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François Kalfon veut rappeler aux lecteurs du Monde qu'il existe

Publié le 21 décembre 2012 par Copeau @Contrepoints

François Kalfon, délégué général aux études d'opinion au PS, veut rappeler aux lecteur du Monde qu'il existe.

Par Baptiste Créteur.

François Kalfon veut rappeler aux lecteurs du Monde qu'il existe

François Kalfon

Philippe Doucet, entré sous le feu des projecteurs en signant une lettre à François Hollande réclamant plus de collectivisme, fait des jaloux. François Kalfon, délégué général aux études d'opinion au PS et cosignataire de la lettre, a voulu rappeler aux lecteur du Monde qu'il existe ; l'occasion de mieux comprendre ce qu'il se passe dans la tête d'un responsable socialiste. Décryptage.

Il est certain qu'aujourd'hui, les marges de manœuvre de l'action politique sont limitées face à une économie mondialisée qui tend à imposer ses règles. Mais faut-il pour autant abdiquer ? Faut-il, une fois élu, céder avant même d'avoir construit un rapport de force ? Je ne le crois pas.

L'économie mondialisée tend à imposer la règle insupportable d'une concurrence qui récompense les meilleurs et pénalise les mauvais. Le responsable socialiste, qui entend bien être le seul à imposer ses règles, ne veut pas se laisser faire : il veut construire un rapport de force entre lui et le monde, protégé qu'il est par le formidable bouclier humain que sont les Français. Il sait que, quoi qu'il puisse arriver aux Français, il sera le dernier à voir sa rémunération diminuer.

Du reste, ce n'est pas ce qui a été fait à Florange. Voyez comme la menace d'une nationalisation temporaire a permis, finalement, de sauver l'ensemble des emplois que Mittal avait prévu de supprimer.

Le responsable socialiste sait qu'il peut faire appliquer ses souhaits de gré ou de force. Le recours à la menace suffit bien souvent à faire obtempérer les plus récalcitrants, ceux qui veulent - horreur - jouir de leur propriété comme ils l'entendent. Et il maîtrise quelques tours de passe-passe ; on a vu qu'aucun emploi n'allait être supprimé à Florange, et on a fermé les yeux pendant les suppressions d'emplois à Bourg-en-Bresse. Tadam !

Dans la boîte à outils que proposaient les soixante propositions du candidat François Hollande, il y en a une qui permet de répondre immédiatement à cette revalorisation salariale : c'est la réforme fiscale redistributive. L'engagement 14. Elle permet, en fusionnant l'impôt sur le revenu et la CSG, de rétablir la progressivité de l'impôt tel qu'il avait été conçu initialement. C'est la possibilité de redistribuer 800 à 1 200 euros par an de pouvoir d'achat aux travailleurs modestes.

C'est-à-dire la possibilité pour eux de payer des vacances à leurs enfants, alors que nombre d'entre eux ne le peuvent plus. Alors pourquoi s'en priver ? Sans doute que les hauts fonctionnaires de Bercy expliquent à longueur de journée aux ministres que cette réforme est compliquée. Sans doute expliquent-ils aussi que la pression fiscale sur les catégories supérieures est déjà suffisamment forte.

Mais moi, je sais de quel côté est l'urgence sociale. Il nous faut choisir, nous ne pouvons contenter tout le monde au même moment. Il faut hiérarchiser nos priorités. Les Français font des efforts, ils acceptent la réduction des déficits et la règle d'or. Nous nous sommes engagés pour rétablir notre compétitivité grâce au crédit d'impôt emploi-compétitivité. Alors, nous ne pouvons renvoyer aux calendes grecques le temps de la redistribution.

Dans la tête d'un responsable socialiste se trouve également une pensée émue pour tous ceux qui ne partent pas en vacances. Il sait de quel côté est l'urgence sociale ; il en parle régulièrement avec ses amis hauts fonctionnaires de Bercy et ministres - rémunérés (notamment) par les Français modestes qui ne partent pas en vacances - et verse alors une petite larme. Il sait que la pression fiscale est forte, mais face à une telle urgence sociale - que lui seul est capable de comprendre - il sait qu'il faut choisir, sans prêter attention à ceux qui prennent des vacances durables loin du système fiscal français.

