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The Master

Par Thibaut_fleuret @Thibaut_Fleuret

The Master

Cinq ans que l’on n’avait pas eu de nouvelles de Paul Thomas Anderson après le certain triomphe de There Will Be Blood. Et plutôt deux fois qu’une, la remarque vaut également pour l’acteur principal, Joaquin Phoenix, qui après avoir fait le faux vrai retraité et pseudo-rappeur, se rappelle à notre bon souvenir depuis l’incroyable Two Lovers de James Gray.

Les premières images détonnent par leur beauté. Une colorimétrie, un mouvement, un homme. Comme une évidence, elles plantent un réel décor de cinéma avec tout ce qu’il implique en terme de représentation sur le rapport entre l’humain et le monde. Néanmoins, cela n’est pas sans rappeler quelqu’un et cette impression aura une incidence par la suite. Est-ce trop beau pour être vrai ? Une mer aux couleurs chatoyantes, un sillage de bateau, une plage avec des soldats. Non, nous ne sommes dans un film de Terrence Malick, La Ligne rouge pour ne pas le citer, mais bien chez un autre esthète américain, Paul Thomas Anderson, donc, qui nous dit sans faux semblant et de façon très directe que lui aussi a le droit à une belle reconnaissance. C’est peut-être d’une mauvaise foi sans discernement que de rappeler cette hypothèse mais pourtant elle suinte les deux dernières productions de son instigateur, There Will Be Blood et ce The Master. Pourtant, le réalisateur a tout fait pour se débarrasser de tares principales qui lui étaient rappelées à chacun de ses sorties. Rappelons-nous de Boogie Nights et de Magnolia, films ô combien sympathiques, ne crachons pas dans la soupe, mais qui lorgnaient ouvertement, peut-être même un peu trop, du côté de Martin Scorsese pour la stricte mise en scène ou de Robert Altman et Short Cuts en ce qui concerne Magnolia où d’aucun ne parleront de plagiat. Mais force est de reconnaître, et c’est un bon point, qu’avec The Master, et même si des discussions aussi interminables que (f)utiles seront toujours en suspens, PTA donne l’impression qu’il a enfin trouvé sa propre voie, initialement lancé par un Punch-Drunk Love gonzo qui ne ressemblait à rien d’autre et continué par There Will Be Blood. Sa mise en scène s’est épurée. C’est le premier bon argument. Les plans-séquences alambiqués, les coupes de montage à la mode, les clins d’oeil incessants laissent la place à des aspects formels tirant davantage sur l’élégance que sur la virtuosité. La réalisation, finalement, ouvre réellement sur le projet du film.

Les références ne sont utiles que lorsqu’elles sont bien digérées. Le cinéaste l’a finalement compris et réfléchit ses films selon sa propre logique. Un affrontement, une montée, un échec sont des thématiques qu’il tenté d’explorer auparavant, surtout dans Boogie Nights, mais elles deviennent maintenant d’une telle force que plus personne ne peut passer à côté. Le réalisateur ne se cache plus derrière un aspect choral, un bon esprit, un peu de cool par çi et d’émotion par là. C’est surtout dans la construction narrative que Paul Thomas Anderson a su évoluer. Le déroulement linéaire classique laisse place à un chapitrage initié dans There Will Be Blood mais ici élaboré de manière beaucoup plus subtile. Exit le cheminement basé sur une dualité entre l’extérieur et l’intérieur qui irriguait de sens son métrage sur la construction des Etats-Unis certes valable et consciente mais trop archétypale. Dans The Master, si l’on retrouve cette architecture avec la plage, le champ, le jardin et la cabane, la maison, le bateau, c’est davantage par les personnages que cela passe. Qui est le héros ? Tel est l’un des questionnements principaux d’un métrage qui ne cherche plus la continuité basique mais la multiplicité. Même si les apparences nous font croire à une ligne directrice univoque, les allers et retours sont relativement nombreux, les connexions se font et se défont à souhait et avec plaisir pour que le film s’échappe d’une directive sommaire et déjà-vu. Le spectateur peut alors mettre tous ses sens en éveil et sa réflexion ne fait qu’augmenter tout au long du film. On aurait même voulu que Paul Thomas Anderson aille plus loin. Le double niveau entre les deux protagonistes masculins et leurs différents rapports aux nombreux lieux et espaces investis aurait plus se tripler avec le personnage d’Amy Adams qui, au détour de quelques dialogues ou de regards lourds de sens et d’une puissance sans équivoque, se pose peut-être comme la clé pour entrer complètement dans The Master en faisant lien. Hélas, on a bien l’impression que le réalisateur ne croit pas en cette possibilité, obnubilé par ses deux acteurs principaux et leurs frontalités. C’est dommage car cela aurait donné une envergure magnifique à un projet qui se serait alors complètement détaché de The Will Be Blood. Néanmoins, malgré une certaine frustration toute relative, la démarche reste quand même compréhensible dans le sens où ces deux derniers films se comportent comme un diptyque en ne parlant que d’une seule chose : la création de l’Amérique.

