier numéro de 1994.

«Alire», l’autre revue sur disquette, ce qui veut dire revue interactive, où le lecteur peut intervenir sur le texte, a été créé en janvier 1989, donc avant Kaos, par Philippe Bootz, et continue de paraître à ce jour. Le premier numéro a été présenté à la Revue parlée du Centre Pompidou, et paraît avec la périodicité d’un ou deux numéros par an, avec une disquette PC et une disquette MAC et un livret papier. A l’origine de la revue, il y avait le groupe A.L.I.R.E., composé de Claude Maillard, Tibor Papp, Frédéric Develay, Jean-Marie Dutey et Philippe Bootz, qui s’intéressait à la poésie animée et à la poésie sonore sur ordinateur. Tibor Papp avait réalisé depuis 1984 des textes sur micro-ordinateur Amstrad et les avait présentés au Centre Pompidou en 1985, et Claude Maillard avait publié en 1986 un livre avec un travail en voix de synthèse. Pour prendre un exemple, «Alire» n°8 (novembre 1994) se présente sous emballage plastique rigide, et au sommaire nous avons un «texte animé» de Patrick Burgaud (Pays-Bas), un «hypertexte» de Jean-Marie Lafaille (France), un «générateur» de Pedro Barbosa (Portugal), un autre «générateur» de Pedro Barbosa et Abilio Carvalheiro (Portugal), un «poème performance» («Tag Surfusion») de Jacques Donguy et Guillaume Loizillon (France), un «générateur» de Jean-Pierre Balpe (France), et un «hypertexte» d’Eduardo Kac (Brésil/USA). Au sommaire du livret papier, 4 textes, «Notes» de Philippe Bootz, qui commencent par: «Tout récemment encore, certains se demandaient si les textes que nous vous proposons dans «alire» relèvent bien de la littérature.» et où il essaie d’analyser, par rapport à la lecture à sens unique, les fonctionnements de l’hypertexte, des générateurs de texte et des poèmes animés, posant le problème de la «gestion» du lecteur, puis une présentation par Pedro Barbosa et Abilio Carvalheiro du générateur de texte «SYNTEXT» (Synthétiseur de Textes), un texte de nous-même où nous parlons de «traitement de texte» et où nous invoquons en vrac «machine autonome ou désirante, imaginaire objectif, bio cybernétique, écriture virtuelle, échantillonnage, sujet assisté, écriture hypertextuelle, lecteur auteur, littérature par simulation, art terminal, intellect télématique…», et enfin un texte d’Eduardo Kac sur l’ «hyperpoem» et l’ «hyperpoetry», avec des bifurcations vocaliques et consonantiques, et l’idée de «navigation» à travers le poème.

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AUTEURS

Nous avons l’exemple de Jacques Roubaud, avec Le Grand Incendie de Londres , texte papier, mais où il y a des contraintes de parcours, parcours de type énigmatique, où l’on donne au lecteur certains problèmes à résoudre pour lui permettre d’atteindre des parties cachées dans le texte. Ou une interactivitécontrôlée. Nous avons aussi l’exemple de Claude Maillard, avec Machines vertige, en cours de scènes et d’actes (1993), livre composé d’icônes informatiques, où elle utilise Mac Paint 1.5. et MacWrite, et où elle parle du «mythe de l’informatique», mais «mythe», c’est aussi «parole». En fait, en 1984, Matière de vertige paraît sur disquette, mais son travail va surtout se développer du côté de la synthèse vocale, en 1989, avec «En voix d’images» sur IBM PC AT. et carte d’analyse vocale, Voice Communication Option Prototype. Son texte «Sat.L.Robot» en voix de synthèse sera édité en cassette audio, aux éditions Artalect. Et nous-même, avec Tag-Surfusion , avons sans doute publié le premier livre de poésie ordinateur en France. Il faudrait aussi parler d’Eduardo Kac, brésilien, mais vivant aux Etats-Unis, qui créera son premier «hyperpoème», «Storms» en 1993, à lire sur Macintosh, se recomposant quand on clique sur une lettre. Ou l’idée de composition du texte par «champs réseautiques».