S'y trouve également une capacité admirable à prioriser, qui lui permet de réduire les déficits, rétablir la compétitivité avec le crédit d'impôt et redistribuer, tout à la fois.

J'ai reçu de nombreux mails et courriers d'électeurs de gauche qui me disent leur soutien et leur satisfaction de notre démarche. Car ils se sentent ainsi légitimes et entendus. En ce qui concerne le gouvernement, le président ou le parti, je sais qu'ils nous entendent, je sais qu'ils font leur maximum.

A nous de les aider à construire un rapport de force suffisamment efficace pour s'extraire des pesanteurs de la technostructure, de la pression des lobbys, afin qu'ils mettent ce sujet de la redistribution immédiate du pouvoir d'achat en tête des priorités.

Au fond de lui, le responsable socialiste se sent adulé par les foules. Non seulement a-t-il été élu, mais il reçoit en plus des lettres d'admiratrices en délire qui, grâce aux déclarations de quelques brillants hommes politiques, se sentent légitimes - et il aime ça, décréter ce qui est légitime ou ne l'est pas. C'est donc à lui de décider qu'il faut immédiatement redistribuer, et il compte bien y parvenir par tous les moyens, prenant en compte l'avis de tous les Français qu'il juge digne de sa considération, c'est-à-dire ceux qui pensent comme lui : électeurs de gauche, gouvernement, président, parti.

"Beaucoup de choses ont été faites. Je pense au blocage des loyers dans les grandes villes : cela a un effet immédiat sur le pouvoir d'achat. Pas plus tard qu'aujourd'hui, le gouvernement a proposé un projet de loi bancaire qui luttera contre les interdits bancaires et contre les pénalités que les banques imposent aux personnes en difficulté financière.

Je pourrais citer beaucoup d'autres exemples, comme la discussion actuelle par les partenaires sociaux, que le gouvernement soutient, qui propose de rendre obligatoire le fait d'avoir une mutuelle de salariés, ce qui est loin d'être le cas.

Tout cela, ce sont des régulations au marché. Alors, bien sûr, quand on est au pouvoir, on est confronté à un certain nombre de réalités, on est confronté aux rapports de force qui existent dans la société et qui sont favorables aux mécanismes de marché. Il faut avoir "du ventre" pour tenir bon. Regardez l'histoire de la nationalisation temporaire : hier, tout le monde considérait cela comme archaïque, aujourd'hui, tout le monde convient que c'est un outil utile. Même si, bien sûr, l'opportunité de son utilisation fait encore débat.

Mais contrairement au passé, où certains de ses prédécesseurs ont dit : "Face au chômage, on a tout essayé", je vois un gouvernement qui a entamé le redressement productif, même si, bien sûr, jour après jour, il faut l'appuyer dans ses combats et ses décisions.

Mais n'oublions pas, tout de même, que pour redistribuer du pouvoir d'achat, il faut produire. Or, ce sont les entreprises qui le font. Il faut donc leur permettre de le faire dans de bonnes conditions. Cela signifie aussi qu'il ne saurait y avoir de compétitivité sans un juste équilibre entre logique de marché et demande sociale légitime."

Savoir jongler entre logique de marché et demande sociale légitime, c'est tout un art. En l’occurrence, notre cher responsable socialiste a récemment laissé tomber le marché, mais il compte bien le ramasser pour le jeter en l'air à nouveau grâce à son désormais célèbre numéro du redressement productif.

"moi-même, qui suis un analyste de la vie politique, expert des questions d'opinion, je peux partager un tel constat. Mais ce qui nous différencie, c'est que je ne suis pas simplement dans le commentaire. Je suis un homme d'action, un militant politique, et si je me suis engagé dans cette voie, à gauche, c'est que je veux que les inégalités sociales régressent et que le champ des possibles s'élargisse pour ceux qui subissent davantage de domination.

