Magazine Culture

Morceaux choisis - Jean de la Croix

Par Claude_amstutz

Novice-2-9f97f.jpg

Non, jamais, pour toute beauté,
Jamais je ne me perdrai,
Mais pour un je ne sais quoi
Que l'on vient d'aventure à trouver.
 
La saveur d'un bien qui doit finir,
A quoi donc peut-elle atteindre?
A lasser tout au plus le désir
Et à gâter le palais.
Et ainsi, pour toute la douceur
Jamais je ne me perdrai,
Mais pour un je ne sais quoi
 Que l'on vient d'aventure à trouver.
 
Jamais pour un coeur de bonne race,
Il n'est souci d'arrêter
Quand il peut encore passer outre,
Si ce n'est au plus ardu;
Rien ne lui peut apaiser sa faim,
Et sa foi monte si haut
Qu'il goûte un je ne sais quoi
 Que l'on vient d'aventure à trouver.
 
Celui qui pour l'amour a douleur,
Epris de l'être de Dieu,
En voit tellement changé son goût
Qu'à tous les goûts il défaille;
Pareil au fiévreux qui, consumé,
Dégoûté de tous les mets,
Désire un je ne sais quoi
Que l'on vient d'aventure à trouver.
 
Pour ne doit vous laisser étonné
Ce goût tellement changé,
Parce qu'à tout le reste étrangère
Est la cause d'un tel mal.
Ainsi se voit-il à toutes choses
Devenu comme étranger,
Et goûte un je ne sais quoi
Que l'on vient d'aventure à trouver.
 
Puisque, épris de son vouloir
De la beauté de Dieu lui-même,
Rien ne le peut désormais payer
Sinon la beauté de Dieu;
Mais puisqu'une telle beauté
En foi seule se voit,
Il la goûte au sein d'un je ne sais quoi
Que l'on vient d'aventure à trouver.
 
Pour un tel amoureux, dites-moi,
Peut-il y avoir douleur,
Puisqu'il ne connaît plus la saveur
De tout ce qui est créé?
Seul alors, sans forme et sans image,
Sans trouver fonds ni appui,
Il goûte un je ne sais quoi
Que l'on vient d'aventure à trouver.
 
Sachez qu'au cellier secret de l'âme
Dont le prix est bien plus grand,
Joie et liesse ne naissent plus
Des saveurs de cette terre;
Mais au-dessus de toute beauté,
De ce qui est, sera ou fût,
D'en Haut il goûte un je ne sais quoi
Que l'on vient d'aventure à trouver.
 
Celui qui se veut avantager,
Qu'il mette tout son souci
En ce qui reste à gagner encore,
Plutôt qu'au gain déjà fait.
Et ainsi, pour atteindre plus haut,
Plus que tout, préférerais-je
Toujours un je ne sais quoi
Que l'on vient d'aventure à trouver.
 
Pour tout ce que le sens ici-bas
En ses prises peut saisir,
Et pour tout ce qui se peut entendre,
Si sublime que ce soit,
Pour nulle grâce ni beauté,
Jamais je ne me perdrai,
Mais pour un je ne sais quoi
Que l'on vient d'aventure à trouver. 
 

Jean de la Croix, Oeuvres spirituelles (Seuil, 1999)

image: Carmel de Chambéry, France

http://www.carmel.asso.fr/Chambery.html


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Claude_amstutz 25354 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines