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Les joies de l’EPS

Publié le 18 janvier 2013 par Legraoully @LeGraoullyOff

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J’attendais patiemment que l’on me choisisse, sans trop me faire d’illusions non plus de par ma chétivité. Je me tenais raide comme un piquet sur le terrain de foot entouré par la piste d’athlétisme. J’étais le seul à ne pas avoir la tenue de sport obligatoire à toute sudation imposé par l’empire scolaire ; à savoir jogging, t-shirt et baskets. De marque si tu ne voulais pas passer pour un sale pauvre. Ça me faisait vraiment chier de devoir faire tous ces kilomètres en trimballant un sac supplémentaire juste pour deux heures d’EPS. Nous n’avions même pas de casier pour foutre ça et le laisser jusqu’à la prochaine fois. Je faisais donc ce que je pouvais dans mes mocassins noirs et en jeans. De toute manière, je n’avais jamais aimé le sport. Rien que le fait de devoir suer sang et eau parce qu’un abruti me l’imposait, me donnait autant la nausée que de lire un bouquin de Sartre. J’étais comme un acteur qui se serait gouré de plateau. Je me demandais ce que je foutais là en essayant vainement de me réchauffer.

Au début, les premières semaines tout au moins, je faisais l’effort de participer pensant qu’il s’agissait seulement de pratiquer quelques exercices physiques et de développer une certaine cohésion avec mes camarades. Je bêlais donc en chœur avec le reste du troupeau. J’avais été bien vite détrompé en voyant toute l’ardeur dont faisait preuve la plupart des autres. C’était clairement ici que se décidait notre sort. Nous écrivions l’avenir qu’on nous rabâchait à longueur de temps. Quel avenir ?

Pour l’instant, cela servait juste à déterminer lesquels allaient passer le reste de l’année pépère et lesquels la passeraient à se faire enfoncer la tête dans les chiottes. J’avais été assez vite mis dans le même sac que celui des intellos, des gros, des asthmatiques, des repoussants, des mous du gland, des meubles poussiéreux, des larves, des limaces, des porcs, et de tous ceux qui subissaient les moqueries du professeur diplômé et des autres élèves malgré leurs efforts pour afficher leurs belles tenues de sports toute neuves. C’est donc tout naturellement, si je puis dire, que je me retrouvais à faire équipe avec eux. Les sportifs de la classe m’avait rapidement calculé et répugnait à devoir me choisir. Ou alors tout à la fin. Juste avant les obèses et les handicapés de la classe qui, il faut le dire, semblaient tout de même déterminé à fournir l’effort exigé. Malheureusement pour ces chefs d’équipes de pacotille, les rebus de la classe était une minorité et ils devaient donc forcément faire équipe avec les ratés pour qui tout cela n’avait vraiment aucun intérêt.

Il avait une grande gueule le prof, que je me disais, je ne le voyais jamais esquisser le moindre mouvement. Il n’en branlait pas une. Il avait la tenue griffée et tout mais tout ce qu’il faisait, c’était de nous regarder, nous et son chronomètre. Il passait sans arrêt de l’un à l’autre. Je pouvais savoir à l’avance quelle serait ma note rien qu’en observant les multiples tics nerveux de son visage buriné par l’alcool qu’il expirait par râle vers mon visage à chacune de ses invectives à mon encontre.

Ce que je détestais le plus, c’était l’athlétisme. Courir pendant un temps qui me semblait n’en plus finir autour d’une piste me paraissait tout simplement stupide. En général lorsqu’on avait athlétisme, je trainais les pattes en faisant de grands mouvements avec les bras, bien visibles, afin que le prof de là où il était, puisse croire à mon dévouement sans limite à sa pratique débile. La piste était entourée d’une sorte de petite forêt dans laquelle je me planquais parfois quelques minutes histoire de fumer une cigarette et de boire une ou deux Kro tranquillement. Je devais alors prendre de multiples précautions pour ne pas me faire remarquer. Que ce soit par le prof ou par les autres qui n’auraient surement pas hésiter à me balancer si j’avais laissé transparaitre la moindre résistance. Ce n’est que lorsque je repassais devant le maton que je faisais l’effort de décoller mes pieds du sol. Histoire de donner le change. Ca passait plutôt bien de visu mais le chrono ne mentait pas ; malheureusement pour moi. C’était une petite salope constamment en train de se faire titiller le bouton. Un enfoiré de délateur qu’il m’était impossible de tromper.

