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"L'Alchimiste" de Paulo Coehlo

Par Leblogdesbouquins @BlogDesBouquins
« Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ; Adieu, vive clarté de nos étés trop courts ! »
(Charles Baudelaire, Les fleurs du mal)
Amis lecteurs, à un été compliqué succède un automne erratique. Finies les longues heures de barbecue corporel, le seul visage masqué par un quatrième de couverture flétri. Profitons bien de ces quelques jours de soleil, car après il sera temps de se masser autour des poêles des terrasses de cafés. Plus de pique-nique dans les parcs ou de rendez-vous en plein air, place aux réunions d’intérieur, où le nombre d’invités dépassent très vite le nombre de m2. Cela provoque une convivialité forcée, et après l’emploi/logement/lien avec l’hôte, vient le temps des transports et parfois de la lecture. « Jamais autant lu que depuis que j’ai une heure de trajet », « Pas le temps de lire, trois changements et je rentre à 20h ». Rares sont les braves à avouer « ne pas aimer lire » ou « ne pas arriver à lire », on dira plutôt « je n’ai pas le temps de lire » ou sa version flagellante « peut être devrais-je prendre le temps de lire ». En résumé, lire c’est socialement bien vu, dans les faits c’est un peu plus compliqué. Un peu comme si je lançais une discussion sur la programmation de l’odéon, j’attends toujours la découverte sur les planches qui changerait mes habitudes. On ne lit pas, mais on tire à boulets rouges sur la nouvelle littérature française (ce terme a-t-il seulement un sens ?). On ne pratique pas mais l’on sait, il est de bon ton de vérifier son vernis culturel, un faux pas et la graphiste de 35 kilos que vous convoitiez détourne le regard. Sur le Bdb, on n’a d’autres prétentions que de lire, critiquer et partager. Aimer Stephen King et Marguerite Yourcenar, s’extasier sur Sandor Marai ou un comics n’est que le miroir de nos envies et de nos goûts. Une manière inconsciente et prétentieuse de se trouver ouvert à tout type de littérature ou de gommer nos penchants geeko-underground pour certains, vous en êtes les seuls juges. Pour illustrer cette (trop) longue parenthèse, j’ai choisi aujourd’hui de vous parler de « L’Alchimiste » de Paolo Coelho, que même mon correcteur Word semble connaitre.
L’avis de JB
Sans prairies de cactus mais avec ses detracteurs
Publié en 1988, « l’Alchimiste » déferle sur nos tables de chevet en 1994, année de sa traduction dans notre cher pays. Il suffit de flâner quelques minutes sur le net pour se rendre compte que son succès a aussi bien cristallisé les éloges que les critiques, et ce, de manière plutôt virulente. Les uns trouvant le livre rafraichissant, superbe et constructif, d’autres y voyant un manuel religio-philosophique au rabais, dénué de style. Cette catégorie de lecteurs se gaussant de la première. On peut, par exemple, lire des commentaires comme « Aucune image distinguée, aucune figure de style, aucun raffinement, c'est la littérature du pauvre, l'hamburger fast-food immangeable.Moi, je n'aime pas la malbouffe » ou « Vous voulez de la philosophie ? Arretez donc les Coelhos, Gounelle et autres niaiseries du genre et commencez-donc par le B-A BA avec Platon. Ce n'est pas facile à lire ? C'est difficile à comprendre ? C'est chi... ? En effet, c'est un peu tout cela à la fois, mais qui a dit que la philosophie était à la portée de tous ? ». Moi j’aime notamment la malbouffe et je pense que la philosophie doit être à la portée de tous, chacun ses carences j’imagine. Chacun son snobisme, nous avons évidemment les nôtres sur le Bdb.
Sans rapport avec une chanson de Francis Cabrel, l’ouvrage raconte la quête initiatique d’un jeune berger andalou, sur la route d’un fabuleux trésor censé se situer au pied des pyramides égyptiennes. Au cours de son périple, il fera la connaissance du roi de Salem (Melchisédech), d’une gitane, d’un explorateur Anglais et d’un Alchimiste qui seront pour lui autant de guides. Il frôlera la mort, deviendra riche, pauvre, amoureux, avant d’atteindre son but ultime, la découverte de sa « légende personnelle » (ainsi que beaucoup d’or, accessoirement, mais j’imagine que c’est une composante d’épanouissement).
L’auteur nous en donne une définition dans une interview pour le magazine « Cles » :
"Dans L'Alchimiste, j'ai essayé de donner les quatre clés fondamentales de cet art. La première est livrée par les Signes. Dans le grand livre de la nature, l'histoire de chacun de nous est inscrite. Les signes sont des passages que nous en déchiffrons. La seconde clé, c'est l'Âme du Monde , ce grand livre justement dans lequel sont écrites nos histoires. Chacune de nos actions sur terre a une correspondance dans cette Âme du Monde. C'est une relation très claire, spirituellement écologique, dans laquelle chacun de nos agissements a un effet sur l'ensemble du processus humain. Exactement comme dans l'écosystème terrestre. La troisième clé, c'est la Légende Personnelle . Nous avons chacun une chose à faire ici bas. Pas deux ni trois... Une seule ! C'est cela, la Légende Personnelle. La quatrième clé, enfin, c'est le Langage du Cœur. Accomplir sa Légende Personnelle, c'est harmoniser la voix de la raison - qui a son utilité - avec cette voix du cœur qui se manifeste à nous par les sentiments et l'intuition."
