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Lana Del Rey, la pin-up Instagram

Publié le 07 janvier 2013 par Albumsono

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La féminité sublimée par une série de filtres. Si le succès fulgurant de Lana Del Rey depuis l’apparition à l’été 2011 du titre « Video Games » en rappelle un autre, c’est bien celui de l’application photo Instagram. La chanteuse joue du même brouillage des codes temporels, ajoutant une touche de glamour et d’esthétisme à un univers pop pour le reste marqué par la dance des années 1990. À l’inverse de l’hédonisme parfois terre à terre de ses pairs, Elizabeth Grant de son vrai nom a opté pour une mélancolie légère. « Il est toujours plus intéressant d’aller où les autres ne sont pas », confiait-elle récemment au GQ britannique. Portée par le timbre grave de sa voix, sa musique intègre des orchestrations classiques, avec beaucoup de cordes, à des productions minimalistes en partie inspirées du hip-hop. Lèvres pulpeuses, brushing, longs cils… son look rétro rappelle les pin-up des années 1950 altérées d’une dose d’érotisme white trash toute ­contemporaine.


Nostalgie, romantisme, modernité, schizophrénie… L’univers de Lana Del Rey trouve sa plus parfaite incarnation dans le clip du morceau « National Anthem », mis en ligne cet été. La chanteuse s’y attaque à deux personnalités du tournant des années 1960. Elle interprète d’abord une Marilyn Monroe brune chantant « Happy birthday to you Mr President » dans un beau noir et blanc, plagiant l’esthétique télé de l’époque, puis Jackie Kennedy, le jour de l’assassinat de son mari à Dallas. La mise en scène, et ses couleurs saturées, copie alors le grain des films amateurs, et évidemment celui de Zapruder, le cinéaste amateur captant la fameuse scène. La maman et la putain. La fin de l’innocence. La volonté de l’Américaine de s’élever au rang d’icône n’a jamais été plus limpide. Musicalement comme visuellement, Lana Del Rey se réapproprie les archétypes du passé en tentant de leur apporter une touche de modernité. Car ici, le président, incarné par le rappeur A$AP Rocky, est noir, tel un Barack Obama projeté cinquante ans en arrière. Un paradoxe chronologique éclatant sur lequel ­l’Américaine a fondé une partie de son identité.
La nostalgie récréative

Pour incarner cet être mutant – une « Nancy Sinatra gangsta », elle a aussi le sens de la formule –, Elizabeth Grant, 26 ans, née à New York dans une famille de la classe moyenne, s’est inventée un alter ego : Lana Del Ray, vite devenue Lana Del Rey. Soit l’union improbable de l’actrice Lana Turner (Les Ensorcelés), symbole du glamour de l’âge d’or hollywoodien, et de la Chevrolet Delray des années 1950. Cette identité imaginaire a permis de transformer en l’espace d’une décennie une banale chanteuse folk en star globalisée. Déchaînant au passage les commentaires et les passions. « Lana Del Rey a quelque chose de fantasmatique, mais ce n’est pas un personnage, raconte à GQ Larry Jackson, qui a fait signer l’­artiste chez Interscope/Polydor l’an passé. Son œuvre est simplement le reflet de diverses facettes de sa personnalité. Rien n’est ­artificiel, c’est vraiment elle, recomposée autour de thèmes, de choses universelles dans lesquelles tout le monde peut se reconnaître. »

Tous les thèmes traités dans son premier album Born To Die, écoulé à plus de deux millions d’exemplaires dans le monde, sont directement inspirés d’expériences personnelles : amours perdues, adolescence à la dérive, vie d’excès… « Cela fait neuf ans que je n’ai pas touché un verre, confie aujourd’hui la chanteuse. À cause de mon problème d’alcoolisme, j’ai été envoyé en internat dans le Connecticut à l’âge de 14 ans. Je buvais beaucoup à l’époque. Tous les jours. Seule. Je pensais que c’était cool. Une grande partie de mes textes pour l’album Born To Die est inspirée par ces années un peu sauvages. Quand je parle de la personne que j’aime, souvent, je pense à New York. Quand j’aborde les choses que j’ai perdues, j’ai l’alcool en tête parce que c’était le premier amour de ma vie. »

La nostalgie de Lana Del Rey ne doit pas être prise au pied de la lettre. C’est une recréation factice. Un refuge face à un futur qui nous effraie et un présent pas toujours accommodant. « Plus jeune, j’étais obnubilée par mon désir de ne pas travailler dans un bureau, de ne pas faire une chose en laquelle je ne crois pas », se souvient-elle. Marilyn Monroe et David Bowie apprendront à Elizabeth Grant à transformer sa propre vie en art, à sublimer ses souffrances et les êtres chers emportés trop vite. Se réinventer en Lana Del Rey, donc. Fille de mauvaise vie, reine de beauté dégénérée mais aussi ange de douceur repenti. Le rêve américain et son envers. Le recueil de toutes les obsessions de la chanteuse pour « Nancy Sinatra, David Lynch et les films noirs », comme elle le racontera à Larry Jackson lors de leur première rencontre, mais aussi de pas mal de nos fantasmes.