Le foot passait mieux à la rigueur. Je n’étais pas fan non plus mais quitte à choisir…Je m’arrangeais toujours pour jouer en défense ou au mieux dans les buts. Mais cette dernière place était en général réservée aux grands dadais de l’équipe. Je parvenais tout de même assez souvent à occuper ce poste lorsqu’il prenait l’envie à ces derniers de se mettre en avant en marquant des buts. C’était ça notre rêve américain…marquer des buts.

Dans les cages, j’étais vraiment peinard. Je pouvais conserver le peu de souffle dont je disposais encore, tout en ayant une vue d’ensemble sur tous ces cons que je commençais à mépriser de plus en plus, et qui couraient comme des dératés d’un bout à l’autre du terrain. Et lorsque l’attaque adverse parvenait à percer notre piètre défense, je laissais tout bonnement passer le tir de bourrin que m’envoyait l’adversaire, apparemment déterminé à me fusiller la tronche. C’était plus de l’esquive qu’autre chose. Heureusement pour mon faciès délicat, nous jouions sur le « terrain d’honneur ». Ça en jetait plus quand on le disait que quand nous y étions. Du coup, les cages étaient assez larges pour que je puisse courir à l’opposé du tir adverse. Je ressentais alors toute la colère de l’attaquant s’exprimer à travers son tir. Ces types-là voulaient me défigurer c’était certain. Il n’était alors plus question de sport mais plutôt de concours viril. Il fallait mettre ses couilles sur la table. Et c’est l’école qui nous conditionnait à ça. A l’époque, j’avais déjà le nez plongé dans les bouquins. Je me rappelle de fois où, désireux d’afficher tout le mépris que j’avais pour eux, j’esquivais plusieurs salves sur les vers des poètes que je lisais à l’époque et que je récitais bien haut, le recueil dans les mains.

En y repensant aujourd’hui, je me dis que s’il y a tant de personnes qui n’ont aucun scrupule à s’élever en  marchant sur la gueule du voisin d’à côté, c’est parce que l’école ne fait rien pour y remédier. Au lieu de créer un système où les gens seraient solidaires les uns des autres, elle ne fait au contraire qu’accentuer les inégalités physiques, sociales, économiques, et tout ce qu’on veut. Elle n’est en aucun cas un vecteur de paix et d’amour. C’est plutôt le tri sélectif de qui passera la vie agréablement et de qui galèrera pour subsister. Le prime time dominant-dominé. Tapez un chiffre pour désigner le mouton noir. Une sorte de version moderne de la cigale et la fourmi. Pour ma part, j’ai toujours préféré chanter.

Dans tous les cas, je ne tenais pas à me faire démolir par un ballon de cuir arrivant sur ma gueule à la vitesse d’un scooter volé débridé. Ce qui me valait, au fur et à mesure des cours, l’inimitié de la plupart de ceux pour qui toutes ces conneries étaient carrément une religion.

Je me rappelle que c’était vers le mois de mars. Au cours d’un de ces leçons merdiques et inutiles. Ce jour-là, je laissais passer la balle de trop. J’avais pourtant fais un bon match…selon moi. Mais j’avais tellement fait exprès de rater auparavant, et j’avais tellement affiché mon indifférence à ces pratiques de blaireaux, que plus personne ne croyait à ma bonne foi lorsque je disais que je n’avais simplement pas pu arrêter la frappe. Le prof, croyant voir mon obstination je-m’en-foutiste se perpétuer encore et toujours, décida alors de me foutre un zéro pointé et de me vouer aux gémonies pour le reste de l’année scolaire en punissant toute la classe pour mes méfaits. C’est là que toute cette histoire de sport à commencer à devenir vraiment craignos. J’étais devenu l’ennemi public numéro un en quelque sorte. L’homme à abattre. Toute la classe m’avait dans le pif et il faut dire que je ne faisais rien non plus pour rentrer dans leurs bonnes grâces. Je m’en tapais le coquillard. Le nabot qui faisait chier le monde et empêchait la bonne marche des choses devait le sentir passer. C’était forcé. Tout le monde, à partir de ce moment-là, voulait me tomber dessus. Quelques-uns m’avaient déjà menacés discrètement pendant le cours ; d’autres, plus malins, plus vicieux, me laissaient la surprise des réjouissances prévues à mon encontre. Même les autres, les loosers, les pathétiques, les bannis, les pouilleux, les binoclards, les puceaux, les boutonneux, les tuyaux de poêle, les pauvres, les amateurs de jeux de rôle ; tous étaient contre moi. Aucune solidarité d’aucune sorte. Je subis alors toute les moqueries et les emmerdements possibles. Ça n’allait pourtant pas encore jusqu’à la violence scolaire proprement dite. Enfin oui et non. Disons qu’à l’époque, je n’avais pas encore gouté aux joies de la patate dans la gueule. C’était plutôt dans le registre des injures, crachats, bousculades, tirage de cheveux, béquilles, croche-pattes, et quelques balayettes pour assaisonner le tout…et j’en passe…L’être humain est vraiment la pire des raclures lorsque lui vient comme une envie de chier, un désir de reconnaissance de la part de ceux qu’il s’imagine être ses pairs. Tous ces loosers philosophiquement lamentables, sociologiquement irrécupérables, pensaient surement qu’en rejoignant les winners, ils pourraient ainsi intégrer la vénérable caste de ceux qu’on emmerde jamais. C’était bien mal connaître tous ces petits prétentieux qui se considéraient comme l’élite du lycée. La plupart de ces intouchables se firent casser la gueule bon nombre de fois et juste pour le plaisir. C’est vous dire si à cet âge-là un garçon est vraiment la pire des charognes.