La forme n’est clairement plus ce qui intéresse un cinéaste qui est passé à un cinéma du personnage. Les métrages choraux avec le all star cast, c’est fini pour lui ! The Master suit la route de There Will Be Blood quand pour la première véritable fois, et en plus de la démarche d’écriture, Paul Thomas Anderson avait écrit un premier rôle fort qui porte l’ensemble sur ses épaules. Cela est donc encore le cas ici, et même un plus. Il s’aide, pour cela, de deux immenses comédiens, Joaquin Phoenix et Philip Seymour Hoffman qui offrent un affrontement de composition assez savoureux. Pourtant, si la qualité d’interprétation est indéniable, il ne faut quand même pas faire la fine bouche, le spectateur peut ressentir un léger malaise. Plus que le bon vieux Philip, c’est bien le trublion Joaquin qui envoie un peu trop la sauce. Hallucinée et hallucinante, l’acteur principal se sent investi d’une mission. Si l’on ne peut être qu’impressionné par le talent du comédien, il donne parfois la sensation de ne pas être en totale connexion avec le projet du film. Ce n’est pas qu’il cabotine à outrance mais sa performance, tout du moins sa volonté de performance, peut jouer contre lui. En effet, PTA veut, avec The Master, entrer dans les méandres du conscient et de l’inconscient humain et un surplus d’énergie peut ne pas coller avec cette volonté intimiste. Mais mis à part cette remarque sur les comédiens, remarque qui vient inévitablement et immédiatement en tête, force est de reconnaître que Paul Thomas Anderson a réussit son projet.

Le buzz du film portait au départ sur la plongée dans une secte. S’il est vrai que le scénario développe les mécanismes de fonctionnement d’une telle société, convoque les principes de foi, d’affrontement, de dominations physique, morale et intellectuelle, The Master ne vire pas non plus dans la dénonciation, du moins la compréhension, des hommes et des femmes qui la constituent. Cela semblerait trop simpliste et trop manifeste de la part d’un cinéaste ouvertement ambitieux. La fuite, la peur de s’engager, voilà quelles sont les réelles pistes d’un métrage qui défonce les attentes, les fantasmes et les représentations pré-conçues sur sa propre réputation. Et par voie d’extension métaphorique, celles-ci nous donnent un bien bel aperçu de la condition américaine. Cette dernière n’a pas le courage de vivre pleinement et surtout apparait ouvertement détestable. Les luttes y sont constantes, le mensonge est omniprésent et la confiance n’y est pas un ciment des plus fédérateurs. Ces outils de lecture du film donnent des scènes marquantes et signifiantes à l’image de cet aller-retour quasi-parfait entre la course à pied de Joaquin Phoenix dans un champ et la trajectoire en moto dans le désert. Le personnage prend possession de l’aspect minéral de l’espace comme pour montrer toute la futilité de sa démarche personnelle. Cet homme s’essaie à l’espace coûte que coûte quand tout va mal. Il a besoin d’un retour à la base, aux sources, à la racine même d’un lieu. C’est le seul moyen de se sauver. Peine perdu, il finira toujours par revenir convaincu du message d’un prestidigitateur de l’esprit. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs que ce dernier s’enfuit en Angleterre, contrée passéiste aux yeux des Etats-Unis. Il n’a rien à faire en Amérique. Il n’est pas, ou plus, le symbole de la réussite et est encore moins une figure tutélaire faisant office de symbole, de résumé, de métaphore. Le Nouveau Monde, alors en pleine transition 50′s qui va amorcer les révolutions des années 1960, ne veut plus des charlatans.

