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«Les austéritaires ?... Il faut les fusiller»

Publié le 09 janvier 2013 par Charlesf

Extraordinaire: l'austérité est une erreur mathématique !

jean luc godard,austérité

"(...) Les ignares vous saluent bien, mais les dévots de l’austérité n’ont pas rendu les armes. L’histoire de l’équation commence à cheminer, on en a parlé dans le journal de France 2 hier soir, l’Humanité l’a évoquée, le Washington Post aussi, mais elle ne fait pas encore la une. C’est qu’on ne renonce pas d’un jour à l’autre à une idéologie. Même vermoulus les murs de Berlin ne s’affaissent pas d’un jour à l’autre." Hubert Huertas 

   France Culture 7h37, France Musique 8h06, twitter : @huberthuertas

Ce qui n'est pas sans rapport avec cet interview de Jean Luc Godard devancant "LA" découverte du siècle et des précédents (par Stéphane Benoit-Godet et Myret Zaki, le 12 décembre 2012 dans "Bilan", un magazine économique suisse.)
C'est que le réalisateur Jean-Luc Godard possède un regard unique sur le capital et le monde de l’argent. Entretien.

«...»  Le cigare est allumé, moteur!
Bilan: Que pensez-vous des économistes?
Jean-Luc Godard: Les économistes? Il faut les fusiller. L’économie, oui cela m’intéresse. Adolescent, j’ai lu Marx, Ricardo et Althusser, le premier surtout pour ses qualités littéraires. En général, les économistes n’écrivent pas bien. Ils ne vont pas sur le terrain, comme je continue à le faire. Il y a un parallèle à faire avec l’industrie du cinéma, surtout Hollywood, et l’économie. Pour moi, la vraie économie comme le vrai cinéma, ce n’est pas ce qu’on voit aujourd’hui. Je préfère les ethnologues, les anthropologues.
B: Qu’est-ce que l’économie, pour vous?
JLG: Il y a peu de réalité derrière «l’économie» d’aujourd’hui, et beaucoup de façade. A l’époque de la Nouvelle Vague, le cinéma pour nous, c’était ce qui ne se voit pas. C’était des films, comme Le cuirassé «Potemkine», ou La femme au corbeau, qui ne passaient pas dans les salles. Aujourd’hui, tout est disponible pour tout le monde en DVD. Mais à l’époque les belles choses étaient en quelque sorte invisibles. Dans les livres, c’est pareil: aujourd’hui, nous n’avons que des livres à mettre dans les livres. Quand est-ce que la réalité sera dans les livres?
Les économistes ne prennent pas la parole au sens profond de Freud. Ils peignent la réalité d’une façon détériorée. Ceci est une chaise: mais ensuite, il faut Van Gogh pour peindre une chaise. Celui qui est au bout de la caméra peut faire dire ce qu’il veut à l’image qu’il filme.
Les scientifiques ne font pas comme les économistes. Ils prennent un microscope, regardent, et ensuite ils pensent. Les économistes ont une vision détériorée des choses. Contrairement aux scientifiques, ils ne regardent rien! Ce sont des gens de «lettres», pas de «l’être». «Etre» a disparu au profit d’«avoir». J’ai petit à petit vu les enjeux économiques.
B: La France va-t-elle si mal?
JLG: La France garde une aura. Car sa littérature et son rapport «son/images/mots» sont plus riches que ceux des Américains ou des Allemands, par exemple. En termes de puissance, la France équivaut désormais à, disons, le Guatemala. Mais sa littérature et sa poésie font que la France est plus intéressante.
B: Que devraient faire alors les économistes?
JLG: Ils auraient tout à apprendre de l’industrie du cinéma. Les Français ont ce mot quand ils parlent de société de production dans le cinéma. C’est une «maison de production». Personne n’imagine Universal dire cela, par exemple. «Maison», cela suppose beaucoup de choses: cela veut dire une porte, une famille qui y vit, un rez-de-chaussée, des étages supérieurs, une cave… Durant le temps d’un film, c’est toute une petite société, avec ses relations humaines, pécuniaires, professionnelles, sentimentales, sexuelles, qui se met à exister. Durant trois à quatre mois, ce microcosme offre un poste d’observation idéal. Puis, tout cela disparaît. C’est fascinant.
B: Les rapports sexuels, c’est obligatoire sur un tournage?
JLG: Si vous regardez les affiches de films il y a toujours une fille et un garçon, cela tourne toujours un peu autour de ça quand même.
B: Pour revenir aux économistes, vous êtes vraiment fâché avec eux?
JLG: Parfois, il y en a bien un qui peut dire des choses intéressantes comme Stiglitz mais c’est rare. Une fois, l’un d’eux a dit: «Ce qu’il faut, ce n’est pas avoir plus, c’est vouloir moins.» Et c’est vrai, il faut moins: d’argent, de vedettes, de paradis artificiels. Les gens réclament le «droit» d’être heureux. Mais où ont-ils conquis ce droit? On a le devoir de vivre, le devoir de manger. Il n’y a pas de droits d’auteur, que des devoirs. On confond être et avoir, tout comme droit et devoir. Un mendiant n’a pas le droit de mendier, il en a le devoir si c’est sa seule manière de vivre. Idem pour l’enfant qui naît, pas de droit mais un devoir de vivre. Nous n’avons que des devoirs.
B: Comment voudriez-vous voir les économistes parler?
JLG: Les économistes sont trop abstraits. Les démocraties modernes font de la pensée politique un domaine de pensée séparé. Cela prédispose au totalitarisme. De même, on ne peut pas parler d’«économie». Les «économistes», qui séparent l’économie de tout le reste, cela n’existe pas. Il y a des «emplois», mais il n’y a plus de travail. On dit qu’il faut «sauver l’emploi». Pourtant, il y a toujours des travailleurs, mais ce qui manque, c’est le travail physique, les possibilités de créer avec ses mains.
