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Pourquoi n'es-tu pas fier de moi, papa ?

Par Jeuneanecdotique
14 décembre 2012

Cher Papa,


J'ai de plus en plus de mal à me retenir devant toi. Je ne sais même pas d'où je tiens tellement de self-control, alors que ce n'est certainement pas toi qui as pu me l'apprendre. Peut-être un des bons cotés que j'ai tiré de maman.
Sauf que maman, elle te pardonne, elle t'a choisie. Moi, je ne pardonne pas.
Tu me fais souffrir. Avant, j'étais triste, maintenant je suis en colère, et que je sois triste ou en colère, le seul facteur commun, c'est que je souffre.
Finalement ça ne date pas d'hier. Déjà quand j'étais plus jeune, au collège, il suffisait que je dise quelque chose qui n'aille pas dans ton sens et tu ne pouvais t'empêcher de dire, l'air très sérieux : « bah, je te croyais plus intelligente que ça ». Toujours à me rabaisser pour tout et n'importe quoi, pour un poil de cul de travers, pour un nuage en trop, toujours à me faire comprendre que je suis bête, que je te déçois, que tu aimerais avoir une autre fille que moi, plus jolie, plus intelligente, plus ambitieuse, plus rigolote, plus mince...
Quand j'étais au collège, tu ne pouvais pas t'empêcher de me dire que j'étais grosse. Comme si le regard des imbéciles pré pubères ne suffisait pas, le tien s'ajoutait à cela. Je me souviendrais toujours quand, en sortant du film « Hairspray » ensemble, alors que j'étais contente d'avoir été au cinéma avec mon papa, tu m'as dit « je comprends pourquoi tu aimes ce film, c'est parce que la fille, elle est un peu comme toi ». La fille pesait plus de 100 kilos. A l'époque, je ne devais en faire que 65... Pas encore obèse et déjà considérée comme telle. Finalement, j'ai été faible, je n'ai fait que suivre tes prédictions. Oui, maintenant, je suis comme la fille dans le film : pas aussi grosse, mais obèse quand même. Bravo, tu avais vu juste, je suis aussi médiocre que prévu.
Quand j'étais en cinquième, tu m'as dit le secret sur maman. LE secret. J'avais 13 ans. Tu m'as dit de ne le dire à personne. Sauf que... bah, j'avais 13 ans. J'avais des sentiments, et mes sentiments étaient mis à rude épreuve par ce que tu m'avais dit. Je me suis réconfortée comme j'ai pu, mais ça m'a perturbée. J'ai eu besoin d'en parler à un ami. Je ne l'ai fait qu'une fois, sur msn. Comment l'as-tu su ? Espionnais-tu mes conversations MSN ? Je n'en sais rien, mais tu l'as su. Tu m'as pris un soir, tu m'as dit que tu me confiais quelque chose, que je ne pouvais pas m'empêcher d'aller le dire, que tu me faisais pourtant confiance, que tu en avais marre que ta fille soit triste tout le temps, et que si je voulais, tu pouvais t'en aller de chez-nous. Quand ton père te dit ça à 13 ans, tu ne comprends pas très bien. J'étais triste, perturbée, et jeune. Tu avais soulagé ta conscience en me racontant ce secret. Je suis désolée d'avoir trahi ta confiance. Mais moi, il fallait que j'en parle. Et je n'avais pas encore de psychologue. Lorsque j'en ai eu une, d'ailleurs, elle m'a très clairement dit que tu étais égoïste de m'avoir confié pareille chose pour te faire du bien pour ensuite m'interdire d'en dire un mot. J'y pense toujours aujourd'hui, j'ai eu des périodes où ce fameux secret me perturbait plus que d'autres, des périodes où je lui parlais, où je culpabilisais, où j'avais envie de lui donner ma place. Le lendemain que tu m'aies dit tout ça, au collège, j'ai pleuré toute la journée. Je faisais pitié.
Au quotidien, nos deux caractères s'affrontent. Tu parles méchamment, tu me regardes comme si j'étais une ratée, une honte vivante, et quand je te demande d'arrêter, tu ne le nies même pas.
Au lycée, tu as fait ta crise. La dépression. Bien sûr, c'est sur moi que tu t'es défoulé, pour un morceau de pain et une canette de coca, bref le problème de l'humanité. Pas vraiment sur maman. Pourquoi ? Je pense qu'on le sait. Tu m'en veux, mais de quoi ? D'exister ? D'être là ? D'être comme je suis et non pas comme tu veux que je sois ?