Cela signifie que je suis soucieux du destin des catégories populaires. Lutter contre l'injustice sociale fait partie des éléments identitaires de la gauche. C'est pourquoi, même si, comme d'aucuns l'ont théorisé, on pourrait envisager un PS réduit aux fonctionnaires, aux habitants des centres urbains, aux jeunes et aux minorités, moi, je ne m'y résous pas. C'est le sens du combat de la gauche populaire et de la quinzaine de parlementaires qui ont signé avec nous cet appel, parmi lesquels mes amis Philippe Doucet et Laurent Baumel."

François Kalfon a beau défendre des idées d'un autre temps et vouloir remplacer une inexistante domination des catégories populaires par une domination coercitive par tous de l'Etat, il parvient à avoir des amis : il n'hésite pas à citer ses amis députés, des hommes d'action qui s'engagent très tôt en politique parce que l'action, c'est bien, mais de loin, c'est mieux.

"Vous savez, si on cherche l'équation chimiquement pure, me semble-t-il qu'on s'éloigne de la politique et de la volonté de rassemblement. Si François Hollande a gagné, c'est qu'après la fracture sur le traité constitutionnel européen que le PS a vécue, nous avons su dépasser ce clivage et nous rassembler sur une ligne de réorientation de la construction européenne.

C'est la thématique du juste échange. C'est le combat pour la réorientation de la construction européenne, pour la réorientation du budget européen en faveur de l'industrie. Bref, pour la fin d'une vision univoque de la concurrence libre et non faussée."

Il faut bien l'admettre, il est un idéologue, mais ne se bat pas pour des idées : le député Kalfon sait faire preuve de pragmatisme. Mieux vaut, pour un responsable socialiste, être élu sans idées qu'avoir de bonnes idées qui ne seront jamais appliquées. Il sait aussi parler pour ne rien dire ou dire des choses un peu idiotes, mais toujours avec de jolis mots. Qui pourrait deviner que "la fin d'une vision univoque de la concurrence libre et non faussée", c'est le retour au protectionnisme ?

"Le "produire français", on pourrait même dire le "produire européen", a le vent en poupe. A nous d'identifier les filières d'excellence européennes : les énergies vertes, l'économie créative, les grandes infrastructures de transport, qui ne sont pas soumises à la concurrence des pays à bas coûts. A nous aussi de sortir de la naïveté de la Commission européenne, qui, au lieu de construire des champions européens, a préféré traquer de façon maladive les "ententes" et fluidifier de façon névrotique les mécanismes de marché là où nos concurrents asiatiques et américains consolidaient leurs champions et protégeaient leurs marchés."

Il faut parfois savoir se voiler complètement la face pour rester serein quand on propose d'investir des secteurs non porteurs. Les énergies vertes, youpi ! Vive l'économie créative ! Hip hip hip, hourra pour les grandes infrastructures de transport ! Et surtout, protectionnons-nous, pour que les emplois que ces secteurs ne créeront pas ne soient pas délocalisés. Grâce à des idées mauvaises mais vendeuses, le made in France et le made in Europe ont le vent en poupe comme jamais.

Le socialiste Kalfon a beau avoir beaucoup de choses en tête, il ne semble pas avoir beaucoup d'idées susceptibles d'améliorer le quotidien des Français. Il vaut mieux se tourner vers des solutions plus radicales, qui auraient un effet immédiat : exproprier Gérard Depardieu ; harmoniser la fiscalité partout en Europe et, ne lésinons pas, dans le monde ; créer un impôt sur la nationalité pour que chaque Français, où qu'il soit dans le monde, verse à vie une rançon à l'Etat pour avoir le droit d'exister. Et, pourquoi pas, un peu d'économie sociale et solidaire ?

Les Français auraient tort de se plaindre. La crise qu'ils traversent et qui s'aggrave de jour en jour ne semble pas les atteindre : alors que la réduction du périmètre de l'Etat serait nécessaire, ils s'offrent les pitres les plus chers du monde, ont le panache de recourir à plusieurs troupes à la fois et la générosité de leur épargner une imposition et des contrôles qui, bien que justes, leur enlèveraient sans doute un peu de leur bonne humeur.


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