Beaucoup de défauts et quelques qualités...
Alors oui, l’ouvrage est truffé de clichés et de lieux communs et emprunte à de nombreuses œuvres. A commencer par les personnages, brave berger, anglais décadent, gitane rusée ou jeune fille sahraouie porteuse de jarres. Les bons sentiments coulent à torrent, les différentes communautés religieuses vivent en pas, le soleil est haut dans le ciel et les repas sont frugaux mais tellement conviviaux. Etre heureux, se donner les moyens, illustrer de jolies phrases définitives comme « Quand on veut une chose, tout l'Univers conspire à nous permettre de réaliser notre rêve. ». La vie en toute chose, un dialogue avec le vent, le soleil et son propre cœur, rien sur la rosée du matin mais nous sommes dans des régions chaudes. Les références au « Petit prince » sont nombreuses, tout comme celles à la nouvelle de Borges « Le conte des deux rêveurs ».
Plus gênant à mes yeux, est la dimension didactico-religieuse de l’ouvrage. Un trésor, cela se mérite, rien de tel que des obstacles pour avancer dans la vie. Cher berger perdu, tempère la fougue de ta jeunesse et prend bien soin d’écouter les anciens, laisse toi guider. Si tu t’écoutais, tu serais resté avec tes moutons amoureux de la fille d’un marchand andalou. L’auteur pense que tu mérites mieux, que ce n’est pas ça le vrai bonheur, et qu’on va-t’en trouver un à ta mesure. Prend également bien soin d’écouter et de suivre les signes de Dieu, il sera ton bâton à travers le sinueux chemin vers l’aboutissement de ta quête.
La qualité du style et de l’écriture tient, quant à elle, de l’anecdote. Les phrases sont souvent très courtes et indépendantes, ou trop longues, notamment vers la fin de l’ouvrage. On cherche le concret, l’efficace dans les descriptions et les actions, et l’on rallonge quand il s’agit de monologue ou de considérations philosophiques. Quelques exemples ci-dessous :
« Nous pourrions le servir dans des verres en cristal. De cette façon, les gens apprécieront le thé, et voudront acheter les cristaux. Car ce qui séduit le plus les hommes, c’est la beauté ».
« Et cela s’appelait l’Amour, quelque chose de plus vieux que les hommes et que le désert même, et qui pourtant ressurgissait toujours avec la même force, partout ou deux regards venaient à se croiser comme se croisèrent alors ces deux regards près d’un puits. »
Néanmoins j’y ai trouvé plusieurs motifs de satisfaction, à commencer par son accessibilité. L’ouvrage est en effet très court, mais survole de nombreux thèmes. Ce que l’on reproche, à mon avis, surtout à l’ouvrage, outre les défauts évoqués plus haut, c’est son succès. Or, je suis de ceux qui pensent qu’on ne peut pas aveuglement cracher sur un ouvrage vendu à plusieurs dizaines de millions d’exemplaires, sans avoir pris la peine de l’ouvrir. La possibilité de tomber sur une bonne surprise suffit pour que l’on range son décape son vernis orgueilleux. Je vois « l’Alchimiste » comme une lecture de jeunesse et une porte d’entrée. Un âge où l’on fera peut-être moins attention au travail littéraire et où les références feront remarquablement défaut. Tout le monde ne peut pas s’extasier sur du Flaubert ou du Proust dès son adolescence (ou plus tard d’ailleurs), et il est parfois bon de reconnaitre qu’à une certaine période de la vie, il est des ouvrages que l’on lit plus volontiers. Découvrir cet ouvrage au collège ne me paraitrait pas une faute de goût, il vous resterait alors assez de naïveté avant de vous reconnaitre poète maudit dans une tentative de lecture de Rimbaud ou d’un ouvrage de Boris Vian.
A lire ou pas ?
En l’état et à mon âge canonique non. En revanche, jeunes lecteurs de ce blog, « l’Alchimiste » mérite peut être votre attention. On ne peut pas dire que j’ai apprécié mais j’avoue avoir été agréablement surpris, compte tenu de la montagne d’échos très négatifs que j’ai pu collecter. On lui reproche qu’un enfant de 10 ans aurait pu l’écrire, j’aime à penser que c’est plutôt une qualité si un adolescent du même âge peut le lire. « Une quête commence toujours par la Chance du Débutant. Et s'achève toujours par l'Épreuve du Conquérant. » dirait Paolo Coelho…
PS : Une critique au vitriol, globalement assez drôle :
http://lunch.free.fr/coelho.html
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