De quoi m'en veux-tu ? Je ne sais pas si c'est de ma faute si tu as fait ta dépression et ta crise d'hystérie, paraît que c'est la faute à ton travail, mais je ne pourrais jamais m'empêcher de penser que c'est de ma faute. Je me dis que c'est d'avoir une fille aussi nulle que moi qui t'a poussé à péter un câble. C'est parce que je suis une merde de fille qu'on a dû appeler les pompiers et que j'avais même peur, parfois, que dans la nuit, tu viennes me tuer. C'est con, mais je sentais parfois tellement de colère et de déception en toi, dirigées contre moi, que j'avais vraiment peur. Même si je sais que tu m'aimes, et que tu veux que personne ne me touche.
Tu es comme mon miroir. Je pensais que Benoît, mon « pote » comme tu l'appelles, mon « fiancé » comme je préfère l'appeler, était mon miroir. Mais non, c'est toi. Tu me donnes tellement l'impression d'être minable. Benoît pourra me dire autant de fois qu'il veut que je suis belle comme je suis, qu'il m'aime, que je suis marrante et intelligente, si TOI tu me donnes l'impression inverse, c'est cette impression là qui déterminera l'image que j'aie de moi. Le jour où tu me diras que tu es fier de moi, et de la personne que je suis, j'aurais l'impression de valoir quelque chose. Mais là, maintenant, je me sens comme rien. Comme une flaque de vomi, comme de la gadoue qu'on touille. Comme quelque chose de moche qui pue et qui est tout sauf intéressant. Parce que c'est l'impression que tu me donnes.
Tu ne m'adresses jamais la parole. Pourtant, lorsque tu es bien luné, j'aime bien discuter avec toi, même si mon caractère m'empêche de faire des sourires niais à longueur de journée et que mon bonheur est discret. Mais 95% du temps, je n'aime pas te croiser. Quand j'entends le verrou qui tourne dans l'entrée, je suis déprimée. Je me dis « que va-t-il bien pouvoir me dire encore aujourd'hui ? ». Quand c'est moi qui rentre, je prie pour que tu sois dans ta chambre, et non pas dans le salon. Quand mes prières ne sont pas exaucées, trente secondes suffisent à rappeler pourquoi j'ai tant prié : tu me regardes, me lance un « La prochaine fois tu me feras le plaisir de remettre du papier-toilettes, s'il te plaît » bien glacial et tu pars dans ta chambre. Oui, bonsoir, ça va bien, et toi ? Tu ne m'adresses la parole que pour parler de chasse d'eau, de porter mal fermée, du bruit que je fais dans ma chambre à 21h, et tu viens me reprocher, ensuite, de n'être pas souriante avec toi, de ne pas te parler. J'ai déjà fait le premier pas plusieurs fois, j'ai déjà eu l'impression que ta manie de me rabaisser s'était atténuée. Chaque fois, tu recommences.
Qu'ai-je fait de mal pour mériter tant de mépris ? Je n'arrive plus à faire d'effort. Chacune de tes remarques me bouffent de l'intérieur. Je me retiens tellement avec toi que je me relâche partout. Je m'énerve même sur des gens que je ne connais pas, maintenant. Sur tout le monde, sauf sur la seule personne qui mériterait que je lui dise ce que je ressens vraiment. Je ne te réponds pas, parce que quoi je dise, ça ne fait qu'envenimer les choses, et une parole de toi est déjà bien suffisante pour me saper le moral. Mais j'en ai ras la casquette de ne pas répondre, de ne pas me défendre.
Je t'aime, Papa. Mais je n'aime pas celle que je vois dans tes yeux, je n'aime pas la personne que tu penses que je suis et que tu me fais devenir. Je n'aime pas rentrer chez moi, et me dire, chaque fois, « vivement que je n'habite plus avec lui ». Je n'aime pas ça, parce que tu es mon père, que je t'aime et que tu m'entretiens et que je t'en suis reconnaissante. Si je ne pense pas ça de maman, c'est bien que je ne suis pas qu'une pourrie d'ingrate qui pète à la figure de ses parents. C'est toi et moi qui avons un problème.
J'aimerais tellement que tu sois fier de moi. Que tu sois fier que je sois avec mon fiancé depuis trois ans, qu'on soit amoureux et qu'on projette pleins de choses ensemble. Que tu sois fier que j'ai trouvé un métier que j'aime, même si ce n'est pas éditrice ou psychologue. J'aimerais que tu sois fier que je ne sois pas qu'une grosse feignasse, que je fasse toujours de mon mieux pour avoir un petit-boulot, même quand je fais mes stages en journée, quoi qu'il arrive. J'aimerais que tu sois fier que ta fille ne soit pas une mauvaise personne.
J'aimerais.
Ca fait plusieurs années que je garde tout ça pour moi. J'ai craqué. Mais je t'aime quand même.

Pourquoi n'es-tu pas fier de moi, papa ?

Pourquoi n'es-tu pas fier de moi, papa ?

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