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Flexibilité: ce que le MEDEF a vraiment gagné.

Publié le 14 janvier 2013 par Juan
Flexibilité: ce que le MEDEF a vraiment gagné. Il fallait bien le commenter, ce fameux accord sur l'emploi intervenu entre le MEDEF et trois syndicats de salariés tard dans la soirée de vendredi, ce 11 janvier 2013. Deux autres syndicats et pas des moindres, restaient fermement opposés.
Voici donc notre interprétation de cet accord, une modeste contribution à éclaircir ce débat qui promet d'être long.
1. La démarche était nécessaire, une négociation entre les partenaires sociaux, c'est-à-dire entre le patronat et les syndicats de salariés. Il serait curieux de louer les corps intermédiaires mais de détester les voir négocier sur des sujets aussi essentiels que les conditions de travail, de licenciement, de formation ! Hollande a laissé du temps à la négociation, et c'est tant mieux.
2. Ce type de gouvernance-là a ses défauts: on n'est jamais sûr que la négociation aboutisse au résultat que l'on souhaite. C'est le propre d'une négociation. Il y avait d'autres solutions à cette affaire: voter directement au Parlement une loi sur le sujet. Pendant la campagne présidentielle, Sarkozy proposait même des référendums !
3. Certains se désolent que la négociation se soit prétendument réalisée sur le terrain du MEDEF, à savoir la flexibilité de l'emploi. C'était une façon d'accuser le gouvernement Hollande de complicité. L'accusation est gonflée car elle est sacrément hypocrite: il y avait deux thèmes à cette négociation, la fameuse flexibilité (chère au MEDEF) et la sécurisation de l'emploi (chère aux syndicats de salariés). Que le MEDEF cherche la flexibilité pour tous, n'est pas une surprise. 
4. Le résultat de la négociation est décevant (cf. infra). Il est notamment critiqué par la CGT et FO, ce qui n'est pas rien. Vendredi 11 janvier 2013 vers 23 heures, trois syndicats dont la CFDT et le MEDEF sont parvenus à un accord sur la flexibilité et la sécurisation de l'emploi, après trois mois de discussions, interrompues deux semaines à l'occasion de la trève de Noël.
5. L'accord sera transcrit dans une loi. C'est la conséquence... et la limite de l'exercice. Peut-on envisager de passer outre le résultat de cette négociation ? Non, sauf à déconsidérer l'exigence de dialogue social. Parfois, le dialogue social ne produit pas de bon résultats politiques. En période de fort chômage, le rapport de forces de ces négociations est sans conteste plus favorable aux employeurs.
Comme nous l'écrivions, il y a à dire et redire sur le fond.
Il y a des mesures qui prêtent à interprétation. Livrons-les tout de go.
Ainsi, le texte prévoit la création d'une période de mobilité sécurisée. La formulation a fait hurler la CGT qui y voit une précarisation supplémentaire. Reconnaissons que la chose s'argumente de façon curieuse: « Afin de développer leurs compétences, les salariés souhaitent de plus en plus pouvoir changer d’emploi, mais peuvent y renoncer faute de la sécurisation adaptée.» Mais reconnaissons aussi que le texte ne lèse personne: il faut un avenant au contrat de travail (et donc l'accord du salarié) pour permettre une "suspension" du contrat de travail.
Pour « faciliter la conciliation prud’homale », il est aussi défini un barème de calcul des indemnités forfaitaires, en fonction de l’ancienneté. Une disposition qui exaspère les syndicats non signataires de l'accord qui préfèrent le jugement prud'homal. L'article 24 réduit à 24 le délai de prescription des actions aux Prud'hommes.
Pour les salariés...
 A lire le texte, on comprend que le MEDEF a partiellement gagné. On comprend aussi qu'il est inutile de hurler au loup. L'accord est réel mais modeste. C'est un compromis. Le texte commence habilement par un titre I consacré à la Sécurisation des parcours professionnels. Effectivement, nombre de mesures améliorent les conditions des salariés:
1. Les cotisations patronales pour le chômage seront relevées sur les contrats courts (7% pour les contrats inférieurs à un mois; 5,5% pour les contrats entre 1 et 3 mois) à compter du 1er juillet 2013. C'est une excellente nouvelle. Mais une nouvelle insuffisante. Ne sont pas concernés les CDD de remplacements, ni les contrats d'usage, ni les CDD supérieurs à 3 mois.
2. Les employeurs seront exonérés des mêmes cotisations chômage pendant 3 mois au-delà de la période d'essai pour les jeunes embauchés (4 mois pour les entreprises de moins de 50 salariés)
3. Un compte personnel de formation, à hauteur de 20 heures par an pour un temps plein, sera créé pour chaque salarié, transférable en cas de changement d'entreprise.