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Aux Etats-Unis, le poète sonore californien Larry Wendt utilise l’ordinateur. Il faut signaler l’existence du «San Francisco Tape Center» au début des années 60, très actif pour la musique électronique, grâce à l’utilisation des premiers synthétiseurs. Morton Subotnik, Pauline Oliveros, Steve Reich et Terry Riley ont participé à ce mouvement. Trés lié à Steve Ruppenthal et à Charles Amirkhanian, Larry Wendt utilise des appareils associés à des microprocesseurs qui servent à modifier sa voix pendant les performances. Textes parlés et sons concrets sont, selon un texte de présentation qu’il a rédigé, «manipulés par des méthodes d’enregistrement et modifiés électroniquement avec un équipement électronique bon marché qu’il bricole lui-même. Il collecte des sources audio de base en enregistrant les sons ambiants, et les matériaux pour le texte de ses compositions sont souvent des matériaux trouvés ou publiés provenant d’articles de journaux juxtaposés, de publicités jetées, de journaux professionnels, de programmes d’ordinateur, et ainsi de suite». Il travaillera avec Henri Chopin, à partir de sa voix qu’il traitera électroniquement.

Il faut aussi parler de John Cage, l’auteur de «Empty Words», oeuvre qui était pour lui comme une «transition de la littérature à la musique». John Cage s’intéressait à Thoreau et à Joyce, ce qui sera d’ailleurs à l’origine de pièces musicales, «Mureau» (Music Thoreau) et «Moyce» (Music Joyce). L’oeuvre poétique de Cage se caractérise par ses «Mesostics», compositions verticales, où l’on retrouve par exemple «DUCHAMP», le «D» apparaissant à la première ligne, le «U» à la deuxième, et ainsi de suite. «Mes mesostics sont devenus des choses que vous pouvez voir et comprendre de la façon dont vous comprenez «No Parking».» Ce qui est intéressant pour notre propos, c’est qu’à partir de 1985 il utilise un ordinateur pour composer ses «Mesostics»: «J’ai un programme maintenant, de telle façon que si j’ai un texte dans la mémoire, en quelque langue que ce soit, je le mets en route et il fait des mesostics sur le texte que je veux. Et après que les mesostics soient faits – cela donne juste l’épine dorsale, pour ainsi dire – alors je peux comparer cela avec ce qui est laissé de côté et faire un poème.» Et il pensait à une édition électronique de ses mesostics sur Art Com Electronic Network transitant par le Whole Earth ‘Lectronic Link, ou WELL. Toujours en 1985, il dit qu’écrire avec un ordinateur «change complètement votre esprit. Quand vous écrivez un texte comme j’avais l’habitude de le faire avec toutes les ratures et ce qui va avec, vous avez une image du passé qui persiste dans le présent et cela devient un vrai labyrinthe. Avec le traitement de texte, vous n’avez que le présent, ainsi vous êtes réellement dans un nouveau territoire mental (a new mental land)». Ou cette idée d’être dans l’instantanéité, ce qui est le propre de l’électronique (la vitesse de la lumière) par rapport à l’écriture manuelle.

MANIFESTATIONS

Une manifestation, «(Pré)texte à voir», organisée par Art 3000 le 6 avril 1993 à Paris, réunissait 24 oeuvres qui mettaient en scène le texte par l’intermédiaire de l’ordinateur et de la vidéo: vidéogrammes de Benoît Carré, «L’anatomie d’une voyelle» de Paul Nagy, «Les tendus de neige» de Sabine de Chalendar, «Les très riches heures de l’ordinateur 4 et 5» de Tibor Papp, «Dressages informatiques 3, 5, 7» de Claude Maillard, trois poèmes animés de Philippe Bootz, «Une page» et «Détails» de Jean-Marie Dutey, «La dérive des continents» de Claude Faure, «Autobiographie» de Jean-Pierre Balpe et «Traitement de texte, automates» de Jacques Donguy et Guillaume Loizillon, débitant sur imprimante des kilomètres de textes aléatoires. Deux colloques ont eu lieu sur le thème de l’écriture et de l’ordinateur, l’un à l’Université de Lille 3 le 12 mai 1993, l’autre à Paris VII Jussieu. Celui de Lille, «Colloque Nord Poésie et Ordinateur», réunissait, outre Philippe Bootz, qui était à l’origine de ce colloque, Orlando Carreno, de l’université de Madrid, auteur d’une thèse sur «Nouvelles technologies de l’information et création littéraire», Jean Clément, Jacques Donguy, Jean-Marie Dutey, Sébastien Joachim de l’université de Recife au Brésil, Michel Lenoble de l’université de Montréal, Patrick Louguet, Claude Maillard, Tibor Papp, Christophe Petchanatz et Alain Vuillemin, et il a fait l’objet d’une publication (CIRCAV-GERICO / MotsVoir, 1994). L’autre colloque, organisé sur le thème «Journées d’Etudes Internationales sur Littérature et Informatique (Littérature Générée par Ordinateur)» par Michel Lenoble et Alain Vuillemin, et qui réunissait, outre les organisateurs, Jean-Pierre Balpe, Jean Clément, Sébastien Joachim et moi-même, Jacques Roubaud (Paris X, ALAMO), Paul Braffort (ALAMO), Janet Murray (M.I.T.), Pedro Barbosa (Université Fernando Pessoa, Portugal), Paolo Ferrara (Université de Milan), et d’autres intervenants, a eu lieu à l’université Paris VII les 20-21-22 avril 1994 et a donné lieu aussi à une publication (1).

