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Dieu et le diable : les deux visages de la modernité arabe

Publié le 06 avril 2008 par Gonzo

Cette image d’un supporter célébrant les prouesses de l’équipe de foot saoudienne peut apparaître très anodine. Elle a néanmoins en son temps (fin juillet 2007) suscité un véritable tollé.
D’abord parce que le drapeau que tient le jeune homme au milieu du cercle des danseurs n’est pas n’importe quel drapeau, mais celui du royaume d’Arabie saoudite, et qu’il est donc particulièrement mal venu de se livrer à des gesticulations déplacées avec ce tissu orné de la profession de foi musulmane (ce qu’on appelle en arabe les "deux professions de foi", الشهادتان : "Il n'y a de dieu que Dieu" et "Muhammad est Son prophète").
Mais de plus, le danseur n’était autre que le célèbre Saad al-Saghir (سعد الصغير), qui s’était déjà fait remarquer quelques mois avant en montant sur une scène de Dubaï dans un état d’ébriété visiblement avancé.
Pour ne rien arranger, c’est ce même chanteur égyptien qui avait eu l’honneur, à la fin de l’année 2006, d’être le partenaire à l’écran de la célèbre Dina, une bombe sexuelle locale, un temps marié avec le richissime homme d’affaires Hussam Abul-Futuh. [Il n'y a que l'Egypte pour imaginer d'aussi invraisemblables scénarios !] Pour le lancement du film, on avait imaginé de faire danser la vedette féminine devant le célèbre cinéma Métro au Caire. Cela avait déclenché, en octobre 2006, une incroyable explosion d’hystérie sexuelle, révélée en grande partie grâce aux bloggers locaux qui avaient affirmé ainsi fait la preuve de leur importance au sein du nouveau système d’information.
De nombreuses femmes qui avaient eu la malchance de se trouver dans les parages du cinéma, dans une des zones les plus commerçantes de la ville, avaient été agressées par des hordes de jeunes hommes totalement déchaînés, pourchassant leurs victimes en hurlant le dernier tube de Saad al-Saghir, une chanson assez leste où la banane fait bon ménage avec la mangue (voir la vidéo en fin de ce billet).
Il était donc temps pour Saad d’imiter le repentir d’autres vedettes scandaleuses, Tamer Husni par exemple (dont on a déjà parlé ici), et de se racheter une conduite en enregistrant quelques titres musicaux religieux, un genre particulièrement à la mode aujourd’hui dans le monde arabe.
Naturellement, nombreux sont ceux qui s’inquiètent d’un changement de style aussi soudain. Cheikh Muhammad al-Rifâ‘i par exemple, haut fonctionnaire au ministère des Waqfs, se demande ainsi dans un article récent d'Al-Quds al-‘arabi si celui qui est passé aussi soudainement du diable à Dieu n’est pas capable de retomber tout aussi brutalement dans l'erreur.
On s'inquiète aussi pour le devenir du chant religieux lorsque tant de chanteurs et de chanteuses à la mode se mettent à investir un style qui a l’avantage de leur assurer de confortables recettes et le salut de leur âme (à tout le moins celui de leur réputation). Quel sens peut encore avoir cette haute tradition musicale, née à l’époque fatimide (Xe s.) et développée par les confréries soufies, si elle n’est pas associée à une authentique sacralité ?
Mais tout le monde ne partage pas des craintes. Sur le site Islam-Online par exemple, proche des Frères musulmans, un assez long article revenait sur ce phénomène en se réjouissant de constater que le chant religieux (nashîd) avait désormais pleinement sa place sur les chaînes télévisées musicales.
Pour son auteur, et en particulier avec l’arrivée d’une nouvelle génération de chanteurs tels que Sami Yûsuf (dont on a déjà parlé ici), le nashîd a définitivement rompu avec le style étroitement idéologique des années 1990 et ses lamentations sur les souffrances des pauvres musulmans opprimés.
Désormais, le nashîd appartient pleinement à son époque. Grâce à la table de mixage et aux trucages électroniques, plus de problème avec les interdits sur l’utilisation de nombre d'instruments musicaux. A l’image d'un Mishary Rashid Alafassy – qui possède sa propre chaîne de télévision – le chant religieux contemporain peut associer la foi à des préoccupations écologiques telles que la préservation de l’eau et de l’énergie. Même la question des relations entre hommes et femmes n’est plus désormais totalement étrangère à un style pour lequel il n’y avait jusque là d'autre amour que divin.
Au lieu de tourner le dos au monde moderne, le nouveau nashîd en épouse totalement la logique. Dès lors, il peut affronter sans complexe sur les chaînes satellitaires la concurrence des "chansons libérées" (الأغاني المتحررة) parce qu’à la différence des succès étroitement commerciaux, il est, pour ses fans, une expression artistique dotée d’un but véritable (الفن الهادف).
On en saurait se contenter de sourire devant des revirements aussi rapides et aussi radicaux entre le vice et la vertu. Pour les vedettes de la scène et de l’écran, mais bien plus encore pour la jeunesse arabe qui consomme ces icônes, la seule hypocrisie, la simple duplicité, ne suffisent pas à rendre compte d’une réalité certainement plus complexe. La modernité arabe se partage bien entre Dieu et le diable, entre le charmant jeune homme confit en dévotion et l'effronté vendeur de fruits.
Pour la vidéo de Al-'Anab, le titre endiablé - c'est bien le mot ! - de Saad, ce lien (et ici pour les paroles). Et pour le sirupeux "Je loue notre Dieu" (Ahmidu rabba-nâ), son côté beaucoup, beaucoup plus sage, par ici !

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LES COMMENTAIRES (1)

Par bakhta
posté le 03 février à 20:06
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