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“Le président et moi”

Publié le 03 avril 2008 par Anne-Sophie

Hélène Jouan m’a donné envie d’acheter son livre ce matin sur France Inter, et le Monde de ce soir en publie quelques extraits en page 16 (et ici en ligne). Je ne résiste donc pas et vous met un petit passage du dernier livre de Philippe Ridet*, journaliste politique dont j’adore le style et approuve souvent les analyses!

Je sens bien qu’il faut que je m’explique et que je ne pourrai pas longtemps différer le sujet. Oui, je tutoie le président de la République (je ne suis pas le seul) et, oui, je suis journaliste. S’expliquer : le mot est mal choisi. Se justifier ? Pire encore. Il n’y a rien à justifier, c’est ainsi, un point c’est tout. Il y a juste à dire les choses, sans hystérie ni contrition. On me dira que cela ne se fait pas. Que cela nuit à la distance avec mon sujet. Que cela fait de moi la victime d’une tentative de séduction, voire d’intimidation. Un jour que je participais à une émission de télévision (” Arrêt sur images “, défunte depuis) en partie consacrée à la question - qui fait tant fantasmer - du rapport entre Sarkozy et les journalistes, quelqu’un a parlé de ” la violence totalitaire de la séduction “. Je n’ai rien compris. Pourtant, cette personne avait accompagné sa trouvaille d’un regard entendu qui supposait que la chose allait de soi pour les initiés.

Je n’avais pas été brutalisé ni mis en demeure d’accepter ce tutoiement sous peine d’être écarté. Il était venu dans la conversation, je ne l’avais pas refusé. Cela me paraissait, comment dire… impoli. Oui, c’est cela, mal élevé. Je n’ai ni la force d’âme ni une assez haute opinion de mon métier pour m’émouvoir que l’on me tutoie. D’autres l’ont refusé. Je n’ai pas le sentiment qu’ils soient plus libres ou tellement différents dans la pratique de leur profession. Le tutoiement était, à l’époque où j’ai commencé le journalisme politique, une convention. Arrivé tardivement dans cette spécialité, cela me parut une façon simple et peu coûteuse de m’intégrer plus rapidement à mon nouvel univers. Des hommes de mon âge proposaient naturellement de me tutoyer. C’était leur code, une façon de se rassurer sur leur interlocuteur. Je ne voyais pas l’intérêt de faire le malin en refusant. M’abriter derrière une neutralité outragée en brandissant ma carte de presse comme une gousse d’ail devant un vampire ? Un peu ridicule, non ? En tutoyant d’emblée, les hommes politiques imaginent créer une complicité qui les préservera de la critique. Ils croient vous faire entrer dans le cercle magique de la connivence. C’est leur problème. Pourquoi chercher à les détromper ? Le journalisme est aussi une science du camouflage.

(…)

Depuis son entrée dans le palais auquel il a longtemps rêvé, Sarkozy a saturé les médias de ses interventions et, paradoxalement, frustré les journalistes de ses indiscrétions. Changement d’échelle. Fini les coups de téléphone, pour ce qui me concerne le samedi ou le dimanche matin. Je ne parle pas de son appel ” d’homme à homme ” pour me demander qu’on épargne Cécilia.

Ces jours-là, avant qu’il ne soit président (autant dire dans une autre vie), le ton était tout autre : doucereux, décontracté, un ton de week-end, de pull en laine et de pantalon de velours. Il faut imaginer la scène. Le journaliste est dans sa cuisine, prépare un boeuf carottes, émince des oignons ou remplit son frigo. Et le candidat ? Que peut-il bien faire, où peut-il bien être pour m’appeler ainsi à l’improviste ? Toujours le même rituel. Une voix : ” Le ministre désire vous parler. - D’accord, passez-le-moi. “ Et lui : ” Ça va ? Je ne te dérange pas ? “ Moi, le téléphone coincé entre l’oreille et l’épaule, une queue de casserole dans une main, cherchant un stylo et un carnet de notes de l’autre : ” Non, absolument pas. “ Aurais-je dû lui dire : ” Alors là, ça tombe mal, je prépare une daube, rappelle-moi quand j’aurai terminé. “ ?