PROSPECTIVE: DE LA STATIQUE A LA GENETIQUE DU TEXTE

Robert Filliou parle du «Poet’s poor priviledge», la modification orthographique étant volontaire, poète symbolisé par ce Janus à double visage qui voit à la fois devant et derrière lui. L’une des possibilités ouverte par l’ordinateur est celle de l’interactivité, ce que Jean-François Lyotard a essayé de faire fonctionner à travers cette expérience d’écriture interactive «Epreuves d’écriture», à l’occasion de l’exposition des Immatériaux en 1985, autour d’un certain nombre de concepts (Artificiel, auteur, capture, code, confins, corps…) en mettant des micro-ordinateurs à la disposition des «auteurs», de Nanni Balestrini à Michel Butor à Jacques Derrida à Maurice Roche à Jacques Roubaud à Isabelle Stengers, ordinateurs connectés à un ordinateur central qui serait comme une mémoire commune, pour aboutir à une écriture collective et à distance. Cette expérience fut un échec, en ce sens que personne n’a joué le jeu de l’interactivité. L’idée de Lyotard était de montrer la dilution de la notion d’ auteur. Par contre la notion d’intaractivité auteur / lecteur a été tentée avec succès pour ces textes consultables sur ordinateur, à travers une disquette, avec la revue «alire». Dans le même ordre d’idées, certains poèmes d’Augusto de Campos sont diffusés sur Internet (2). Peut-être pourrait-on parler, avec Roy Ascott, du «paradigme connexioniste», l’idée selon laquelle «tout est connecté et tout a un effet et interagit sur tout le reste», Roy Ascott initiateur lui-même en 1983 d’un projet d’écriture collective, «La Plissure du Texte», pour l’exposition Electra au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris. L’autre possibilité qu’offre l’ordinateur est celle de générer du texte à l’infini, ce qui nous renvoie aux problèmes de gestion posés par la croissance exponentionelle de l’information. On peut établir un parallèle avec la recherche du son continu en musique, depuis Varèse, que permettent actuellement l’usage des synthétiseurs dans la musique électro-acoustique.

Texte infini qui suppose un autre support que le livre, comme le texte-écran. Génétique suppose aussi une relation avec le biologique, et peut-être la recherche d’un hybride, l’ «informaginaire», informatique et imaginaire, pour reprendre un terme de Sébastien Joachim, ou «Génotexte», terme employé par Michel Lenoble. Ceci pose d’ailleurs le problème de la «fonction auteur», de savoir «quand débute et quand prend fin le travail de l’auteur sur le texte, le travail du texte». Une création pour le vingt-et-unième siècle, qui serait de l’ordre de l’ «écologie de l’esprit», selon une expression de Gregory Bateson. Guattari parlera de «Chaosmose», entre chaos, osmose et cosmos. Ou cette idée – utopique – de détruire, ou de réduire la différence entre objectivité (ordinateur, ce «dépôt d’inconscient» effectué par les machines) et subjectivité (créativité). Une prothèse bio-compatible? On pourrait se référer au titre d’un poème sonore de Ladislav Novak qui symbolise bien ce nouvel horizon de cybersymbiose:

«La liquéfaction du géomètre Descartes».


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