Non, jamais, pour toute beauté,Jamais je ne me perdrai,Mais pour un je ne sais quoiQue l'on vient d'aventure à trouver. La saveur d'un bien qui doit finir,A quoi donc peut-elle atteindre?A lasser tout au plus le désirEt à gâter le palais.Et ainsi, pour toute la douceurJamais je ne me perdrai,Mais pour un je ne sais quoi Que l'on vient d'aventure à trouver. Jamais pour un coeur de bonne race,Il n'est souci d'arrêterQuand il peut encore passer outre,Si ce n'est au plus ardu;Rien ne lui peut apaiser sa faim,Et sa foi monte si hautQu'il goûte un je ne sais quoi Que l'on vient d'aventure à trouver. Celui qui pour l'amour a douleur,Epris de l'être de Dieu,En voit tellement changé son goûtQu'à tous les goûts il défaille;Pareil au fiévreux qui, consumé,Dégoûté de tous les mets,Désire un je ne sais quoiQue l'on vient d'aventure à trouver. Pour ne doit vous laisser étonnéCe goût tellement changé,Parce qu'à tout le reste étrangèreEst la cause d'un tel mal.Ainsi se voit-il à toutes chosesDevenu comme étranger,Et goûte un je ne sais quoiQue l'on vient d'aventure à trouver. Puisque, épris de son vouloirDe la beauté de Dieu lui-même,Rien ne le peut désormais payerSinon la beauté de Dieu;Mais puisqu'une telle beautéEn foi seule se voit,Il la goûte au sein d'un je ne sais quoiQue l'on vient d'aventure à trouver. Pour un tel amoureux, dites-moi,Peut-il y avoir douleur,Puisqu'il ne connaît plus la saveurDe tout ce qui est créé?Seul alors, sans forme et sans image,Sans trouver fonds ni appui,Il goûte un je ne sais quoiQue l'on vient d'aventure à trouver. Sachez qu'au cellier secret de l'âmeDont le prix est bien plus grand,Joie et liesse ne naissent plusDes saveurs de cette terre;Mais au-dessus de toute beauté,De ce qui est, sera ou fût,D'en Haut il goûte un je ne sais quoiQue l'on vient d'aventure à trouver. Celui qui se veut avantager,Qu'il mette tout son souciEn ce qui reste à gagner encore,Plutôt qu'au gain déjà fait.Et ainsi, pour atteindre plus haut,Plus que tout, préférerais-jeToujours un je ne sais quoiQue l'on vient d'aventure à trouver. Pour tout ce que le sens ici-basEn ses prises peut saisir,Et pour tout ce qui se peut entendre,Si sublime que ce soit,Pour nulle grâce ni beauté,Jamais je ne me perdrai,Mais pour un je ne sais quoiQue l'on vient d'aventure à trouver.
Jean de la Croix, Oeuvres spirituelles (Seuil, 1999)
image: Carmel de Chambéry, France
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