J’étais donc seul contre tous. Personne pour me défendre. Pas de grand frère protecteur à l’horizon, que j’aurais pu appeler pour m’aider à me sortir de ce merdier contrairement à certains, qui avaient fait part de ma désinvolture à leurs ainés et qui, quelque fois, m’attendait carrément de pied ferme devant les grilles vertes bouteilles de l’établissement. De quoi ils se mêlaient ces cons ! Ce n’était pas leur problème bordel ! Ils auraient eu du goudron et des plumes qu’ils m’en auraient recouvert des pieds à la tête toutes ces charognes. Je devais redoubler d’imagination pour leur échapper. J’en ai couru des kilomètres. J’en ai squatté des endroits bizarres pour me dérober à leurs regards. Au final, ils m’ont surement plus fait faire de sport que tous les cours d’EPS de ma vie. Tout cela n’a fait qu’accentuer ma détestation pour toute forme de sport.

Le pire dans l’histoire était que je devais prendre un bus, que prenait la plupart des autres élèves, pour rejoindre la gare, pour ensuite prendre un train qui me conduisait chez moi. Alors je m’arrangeais pour trouver des combines afin de tacher de sauver ma peau. Mon tour de force le plus prodigieux et qui a forgé le salaud notoire que je suis devenu au cours de mon adolescence, a été de comprendre qu’en jouant de mon faciès et de ma rhétorique, des gonzesses et des bonhommes un peu plus vieux que moi, qui avaient le permis, pouvaient me déposer gratis chez mes parents sans aucun risque. Je privilégiais tout de même les filles de préférence. C’était l’occase’ de faire d’une pierre deux coups.  C’est à cette époque que je tâtais mes premières cuisses, que je mélangeais ma salive à celles de brunes décolorées aux nibards variables. Je déplorais le fait de trouver une véritable blonde. Je commençais alors doucement à comprendre l’avantage certain de nouer des relations par intérêt. Pas très glorieux mais nécessaire à ma survie à l’époque.

Bien évidemment, à un moment donné, il y a eu une couille dans le potage. La plupart des meufs commençaient à se passer le mot et à s’informer entre elles. C’est dingue ce que ça parle les gonzesses ! Leurs rots de couloirs circulaient très vite au collège. Je fus vite grillé. Je me suis donc retrouvé à devoir prendre le bus comme tous les autres et c’est là que ça a commencé à devenir folklorique.

Je m’installais, par précaution, sur le siège juste derrière le chauffeur de ce tcrm de la ligne 2 pensant que ce dernier interviendrait si mon droit à l’intégrité physique devait être bafoué. C’était sans compter la totale hébétude de ce blaireau de conducteur qui ne savait que vous dire de bien repasser votre carte devant la machine. Il fallait qu’il entende le biiiiiiiip approbateur et qu’il voit la petite lumière verte sur la machine lui signalant que vous n’étiez pas un resquilleur et qu’il n’aurait du coup pas besoin d’appeler les contrôleurs pour qu’il vous accorde un peu d’attention. A l’époque, je fraudais déjà pas mal…

Un soir de décembre, je sortis en retard du dernier cours de la journée because la prof me les avait brisé pour pas un rond. Lorsque je t’atteignais l’arrêt de bus, le véhicule était déjà bondé. En rentrant à l’intérieur, je vis assis tout au fond, la place des durs à cuire, toute cette petite bande qui en voulait à ma personne. Ils m’eurent direct dans le collimateur. Ils n’attendaient ce moment que  depuis trop longtemps. C’était Noel pour eux.