La créature érotique

Objet follement érotique (cf. les doigts enfoncés dans la bouche pour le clip de « Blue Jeans »), Lana Del Rey divise le grand public. Adorée par les uns, honnie par les autres. Plus que toutes les autres chanteuses de sa génération, la voilà victime de toutes les suppositions imaginables. Son imagerie est détournée à foison, et souvent avec humour (le mème « lama Del Rey »…). On fétichise ses lèvres, sa moue boudeuse que l’on dit refaite malgré ses dénégations. On lui prête un père millionnaire à qui elle devrait toute sa carrière, un premier disque jusqu’ici non reconnu sous l’alias May Jailer. On l’accuse de multiples plagiats musicaux ou d’avoir plaqué son style sur celui de Camilla Rhodes, personnage, fantasmatique lui aussi, du Mulholland Drive (2001) de David Lynch. On avance pour finir qu’elle serait la créature factice de managers peu scrupuleux qui essaient de nous revendre une fausse authenticité à peu de frais. Qu’elle n’écrirait pas une ligne des textes de ses chansons.


Pourtant, ceux qui ont côtoyé Elizabeth Grant il y a quelques années ont tous le souvenir d’une jeune femme immensément douée. C’est le cas de David Kahne, producteur américain qui a collaboré avec Paul McCartney ou New Order. En 2008, il travaille sur l’album Lana Del Ray A.K.A. Lizzy Grant qui verra brièvement le jour deux ans plus tard avant d’être retiré des ventes, puis racheté l’an passé par le nouveau label de la chanteuse. « Quand je vois Lana Del Rey aujourd’hui, indique-t-il, je revois Elizabeth Grant. Je retrouve les mêmes ­vibrations, la même approche. Elle avait déjà cette obsession pour les années 1950 et 1960. Seul le nom a changé. » Entre-temps, Elizabeth Grant a mûri son univers, donnant davantage de cohérence à son alter ego jusqu’à ce que celui-ci trouve enfin son public.

Une égérie fatale

Au-delà de la musique, Lana Del Rey est une image à la mode entourée d’une aura mystérieuse. Les marques ne s’y sont pas trompées, qui se réapproprient à leur tour son univers esthétique. Cet automne, la chanteuse est ainsi l’égérie de Jaguar (« pour son mélange de modernité et d’authenticité ») et de H & M (« moderne, féminine et L.A. noir »). Pour son spot de pub, la marque suédoise a même proposé à la pop star de reprendre « Blue Velvet »,  la chanson-titre du film de David Lynch. Renvoyant une nouvelle fois Lana Del Rey à un horizon fictionnel dans lequel la vraie personnalité d’Elizabeth Grant avance masquée. Ingénue ? Génie pop ? Plus elle se dévoile, plus elle nous résiste. Car chaque nouvelle page vient brouiller le tableau d’­ensemble. Pour parachever son statut d’icône, ne reste plus à Lana Del Rey qu’à conquérir le grand écran. Se fondre dans tous les personnages. Notons que la chanteuse, qui travaillerait ces jours-ci sur une bande originale de film, a déjà par le passé joué les ­comédiennes.

En 2010, Elizabeth Grant tenait ainsi un petit rôle dans le court métrage Poolside de l’Américain Aaron C. Peer, diffusé dans plusieurs festivals cet été. « Elle m’a aidé à créer son personnage, notamment au niveau de la diction et de son jeu », raconte le jeune réalisateur, qui l’a choisie parce qu’assise au bord de la piscine, elle symbolisait parfaitement selon lui la saison d’été. Cigarette à la main, regard profond, air faussement distant… Elizabeth Grant apporte dans ce film une touche de ­fraîcheur et de modernité à la figure de la femme fatale. ­Décidément son meilleur rôle.

KidB

(Article initialement paru
dans le GQ #57 Novembre 2012)


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