4. Les signataires sont d'accord pour créer un droit rechargeable à l'assurance chômage. En d'autres termes, « Ce dispositif consiste pour les salariés, en cas de reprise d’emploi consécutive à une période de chômage, à conserver le reliquat de tout ou partie de leurs droits aux allocations du régime d’assurance chômage non utilisés, pour les ajouter, en cas de nouvelle perte d’emploi, aux nouveaux droits acquis au titre de la période d’activité ouverte par cette reprise d’emploi.» C'est un sacré nouveau droit !
5. Le texte prévoit un engagement de négociation, avant le 1er avril prochain, pour mettre en place une couverture complémentaire santé aux salariés qui n'en ont pas. Ensuite, passé une seconde échéance (juillet 2014), les entreprises non couvertes seront contraintes d'assurer une couverture santé minimale d'ici le ... 1er janvier 2016 (ie: « 100% de la base de remboursement des consultations, actes techniques et pharmacie en ville et à l'hôpital, le forfait journalier hospitalier, 125% de la base de remboursement des prothèses dentaires et un forfait optique de 100 € par an »). Décidément, le dialogue social peut être long...Et l'on s'agacera de comprendre que cette future complémentaire sera sans doute l'affaire des mutuelles privées.
6. Il y aura aussi une incitation de 1.000 euros mensuels à partir du 7ème mois de Contrat de Sécurisation Professionel, un dispositif expérimental créé au printemps 2011 pour favoriser la reconversion de chômeurs ... qui visiblement ne marche pas.
7. Pour l'aide au logement, le programme Action Logement réservera près de 600 millions d'euros aux programmes ciblant « les primo-entrants sur le marché du travail, aux salariés sous contrats courts et aux salariés en mobilité professionnelle.» .
8. L'accord tente d'encadrer le recours au temps partiel (article 11): durée minimale de 24 heures par semaine (hors apprentissage ou accord du salarié), revalorisation de 10% des heures supplémentaires jusqu'à 1/10ème de la rémunération (25% au-delà).
9. En cas de licenciement économique, le congé de reclassement est porté de 9 à 12 mois (article 21). 
... ou le MEDEF ?
Passons aux sujets qui fâchent.
1. La cogestion n'est pas renforcée au sein des instances de direction. Le texte prévoit simplement un renforcement de l'information (Titre II), avec deux points: la création d'une base de données unique et exhaustive sur les informations essentielles de l'entreprise, et l'intégration de représentants du personnel au conseil d'administration aux sociétés dès 5.000 employés en France. S'ajoutent toutes sortes de conseils et commissions consultatives.
2. Le gros morceau qui fait rager est dans le titre III, qui vise à « donner aux entreprises les moyens de s'adapter aux problèmes conjoncturels  et de préserver l'emploi ».
Contrairement à de mauvais arguments ou de sacrés raccourcis, cet accord n'impose nullement la modulation des salaires ou des conditions de travail dans les entreprises en difficulté. Mais il ouvre une porte, celle de la négociation d'un tel accord de flexibilité des contrats de travail en fonction des conditions économiques: « Afin de maintenir l’emploi, en cas de graves difficultés conjoncturelles rencontrées par une entreprise, il convient de se doter, à côté de dispositifs existants tels que le chômage partiel, de la possibilité de conclure des accords d’entreprise permettant de trouver un nouvel équilibre, pour une durée limitée dans le temps, dans l’arbitrage global temps de travail / salaire / emploi, au bénéfice de l’emploi» (article 18). En d'autres termes, cet accord ouvre la voie à la négociation d'accords collectifs qui permettront d'amender les contrats de travail dans une entreprise en difficulté. Il ne les créé pas ni ne les impose. Le débat se poursuivra au Parlement. 
Quelques précautions sont ajoutées, et c'est un minimum: respect du SMIC, de la durée légale du travail, des congés payés légaux, etc. Bon seigneurs, les pontes du MEDEF ont également accepté de prévoir que ces éventuels accords comportent « des garanties telles que le partage du bénéfice économique de l’accord arrivé à échéance et les sanctions en cas de non-respect de celui-ci.» Quelle bonté ! Ne boudons pas non plus notre plaisir sur la formule suivante: « le respect d’une certaine symétrie des formes à l’égard de la rémunération des mandataires sociaux et des actionnaires. Les dirigeants salariés qui exercent leurs responsabilités dans le périmètre de l’accord doivent participer aux mêmes efforts que ceux qui sont demandés aux salariés. » Autrement dit, un accord qui réduirait les salaires pour préserver l'emploi devra également réduire les salaires de la direction, dans les mêmes proportions.
3. L'article 20  réduit l'exécution des plans sociaux dans les entreprises de moins de 50 salariés, à condition d'avoir l'accord des organisations syndicales représentant au moins 50% des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles.
4. Il y aussi cette curieuse expérimentation détaillée à l'article 22 (Titre IV): pour les entreprises de moins de 50 salariés de certains secteurs, l'employeur pourra expérimenter le recours à l'intermittence « afin de pourvoir des emplois permanents comportant, par nature, une alternance de périodes travaillées et non travaillées ».
 A suivre ...

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