Je vérifiais dans la poche intérieure de ma veste la présence rassurante de mon cutter qui ne me quittait plus depuis quelques temps. D’aucuns auraient pu dire que j’étais devenu parano et ils n’auraient surement pas eu tort. Mais là, je sentais que j’avais bien fait de suivre les conseils de mon ami docteur ès belliqueux. Au départ, je trimballais un couteau mais il m’avait très vite déconseillé cette option. D’ailleurs, je ne sais pas si j’aurais eu le cran de planter quelqu’un, même la pire des enflures qui existe. Un couteau, tu es obligé de le planter dans l’autre pour que ça soit efficace qu’il me disait. Il m’avait donc suggéré le cutter qui était plus « dissuasif ». Une coupure ça calme. S’ils sont trop nombreux, taillade à l’aveuglette dans les fringues et court. Charmant comme conseils…

Le bus était bondé, et le chauffeur priait les gens d’avancer vers le fond, j’étais donc pour le moment en sécurité, coincé entre une vieille alcoolo et un sportif en marcel blanc dégueulasse qui se tenait à la barre de fer située plus haut tout en diffusant largement dans l’habitacle l’odeur horrible de ses aisselles.

Je voyais mes prédateurs me reluquer. Ça serait une autre paire de manches une fois arrivé à la gare. Je me préparais psychologiquement à me servir de mon arme tout en essayant d’éviter le plus possible de croiser le regard de cette meute avide de faire couler mon sang hors de moi. Merde ! que je me disais, si je ne le donne pas dans les camionnettes appropriées, ce n’est pas pour me le faire faire jaillir par ces connards.

Le bus s’arrêta finalement devant la gare de Metz. Je sortis par devant et commençait à marcher rapidement en direction des quais. En jetant un coup d’œil en arrière, je vis qu’ils se mirent à accélérer le pas. Je fis de même. Ils se mirent à courir. Moi aussi. Et quand finalement, je me retrouvais nez à nez avec eux et que je sortis mon cutter de ma poche, ils eurent l’air étonné… Voire apeurés… Profitant du déclin de leur courage, de cette recrudescence du mien, je m’avançais vers eux. Ils reculèrent. Ils étaient cinq mais étaient pourtant en train de reculer rien que parce que j’avais ce fameux petit cutter jaune. Ils tentaient de m’amadouer avec de belles paroles auxquelles je ne prêtais aucune attention. Je continuais d’avancer et eux de reculer. C’était bizarrement agréable comme sensation. C’était nouveau pour moi. Je n’avais plus peur. Je l’inspirais aux autres. C’était  jouissif cette sensation de domination. Je parvins finalement à les acculer jusqu’au bout de la voie. Là où personne ne va sauf les gens qui bossent pour la Sncf et les fumeurs depuis la loi Evin. Mes adversaires se retrouvèrent vite acculés. Je pouvais presque sentir leur peur transpirer par tous les pores de leur misérable peau que je m’apprêtais à découper pour m’en faire un masque à la Leatherface.

Dans ma tête, c’était un peu le bordel mais heureusement pour eux, je ne disposais pas non plus d’une tronçonneuse. Je ne savais pas si je devais en taillader au moins un, pour l’exemple, ou si je devais laisser courir en espérant qu’ils aient compris et décident enfin de me foutre la paix. Le mouvement soudain d’un des blaireaux fit disparaître le doute et ma main esquissait déjà le mouvement approprié pour lui sectionner la gorge lorsque cette dernière fut arrêtée dans sa course.

Je me retournais aussitôt, prêt à bondir à la gueule de celui qui me prenait en traitre. J’étais une bête fauve. Je ne me reconnaissais plus. Et là, je vis trois mecs en uniformes, la panoplie complète… C’était les flics.

Putain de merde ! La cavalerie. Toujours là au bon moment ces cons…

C’est comme ça que je me suis retrouvé pour la première fois de ma vie convoqué au 3 rue haute pierre dans ce bâtiment à l’architecture agréable mais transformée sous Napoléon en cette belle merde qu’est maintenant le palais de justice de Metz…

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