Il y eut ainsi trois, quatre appels de ce genre entre le début et la fin de la campagne. En général après un discours qu’il jugeait capital : ” C’est important les bons discours, me disait-il, ça marque. C’est du travail. Le discours d’hier, je l’ai écrit entièrement. Et tu as entendu le silence ? C’est ça que je recherche maintenant. Les applaudissements, ça ne veut plus rien dire pour moi. Mais le silence… ” Je note, dis ” oui, oui… “, tente une question sur un débat en cours. Mais il poursuit son monologue. Tout à coup, il s’arrête, met fin à la conversation brusquement. Quelqu’un vient-il d’entrer dans la pièce dans laquelle il se trouve ? Se trouve-t-il un peu pitoyable d’appeler un journaliste en quémandant son assentiment ? A-t-il peur que j’y voie un aveu de sa solitude ? En raccrochant, il dit : ” Je t’embrasse “, comme si j’étais un de ses vieux amis ou un membre de sa famille. Ou plutôt comme on le dit chez les acteurs et les chanteurs où tout le monde s’embrasse, tout le monde s’aime dans le monde idéal des apparences. Cela ne risque plus d’arriver. Le président ne nous confie plus ses énervements ou ses états d’âme. Pour cela, il choisit les ” 20 heures “. Quel besoin éprouverait-il de faire du ” off ” puisque le ” on ” a aussi pour fonction de parler de lui, encore et encore. Atteignant son but, il s’est peut-être délivré de sa dépendance vis-à-vis des journalistes. Il n’a plus besoin de nous pour se rassurer. L’Audimat lui suffit. Nous avons été des vecteurs, nous ne sommes plus que des passeurs de plats. Des visages qu’il revoit avec plaisir comme un cafetier reconnaît ses habitués. Cela passe par quelques attentions : une poignée de main un peu plus longue, un sourire plus marqué, une phrase lâchée à la volée. Mais très vite, il se détourne. A quoi bon nous octroyer des égards supplémentaires puisqu’il sait que nous reviendrons.

Cela ne signifie pas qu’il n’a plus besoin des médias, au contraire, mais il peut se passer désormais de ceux qui alimentent la machine à informer. Disons qu’il n’a plus besoin de fournir d’efforts pour y tenir son rang. Candidat, il en était de toute façon l’hôte préféré, faisant grimper les audiences au gré de ses passages à la télévision ou sur les ondes. Chef de l’Etat, il en est le résident permanent. Ses sujets sont prévendus. Dès lors, il n’a plus qu’à se soucier de gérer son agenda en fonction des contraintes médiatiques. Chacune de ses activités quotidiennes est organisée en fonction de l’écho qu’elle rencontrera. Et chacune d’elles peut donner lieu à un ” sujet ” pour les ” 13 heures ” et un autre pour les ” 20 heures”.

Les télévisions ont tellement bien intégré cette contrainte nouvelle qu’elles ont doublé le nombre de journalistes chargés du suivi des activités présidentielles. Là où un seul suffisait pour rendre compte de l’Elysée sous Chirac, il en faut deux pour son successeur. Pour les chaînes d’information continue, c’est pain bénit. Sarkozy matin, midi et soir, le public en redemande. Il remplit les grilles de programmes, et en plus, il zappe tout seul d’un sujet à l’autre. Franck Louvrier, son conseiller en communication, jubile : les activités médiatisées de Nicolas Sarkozy ont augmenté de 450 % par rapport à celles de son prédécesseur. En comparaison, la hausse du salaire du président (140 ou 170 % selon les sources) paraît être une bonne affaire!

Comme de bien entendu, on vitupère sur cette présence obsédante d’un président devenu rédacteur en chef. Et si l’hyperprésidence, hormis le fait non négligeable qu’elle fait vendre du papier, était une chance pour les médias ? Une chance de redécouvrir les vertus du choix, de la hiérarchie ? Aux journalistes de décrypter au maximum les astuces et les stratégies de communication pour que personne ne soit dupe.

Ce livre a vraiment l’air passionnant! Autant pour l’analyse politique que pour le questionnement autour du travail de journalisme et l’écriture! Merci Monsieur Ridet!

*Le Président et moi, de Philippe Ridet, Albin Michel, 236 pages, 17 euros

La photo illustrant le livre de PR est celle que nous avions reprise ici, assez parlante à vrai dire! Et qui était d’ores et déjà illustrée par les propos de ce même journaliste!


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