Néanmoins, The Master peut apparaître cadenassé, à l’image des scènes entre les deux comédiens principaux basées cependant sur des tensions palpables et sur une science du découpage loin d’être dégueulasse. Le problème, c’est qu’à force de nous enfermer autant dans la condition des personnages que dans leur traitement formel, l’émotion a du mal à être au rendez-vous. L’ouverture est alors absente. A ce titre, les scènes de famille sont symptomatiques. Le fils, la fille et le gendre sont rayés de la carte de la personnification. Ils sont pourtant passionnants, surtout le fils, d’ailleurs, campé par un chanteur de Crucifictorious (Big Up à Friday Night Lights !) qui fait toujours plaisir à voir sur les écrans. Ces trois protagonistes questionnent le rapport à l’Autre et mieux même ouvrent sur des perpectives réellement émotionnelles par une étude de la famille et de ses rapports intrinsèques. Mais à rester trop dans le hors champ de la représentation, ils finissent par devenir inconsistants. Et cela apparaît tristement complémentaire au traitement du personnage d’Amy Adams. Encore une fois, seule la relation entre les deux hommes à l’air d’intéresser Paul Thomas Anderson parce qu’elle est celle qu’il maitrise le mieux. Sans aucun doute. Sans doute aussi peut-on y voir une manière de conclure sa démonstration sur l’état humain américain en ne suggérant aucune échappatoire dans la trajectoire de Joaquin Phoenix, voire même d’un Philip Seymour Hoffman enfermé dans ses propres paradigmes. Si ces deux personnages jouent la carte de la métaphore US, cela semble cohérent et rien ne prédestinait à un développement des protagonistes trop pluriel. Mais même si le projet est ailleurs, on aurait aimé une humanité moins théorique. Tout cela sent bien trop la maitrise. Oui, rien ne dépasse et c’est bien joli mais il y a bel et bien le propre statut du réalisateur qui vient finalement contaminer The Master. L’introduction n’avait pas tort. On l’a dit et on le répète, mais PTA cherche la reconnaissance que ses précédents métrages, si bons soient-ils, ne lui ont pas donné à défaut de produire une émotion sincère, réelle, communicative. Cela se sentait dans There Will Be Blood, cela transpire dans ce dernier objet. Un dernier indice, c’est ce double titrage qui introduit et clôture le métrage. Ne serait-il pas une indication au spectateur que ce qu’il est va, et a vu, est un objet de maître ? Pourtant, la réflexion est ambivalente et est peut-être même déplacée. Un film se doit d’être jugé sur ses qualités intrinsèques et non sur la personnalité de son initiateur. Cependant, celle-ci est tellement présente quand on parle de ses objets que l’on est obligé de la soumettre à l’exercice. Pour ne trop froisser le cinéaste, une telle démarche accompagne souvent les métrages de Darren Aronofksy, de Nicolas Winding Refn ou de Michael Haneke. Les sensibilités de chacun font ensuite le reste pour décider de qui doit-on critiquer, détester, adorer ou pas. A l’instar des cinéastes mentionnés, si l’on peut cracher sur Paul Thomas Anderson et sa volonté de vouloir trop bien faire, sur la flatterie de son égo, il est quand même dommage de critiquer un film qui respire quand même le cinéma à plein nez.

The Master confirme la nouvelle démarche de Paul Thomas Anderson, une certaine vitalité mais également un enferment dans une maitrise toute auteuriste. Cette dernière dimension ne permet pas au cinéaste d’entrer dans le panthéon du Septième Art contemporain. Son élitisme forcé le rend trop prétentieux pour toucher à ce Graal qu’il recherche tant.


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