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L’homme qui fait parler les morts

Publié le 09 janvier 2013 par Fredlafortune

Le docteur Philippe Charlier, dont l’équipe vient d’authentifier la tête d’Henri IV, n’en est pas à son coup d’essai. Portrait.

Philippe Charlier. Médecin légiste, anatomo-pathologiste et paléopathologiste, le 6 mars 2012 à Paris.Philippe Charlier. Médecin légiste, anatomo-pathologiste et paléopathologiste, le 6 mars 2012 à Paris. © Daniel FOURAY / PHOTOPQR/OUEST FRANCE/MaxpppPar 

Son bureau n’a rien à envier à la caverne d’Ali Baba. Pêle-mêle s’amoncellent ouvrages d’anthropologie, revues médicales et livres d’art. Aux murs, de somptueux masques primitifs rapportés d’Afriqueet d’Amérique latine. Un peu partout, des tubes en verre censés contenir les restes des aïeuls de Richard Ier d’Angleterre. Ce même Richard dont le coeur (de Lion !) repose dans une boîte à gâteaux dans un coin dudit bureau.

Philippe Charlier, 35 ans, n’est décidément pas un médecin comme les autres. Dans le milieu, on l’appelle souvent “le confesseur des morts” ou “le médecin des têtes couronnées”, mais les médias ont opté pour le plus mirifique “Indiana Jones des cimetières”. Si ces surnoms sont loin de lui déplaire, il préfère néanmoins se présenter comme “médecin légiste et archéo-anthropologue”. Sans toutefois s’interdire un brin d’humour sur Twitter, où l’on peut suivre les fascinantes découvertes de @doctroptard aux patients aussi célèbres qu’”Agnès Sorel, Diane de Poitiers, Henri IV, Louis XVI” et… “vous, bientôt” !

Henri IV

Dans son bric-à-brac de l’hôpital Raymond Poincaré de Garches, en région parisienne, celui qui vient d’authentifier la tête d’Henri IVsourit. Non pas qu’il pontifie sur ses récents résultats – ce n’est pas le genre -, mais du moins s’amuse-t-il de notre émerveillement. Les stars de l’histoire ? Des cas comme les autres, qu’il traite exactement comme ceux qu’il autopsie tous les matins. “Le principe est le même, assure-t-il. Faire parler les corps et en extraire le maximum de vérités.” Soit confirmer par la génétique le lien généalogique entre le Vert Galant et Louis XVI.

Retrouvée en 2008 après des années de pérégrination, la tête d’Henri IV, dont le tombeau fut pillé à Saint-Denis pendant la Terreur, fut analysée en 2010 par une équipe d’une vingtaine de spécialistes conduite par Charlier. Malheureusement, le prélèvement ADN, opéré au niveau du cou, ne suffit pas à authentifier tout à fait le crâne, même si celui-ci remplit, il est vrai, plus de vingt critères déterminants. Il faudra donc attendre un second prélèvement, réalisé cette fois-ci par fibroscopie, au fond de la gorge, près des cordes vocales, pour faire parler le roi préféré des Français.

À Barcelone, l’équipe du généticien Carles Laluela-Fox vient, quant à elle, de retrouver du sang de Louis XVI sur une gourde. L’occasion est trop belle pour ne pas être saisie : les deux équipes s’associent pour démontrer le lien entre leurs deux sujets, que sept générations séparent. “C’était formidable. Pendant quatre mois, on a travaillé main dans la main, quasiment du 24 heures sur 24. On s’envoyait des SMS jour et nuit, au fur et à mesure que tombaient les résultats”, se souvient le chercheur, visiblement ému. Lorsqu’on aborde les discrédits de l’historien Philippe Delorme et de l’expert en empreintes génétiques Olivier Pascal, Charlier ne se laisse pas démonter, loin de là : “Il ne s’agit en effet que d’un argument d’identification, puisque les autres avaient déjà été démontrés précédemment. Bref, sans mauvais jeu de mots, l’affaire est tranchée.”

Overdose… d’or

Il confie d’ailleurs ne jamais être déçu. Son métier, c’est d’identifier, pas d’authentifier à tous les coups. En 2007, lorsque les restes supposés de Jeanne d’Arc s’avèrent être de fausses côtes humaines et félines, contenant même quelques fragments égyptiens, il ne le considère absolument pas comme un échec. Bien au contraire. “Qu’y a-t-il de plus passionnant que de comprendre comment de fausses reliques ont pu être fabriquées ? De toute façon, qu’aurait-on appris de plus sur Jeanne d’Arc ? C’est la mort la mieux documentée de tout le XVe siècle…”

Le médecin a beau rester de marbre devant ses cadavres, il prend tout de même beaucoup de plaisir à raconter, non point la grande, mais la petite histoire. Celle d’Agnès Sorel, favorite de Charles VII, qui aurait été empoisonnée au mercure, celle aussi de Diane de Poitiers, qui aurait succombé à une overdose… d’or, qu’elle absorbait tous les matins en bouillon, pour essayer de rester jeune. Ce qui porta sans doute ses fruits, puisque, quand elle mourut à l’âge de 66 ans, les chroniques de l’époque vantaient encore son beau teint.

Paris au scalpel

Pour autant, l’insatiable chercheur ne cherche pas à faire le buzz, à créer des coups médiatiques. Il confie même, au risque de décevoir, que la mort ne le passionne pas du tout. C’est tout ce qu’elle peut nous apprendre qu’il recherche, tout ce qui peut être utile aux vivants, à la famille, à la curiosité scientifique de bon goût… Tout petit déjà, il est bercé par L’Iliade et adore creuser des trous pour y trouver toutes sortes d’objets. Son père est médecin de campagne, sa mère pharmacienne, et Philippe Charlier sait déjà qu’il devra concilier médecine, archéologie et anthropologie pour être pleinement comblé. C’est ce qu’il fait, bien sûr, aujourd’hui au quotidien, mais aussi dans ses publications.

Sorti en septembre 2012, Autopsie de l’art premier (Éditions du Rocher) est un véritable ovni. Où l’on découvre son engouement pour les masques primitifs. Et, accessoirement, sa petite déformation professionnelle… “Tous ces masques que je collectionne sont porteurs de maladies. Et comme les corps ne sont plus là, ce sont eux qui parlent pour eux. Pour moi, ce sont des patients comme les autres, qui nous permettent de mieux connaître l’origine de certaines pathologies, l’histoire de certaines pratiques chirurgicales, l’évolution d’un virus. C’est absolument passionnant.”

En ce moment, confie-t-il, il termine des recherches sur le fameux coeur de Richard Coeur de Lion. Tout en terminant sa troisième thèse – sur le statut du corps mort – et en assurant la promo de son dernier livre paru en décembre, Paris au scalpel (Éditions du Rocher). Un guide de la capitale ? s’étonne-t-on. Oui, mais pas n’importe lequel. Pendant ses études de médecine, Philippe Charlier a arpenté Paris à pied dans tous les sens, pour rabâcher ses cours. C’est ainsi qu’il a connu tous ces lieux qui permettent de redécouvrir, et plus souvent de découvrir, la ville sous un angle médical. Sur son bureau, non loin du coeur de Richard, trône l’album de Théodore, Paul et Gabriel, étoiles montantes de la scène folk française. Il avoue être fan et l’écouter en boucle en autopsiant. Qui sait, Henri IV y a peut-être aussi eu droit…


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