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Qui a écrit l'histoire algérienne de François Hollande ?

Par Mbertrand @MIKL_Bertrand

Le 20 décembre 2012, le président de la République française François Hollande a prononcé un discours important devant le Parlement algérien. Après la loi du 23 février 2005 proposant que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord » (article 4, alinéa 2), puis les atermoiements de Nicolas Sarkozy jouant régulièrement entre refus de la repentance et déclarations électoralistes, le chef d'Etat était attendu de pied ferme en territoire algérien.

Sa déclaration était d'autant plus attendue que l'ancien premier secrétaire du Parti Socialiste, puis  candidat à la présidentielle, avait multiplié les gestes d'apaisement dans ce conflit des mémoires qui mine les relations franco-algériennes depuis plusieurs décennies. En 2006,  il avait notamment déclaré au journaliste Edwy Plenel : "S’il faut que, sur 1956 et les pouvoirs spéciaux, je sois plus explicite, je le fais ici, au nom du Parti socialiste aujourd’hui. Nous sommes comptables du passé et responsables de l’avenir. La SFIO a perdu son âme dans la guerre d’Algérie. Elle a ses justifications mais nous devons encore des excuses au peuple algérien".

Le lendemain de sa victoire aux primaires socialistes, le candidat officiel du Parti Socialiste s'était également rendu à une cérémonie de commémoration du 17 octobre 1961.

D'aucuns ont pensé que cette posture du candidat engagerait les actes du Président. La réponse de l'intéressé au JT de France 2 fut cinglante et étrange d'un point de vue politique : "Moi, je suis président de la République, j'engage la France, je n'engage pas un parti". D'un côté, on comprend que le chef de l'Etat rappelle sa mission de représentant de la Nation, et non pas seulement d'un parti ; d'un autre côté, on s'étonne cependant que l'élu affirme aussi directement que les postures adoptées par l'homme durant sa carrière et sa campagne électorale ne l'engagent pas en tant que président de la République. 

C'est dans ce contexte que François Hollande est monté à la tribune du Parlement algérien pour se poser cette question : "Sommes-nous capables d’écrire ensemble une nouvelle page de notre histoire ?".

Et de continuer en réponse à cette question rhétorique : "Cette vérité, nous la devons à tous ceux qui par leur histoire, par leur histoire douloureuse, blessés, veulent ouvrir une nouvelle page (...) Et la vérité je vais la dire ici, devant vous". 

A ce stade introductif, la plupart des historiens ont déjà décroché : ainsi, François Hollande détiendrait LA vérité ! Non pas une vérité, non pas sa vérité, mais bien LA vérité ! A l'exception de quelques collègues ayant séché les cours d'épistémologie de l'histoire, rares seront ceux qui oseront assumer un ton aussi péremptoire. Voilà Kant, Hegel et Thomas Kuhn balayés d'un coup. Visiblement, l'Histoire de France pour les Nuls  que lisait assidument le premier secrétaire du Parti Socialiste ne contenait pas cette célèbre citation de Maurice Sartre : « La vérité en histoire, dont on conviendra aisément qu’elle relève de l’utopie ».

Le ton utilisé par le chef d'Etat a au moins le mérite de créer un horizon d'attente insoutenable et de maintenir en haleine un auditoire ainsi préparé à une déclaration fracassante : "Pendant 132 ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal, ce système a un nom, c’est la colonisation, et je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien. Parmi ces souffrances, il y a eu les massacres de Sétif, de Guelma, de Kherrata, qui, je sais, demeurent ancrés dans la conscience des Algériens, mais aussi des Français. Parce qu’à Sétif, le 8 mai 1945, le jour même où le monde triomphait de la barbarie, la France manquait à ses valeurs universelles. La vérité, elle doit être dite aussi sur les circonstances dans lesquelles l’Algérie s’est délivrée du système colonial, sur cette guerre qui, longtemps, n’a pas dit son nom en France, la guerre d’Algérie".

Et de continuer par un "voilà", comme s'il venait d'accomplir une oeuvre titanesque, comme s'il venait, en quelques phrases, de débloquer des décennies d'affrontement mémoriel entre les deux pays.

Nous ne savons pas vraiment ce qu'en ont pensé les Algériens, mais l'effet stylistique a très bien fonctionné auprès des journalistes français qui n'ont cessé depuis de répéter en boucle ces quelques mots qui, selon des sources algériennes, porterait "la touche de Benjamin Stora", longuement reçu à l'Elysée. Si tel est vraiment le cas, l'intéressé ne manque pas d'humour car il a déclaré lors d'une interview que l'essentiel à retenir de la visite de François Hollande en Algérie "sera la qualité du discours" !

Un portrait dans Paris-Match confirme que Benjamin Stora mérite l'appelation d'"historien du président", bien qu'il semble entretenir une relation plus distante que celle qu'occupait Henri Guaino avec Nicolas Sarkozy. S'il faisait bien partie des invités de la délégation officielle accompagnant François Hollande, son influence est apparemment restée minime dans le cadre de cette visite où l'histoire a finalement été réduite à un stade symbolique. On aurait pourtant été en droit d'attendre des négociations utiles sur l'accès aux archives et une coopération intellectuelle portée par le discours présidentiel. Visiblement, le sujet était trop compliqué à caser entre les négociations économiques de la RATP et celles de France Telecom...


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