B: Vous êtes-vous frotté à une économie autre que celle du cinéma?
JLG: J’avais un cousin qui travaillait pour Paribas à l’époque. Je lui disais toujours, donne-moi de l’argent pour filmer les gens sur la place de la Concorde et tu comprendras tout de l’économie. Comment font-ils pour ne pas se télescoper par exemple? Cela reste un mystère. J’aurais pu amener des pistes de réflexion.
B: Cela n’a jamais abouti?
JLG: Un jour, le patron de Darty est venu me voir en me disant qu’il gagnait trop d’argent et qu’il ne savait plus qu’en faire. Je lui ai proposé de financer mon prochain film: j’ai donc fait Le Rapport Darty. Une manière différente de voir l’entreprise plutôt que ses gros rapports que personne ne lit. Il y en a plein les ministères, des rapports!
B: Qu’a-t-il pensé du film?
JLG: A la première vision, il était furieux. Ensuite, il l’a vu 60 fois et il m’a remercié de cela.
B: Imaginons: les banquiers suisses viennent vous voir en vous disant qu’ils ont besoin que vous leur donniez des pistes de réflexion et en gros de faire la place de la Concorde + Le Rapport Darty, vous dites quoi?
JLG: Je ne peux pas, je tourne avec Myret bientôt (rires). Non, pour eux, c’est trop tard. Cela ne les intéresse pas d’apprendre.
B: Et la Confédération, elle n’est pas venue vous voir pour redorer l’image de la Suisse?
JLG: Les Suisses, ils ne savent pas ce que c’est, l’image. Il n’y a pas de cinéma suisse. Ce n’est pas une école en la matière.
B: Et l’échec du communisme, vous qui étiez proche de ce mouvement, ça vous inspire quoi?
JLG: Ce n’est pas l’échec du communisme. C’est l’échec de salauds qu’on a pris pour des communistes! Tout comme il suffit de passer une heure avec Cohn-Bendit pour comprendre l’échec de l’Europe.
On assiste à une grande détérioration aussi du point de vue culturel: on ne filme plus pour découvrir, mais pour affirmer quelque chose. J’écoutais l’autre jour ce philosophe un peu stupide, Michel Serres, qui a écrit Petite Poucette: il a oublié en parlant des nouvelles technologies que les gens parlent d’icônes pour les portables, alors que le terme icône a une signification autrement plus sacrée! C’était de la peinture byzantine et regardez ce que le mot est devenu. L’un des premiers inventeurs de la télévision appelait son tube un iconoscope: cela voulait dire quelque chose, et il y avait une véritable ambition scientifique derrière.
B: Ce double sens du langage, vous le recherchez toujours?
JLG: Oui, prenez le titre de votre livre, Myret. On peut lire «la fin du dollar» mais entendre «la finalité du dollar», ou même «la faim du dollar», ce qui voudrait dire qu’il n’est justement pas fini.
B: Vous sentez venir un déclin irréversible pour notre civilisation?
JLG: Elle changera dans la mesure où les Chinois eux-mêmes se mettent à lutter maintenant contre la contrefaçon. Si c’est un péril pour eux, c’est bien que les choses changent.
On a plus peur aujourd’hui. Il y a un manque de courage et de liberté évident.
B: Parce qu’on pressent des changements?
JLG: Savez-vous que le cinéma a été inventé, initialement, en couleur et parlant? Mais le monde n’était pas prêt; c’était trop, pour ceux qui allaient voir, dans la salle de cinéma, le train entrer dans la gare de La Ciotat et sembler les percuter. En outre, on perçoit les choses en fonction de nos présupposés culturels. Les Russes, qui ont vu ce même film à l’époque, étaient persuadés d’avoir vu Anna Karénine se jeter sous les rails du train!
B: Cela signifie-t-il le primat de la littérature sur tout le reste?
JLG: Non, simplement la littérature avait fabriqué cette image dans leur tête. Cette dernière peut fabriquer de très belles images, il suffit de relire Rimbaud.
B: Est-il vrai que vous n’êtes pas allé à Cannes pour protester contre la crise grecque?
JLG: Je n’y suis pas allé, car je n’y ai plus jamais retrouvé le plaisir d’il y a cinquante ans.
B: Vous lisez les journaux?
JLG: Non, parfois Le Matin au bistro mais cela ne m’intéresse pas. Le Journal de Genève, le Courrier de Neuchâtel ou l’hebdomadaire Curieux me manquent. En France, je lis Le Canard enchaîné et Charlie Hebdo qui ne vivent pas de publicité. Et Libé. Mais ils parlent du chômage en première page et ils ont ces pubs, Gucci et Hermès en dernière page… De toute façon, l’actualité, ça n’existe pas. En tout cas plus dans le sens où ceux de ma génération suivaient le ciné-bref au cinéma.
B: Et les médias sociaux, comme Facebook, vous intéressent-ils?
JLG: Je ne sais pas ce que c’est.
B: Que pensez-vous des écartsde richesse?
JLG: Tous les gens qui acceptent d’avoir une voiture avec chauffeur ont une vie pitoyable.
B: Si je touche au Loto et je vous dis que mon rêve est de produire un de vos films, vous me dites quoi?
JLG: Je prends tout votre argent, je me réserve 10%, et je donne 90% à Amnesty International.
B: Combien coûte un film de Godard?
JLG: 300 000 euros, environ.
La vidéo intégrale de cet entretien est ici.

Un rappel : Depuis 2011 et suite à un certain nombre de réclamations de J-L. Godard a été mis en demeure de payer ses impôts en Suisse, alors qu'il s'en acquittait jusque-là en France.
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