Magazine Société

"Les couleurs de l'hirondelle" de Marius Daniel Popescu

Publié le 08 janvier 2013 par Francisrichard @francisrichard

Le 3 décembre 2012 donc, je me retrouve à Lausanne, place du Tunnel, à faire des libations d'humagne rouge avec cinq autres personnes au Lausanne-Moudon.

Deux d'entre elles sont des jeunes femmes séduisantes, qui ont interprété des oeuvres de Louise Anne Bouchard dans le cadre de la soirée littéraire captivante qui a précédé.

Les trois autres sont, pour ces deux jeunes femmes, des hommes séduisants - je suis le vilain petit canard (il en faut bien un):

Giuseppe Merrone, l'éditeur de Léman noir, Miguel, l'animateur de Tulalu et Marius Daniel Popescu, l'écrivain, le rédacteur en chef du journal littéraire Persil et... le séducteur, mon vis-à-vis, en diagonale.

De ce dernier, à ma grande honte, je n'ai encore rien lu, hormis une nouvelle dans le recueil Du coeur à l'ouvrage... Mais j'ai lu parler de lui par Jean-Louis Kuffer dans Chemins de traverse et par Louise Anne Bouchard justement, dans  L'effet Popescu.

Il fallait combler cette lacune. C'est aujourd'hui chose faite.

Les couleurs de l'hirondelle ont les couleurs de l'autobiographie, sans l'être. Il ne s'agit pas non plus d'autofiction. Il s'agit d'impressions, développées à partir de notes prises dans un carnet, de scènes de genre aux couleurs du temps (où apparaissent parfois des écriteaux de toutes sortes qu'on ne lit plus mais que l'auteur relève), de souvenirs personnels de son enfance, de sa vie d'homme et de père, qui émaillent le récit.

Tout au long du livre, reviennent, comme des refrains, des pages sur la mort de la mère du narrateur et sur ses funérailles, sur la naissance d'une de ses deux filles, sur son pays d'origine, avant et après la dictature du parti unique, dont le grand chef était le maître incontesté des vies civile et militaire du pays.

La mère du narrateur a été retrouvée morte dans son appartement au bout de quelque temps. Il a pris l'avion aussitôt pour se rendre depuis son pays de résidence, la Suisse, dans son pays d'origine après avoir appris la nouvelle du décès.

Il s'est retrouvé devant la dépouille nue, à la peau noircie, de sa mère à la morgue. Il doit alors corrompre le personnel pour qu'il s'occupe de la mise en bière... Il ne sera cependant pas possible de l'habiller, ni de la contempler à l'église et le cercueil se refermera pour l'éternité sans que sa tête ne repose sur un coussin.

Le narrateur nous raconte l'accouchement de sa femme. Alors que le médecin veut lui faire une césarienne parce que l'enfant tarde à paraître, il prend les choses en mains et sa femme ne subit qu'une épisiotomie. Dès lors il va beaucoup s'occuper de sa fille:

"Tu prenais conscience que tu étais devenu responsable de ta petite, tu pensais à toute ton enfance et tu te disais "dès maintenant ma vie sera dédiée à ma fille"."

Comme cet extrait en est l'illustration, le récit se fait la plupart du temps à la deuxième personne du singulier, ce qui est singulier parce que le narrateur s'adresse à lui-même. De la sorte, il se distancie de lui-même, mais bien moins que s'il parlait de lui à la troisième personne, évitant par là-même la prétention qui va de pair avec ce procédé-là.

De vivre dans un pays tout en étant originaire d'un autre lui ouvre les frontières. S'adressant à un autre Roumain, qui pourrait bien être son double, il lui dit:

"A cause de toi, j'ai pris l'habitude de prendre les gens pour des pays et les pays pour des gens. Tu es un pays invisible qui connaît tous les autres pays, tu connais les pays des gens et les gens des pays."

Il aime la langue française et se livre à des digressions littéraires à partir d'elle, car, en fait, les mots ne sont pas des mots, enfin, pas seulement:

"L'ordre des lettres dans un mot, les mots ordonnés dans la phrase, la langue française fran-çaise ançaise prend des bains de soleil, toute nue elle se prélasse sur la plage, tu t'approches d'elle, tu la i:

"i huile bacille vermeille

navigable une corbeille

excentrer la lampe plaisir

dire et dire exergue à lire

i idiot i i i i i i

i  i  i i i i i i i i

indien i i i i i i

i i i i i indisposer

i i i i indemnité i "."

Marius Daniel Popescu écrit le plus souvent des phrases courtes où le sujet et le verbe occupent la première place. Cela donne un effet similaire au pointillisme en peinture ou au pixel en photographie numérique:

Ce sont toutes ces phrases toutes simples, mises bout à bout, qui fournissent sa représentation à l'esprit, pour le plus grand bonheur du lecteur, ravi que l'esquisse, peu à peu, prenne forme, le plus souvent telle qu'il ne l'imaginait pas.

Francis Richard

Les couleurs de l'hirondelle, Marius Daniel Popescu, 204 pages, José Corti


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Francisrichard 12008 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazine